Décès de Naomi FRANKEL (1920-2009)
L’écrivain israélien Naomi FRANKEL nous a quitté ce vendredi à l’âge de 91 ans, décédée au Shiba Medical Center.
Née à Berlin dans une famille de juifs allemands assimilés, elle rejoint très tôt le ha-Somer ha-Zaïr, « la Jeune Garde », un mouvement socialiste de jeunesse juive portant les valeurs de l’amitié entre les peuples, du scoutisme et du sionisme.
Elle arrive en Palestine en 1933 puis étudie l’histoire juive ainsi que la Kabbale à l’Université hébraïque de Jérusalem.
Durant la guerre d’indépendance d’Israël elle servira dans le Palmah « les unités de choc » puis servira huit ans dans la marine israélienne, accédant au grade de major (Escadron 13). Elle fut aussi membre du kibboutz Beth Alfa.
En 1982, elle s’installe avec sa famille à Kiryat Arba à Hébron.
Tenace partisan du Grand Israël, l’an dernier encore, elle adressa ces mots aux habitants d’Amona lors de la cérémonie de la pose de la pierre angulaire de la communauté : « J’appartiens aux membres d’Amona, je soutiens leur lutte et me vois comme l’un d’entre eux. Je vous bénis dans la pose de la première pierre de votre maison. Si elle est détruite, elle sera reconstruite. »
Après l’assassinat du bébé Shalhevet Pass, 10 mois, abattue en 2001 par un sniper palestinien, Frankel prend la plume