L'école archéologie israëlienne et son point de vue idéologique anti-judaïque
Je vais ici évoquer une partie de l'école archéologique israëlienne actuelle, celle qui, a priori, a choisi une option interprétative problématique, et je m'excuse de ne pas évoquer ici ceux qui, comme le professeur Michael Avi Yona ont au contraire défendu à la fois la validité des textes anciens et les traces de la civilisation hébraïque en conformité avec ces textes. Dans l'ensemble de l'école archéologique israëlienne anti-judaïque, il faut citer tout d'abord le Professeur Israël Finkelstein, à la fois parce qu'il prétend aujourd'hui présenter dans ses ouvrages une relecture historique de l'archéologie en Israël, et d'autre part parce qu'il appartient à un mouvement de pensée des cercles universitaires archéologiques, qui, au nom de leur choix identitaire laïc, tente de nier toute judaïté au passé d'Israël. Par négation de la judaïté, j'entends aussi bien négation du caractère juif de certaines coutumes, objets, mais aussi négation du caractère juif ou hébreu d'implantations, et élimination de l'outil biblique du cadre de recherche archéologique.
Ce mouvement de pensée s'est insensiblement élaboré en Israël, sous l'impulsion indirecte de l'impact d'intellectuels comme Gershon Sholem, qui, bien qu'ayant donné des lettres de noblesse à la kabbalah, l'ont fait en dénigrant toute spécificité identitaire à ce mouvement, confondant volontiers kabbalah, cabbale chrétienne, et autres mouvements mystiques dès qu'une métaphore commune apparaissait. En archéologie, la période des années 60 à 70 a correspondu à une période de découvertes préhistoriques dans la zone géographique mésopotamienne, période antérieure à la présence hébraïque, puis à d'importants progrès dans les langues comme le hittite, la culture cananéenne.
Ce contexte de recherches et le contexte international d'universalisme poussant à la même époque certains chercheurs à élaborer des outils universaux (Dumézil par exemple, avec ses archétypes de la pensée et des civilisations), les chercheurs israëliens commencèrent à penser la civilisation hébraïque en termes de civilisation cananéenne, voire mésopotamienne. (L'utopie n'est pas nouvelle, puisqu'on trouve dans les années quarante une revue dite des Cananéens, d'intellectuels qui tentaient de penser une culture commune géographique héritière des Cananéens, revue et groupe qui avait énormément fasciné Céline).
Mais dans le cas des universitaires israëliens, la relecture est à sens unique, et vise à déjudaïser la civilisation hébraïque. On trouve ainsi des articles expliquant que le texte des dix commandements suit le modèle mésopotamien du contrat, que ce contrat soit un contrat d'achat d'un esclave ou d'une femme, ou d'un objet, et que cette forme littéraire montre une absence d'originalité de la culture hébraïque d'une part, et d'autre part la nécessité de désacraliser ce texte sous prétexte de sa forme mercantile. Pour donner un autre exemple des découvertes ayant ébranlé les modèles de lecture ainsi que les méthodes établies en archéologie, il faut rappeller la découverte, ou plus exactement le déchiffrage, en 1872, par George Smith, employé du British Museum de tablettes assyriennes ayant appartenu à la bibliothèque du roi Ashurbanipal à Nineveh, tablettes recopiées par les cribes du roi qui était très fier de pouvoir lire lui-même . Le texte, après avoir mentioné un bateau abordant le sommet d'une montagne nommée Nisir dit ensuite :
Lorsque le septième jour arriva,
J'envoyai une colombe que je délivrai
La colombe partit, mais revint
Puisqu'il n'y avait pas de lieu pour qu'elle se pose, elle fit demi-tour. (Lance, p 5)
Ce texte constitua la première découverte d'un récit de sources parallèles ou semblables avec des texte de la Genèse, et détrôna le texte biblique de son statut particulier. Mais simultanément il n'aboutit pas à un questionnement pluri-latéral de la question de l'intertexte. Il ne fut utilisé que pour remettre en cause l'originalité du récit de la Genèse, sans considérer les questions aujourd'hui couramment débattues comme la question des intertextes communs aux deux textes, ou d'un substrat hébraïque oral plus ancien pouvant avoir influencé la culture mésopotamienne toute entière.
En Israël, les textes que nous désignerons de l'adjectif « parallèles » à la culture hébraïque et biblique furent lus comme des textes sources ayant influencé la culture hébraïque. Dans le désir inconscient de se rattacher à une culture universelle parce que mondiale, une partie de l'école israëlienne rejettait tout particularisme ethnique ou culturel, en contradiction logique avec les fondements de la recherche anthropologique.
Le Professeur Finkelstein, qui était récemment interviewé par la chaîne de télévision aroutz 2, revendique ce mouvement de pensée, non pas comme une perspective de l'histoire des idées, mais comme une vérité absolue et universelle, qui aurait succédé à un siècle d'obscurantisme archéologique, qu'il place sous l'égide de l'archéologie de l'école allemande en Israël, école qui aurait précisément revendiqué une recherche archéologique fondée sur les textes bibliques. Dans son introduction à son ouvrage Menavadout léméloukha, (De l'errance à la royauté) (p.9), il expose ses griefs vis-à-vis de ce qu'il considère comme l'école passéiste archéologue en Israël : cette école se serait heurtée à des contradictions entre le texte biblique et les découvertes sur le terrain, ainsi qu'à des difficultés d'ordre philologique :
Cette critique méthodologique se voit accompagnée dans l'émission de décembre 2003 d'un jugement de valeur plaçant comme révolue, et donc sans pertinence, toute recherche fondée sur le texte biblique.
Ce point de vue s'avère particulièrement réducteur pour deux raisons. Tout d'abord, il semble curieux d'adopter un discours se présentant comme une vérité dans ce qui devrait être de l'ordre de la recherche, de la remise en cause scientifique. Il y a là un emprunt délibéré au domaine idéologique. D'autre part, une petite recherche dans les publications mondiales les plus récentes dans le domaine de l'archéologie en Israël montre sans le moindre doute possible que le point de vue biblique reste un point de vue très important, à la fois numériquement et qualitativement, et qu'il n'est plus l'apanage de l'école allemande, mais qu'on le trouve par exemple sous la plume de nombreux chercheurs.
Il est vrai que l'école allemande d'archéologie avait fondé sa recherche sur une lecture naïve des textes bibliques au XIXe siècle. En 1934 encore, on trouve l'ouvrage du Dr Edmund Kalt Biblishe Archäologie (Freiburg : Herder & Co. B.H. Verlagsbuchhandlung). Kalt fonde sa recherche archéologique sur une recherche biblique et philologique des termes et son ouvrage décrit la société aux périodes décrites par la Bible, sur la base à la fois d'une synthèse biblique et comparatiste et sur les découvertes archéologiques parallèles à cette étude.
Certains archéologues britanniques de la même période vont plus loin, car ils n'utilisent pas l'outil de la comparaison philologique, et prennent la Bible comme point de recherche méthodologique, la réalité devant confirmer les descriptions brutes du texte. C'est ainsi que le révérend S.R. Driver, Regius Professor d'Hébreu et Canon de Christ Church à Oxford, écrit en 1922 une ouvrage intitulé Modern Research as Illustrating the Bible (London : British Academy, Oxford University Press).
Mais l'outil biblique en archéologie s'ffine progressivement. En 1953, William Foxwell Albright publie par exemple un ouvrage, Archeology and the Religion of Israel, où l'auteur, après des comparaisons philologiques, des études comparatistes de découvertes archéologiques dans toute la Mésopotamie, se penche sur le texte biblique pour l'étudier comme un texte de l'histoire des Idées. On peut débattre de l'option interprétative, mais en définitive cette méthode a au moins le mérite de placer le texte biblique au même niveau méthodologique que les textes des autres civilisations auxquelles il est comparée, et non a priori situé dans une position de fiabilité inférieure.
En 1974 Shalom M. Paul et William G. Dever publient une série d'études sous le titre de Biblical Archeology. Ils entendent alors par « biblical » une archéologie déterminant son terrain de fouilles d'après la Bible et la pertinence d'une civilisation envers la culture biblique. Leur méthode est donc interactive et effectue un va-et-vient entre l'archéologie et la Bible, sans que la méthode archéologique soit cependant déterminée par le texte biblique, ainsi qu'ils le précisent explicitement au cours de leur étude :
It must be stressed that there are no « special » methods or aims for biblical archeology. It works with the same materials and techniques, it presupposes the same standards of objectivity, it strives for the same total reconstruction of the past, that characterize all archeology. Biblical archeology simply confines itself - not arbitrarily but deliberately - to those aeras which are of direct relevance for the Bible.Its geographical scope extends to all the « Lands of the Bible », which means the entire Eastern Mediterrannean as far as Iraq and Iran, but with primary focus on ancient Syria-Palestine, comprising parts of modern Israel, Jordan, Syria and Lebanon. The chronological scope of biblical archeology dealt with in this volume extends until the Persian period. (Jerusalem : Keter, IX)
La recherche archéologique contemporaine associée à la Bible est loin d'être aussi caricaturale que ce que le Professeur Finkelstein peut en dire. Sa méthodologie évolue, varie d'un auteur à l'autre, permettant à Arthur Gibson, par exemple, de présenter en 2000 une recherche fondée sur les tablettes d'argile en sumérien et en hittites pour aboutir à un travail comparatiste avec les textes bibliques, à l'inverse de la démarche originelle de la recherche biblique.
Parmi les tenants actuels de la recherche archéologique associée à la Bible, on trouve H. Darrell Lance. Lance présente une voie médiane modérée de la recherche méthodologique. Il démontre en particulier dans son ouvrage The Old Testament and the Acrheologist qu'une recherche archéologique utilisant le support du texte biblique doit s'appuyer sur une connaissance exégétique du texte, et non sur une lecture naïve et détachée du contexte sémiologique. Gene Tucker, dans l'introduction de cet ouvrage, critique par ailleurs les chercheurs du XIXe siècle, qui se sont servi de l'archéologie pour étudier le texte biblique très souvent à contresens : « In the last century archeology has been widely used - and not infrequently misused - in the study of the Bible. » La difficulté essentielle de l'utilisation des textes hébraïques pour la recherche archéologique, explique-t-il plus loin ( p.10), vient du fait que cette utilisation présuppose la maîtrise de plusieurs disciplines, comme par exemple la paléographie hébraïque ancienne, disciplines si complexe qu'elles requièrent parfois une vie d'expérience, de sorte qu'elles se sont peu à peu développées en tant que spécialités distinctes. Selon la démonstration implicite de Lance, l'archéologue doit donc reconstituer un puzzle de connaissances si gigantesque qu'il lui est plus aisé d'utiliser ses découvertes pour éclairer le texte biblique que le contraire. Dans le mouvement de va-et-vient entre le texte et les découvertes archéologiques, Lance préconise donc d'utiliser le texte biblique pour éclairer le sens des découvertes archéologiques, et non comme outil originel de recherche étant donné la complexité de sa lecture.
Par contre les publications des chercheurs israëliens anti-judaïques ne sont pas très nombreuses, même si ces chercheurs tiennent le devant de la scène et le haut ds chaires universitaires. Certains, comme Nili Wazana, et bien qu'interviewée en tant que spécialiste et présentée comme telle par le professeur Finkelstein, n'a pas même publié un article depuis sa thèse, Biblical Border Descriptions in Light of Ancient Near East Literature.
On reste aussi rêveur devant les sujets de prédilection de cette école israëlienne d'archéologie. Nili Wazana se penche sur la question des frontières d'Israël dans le texte biblique pour les remettre en question. Le Professeur Finkelstein étudie quant à lui les « implantations » (hitnahalouiot) dans son livre « L'archéologie à la période des implantations et de Juges » (Ha archeologia shel tkoufat hahitnahalouiot véhashoftim). Le terme est étrangement moderne (le dictionnaire Ibn Shoshan précise que le terme est moderne, c'est-à-dire date au plus tôt de la période de la haskala, soit du XIXe siècle) et ne correspond à aucune expression utilisée par les textes hébraïques pour la conquête d'Israël. Il résonne de façon significative à notre époque, suggérant que cette étude pourrait bien, en définitive, renvoyer à une réflexion sur les implantations de l'époque moderne en Judée Samarie, et sur la légimité des frontières de l'état d'Israël.
Le problème essentiel de ce mouvement est qu'il entre en confluence avec l'idéologie de gauche israëlienne qui cherche à l'exploiter pour sa démonstration, et avec un mouvement mondial de déligitimisation de l'état d'Israël, qui lui donne alors une caisse de résonance.
Yona Dureau
[Mercredi 05/20/2009 22:33]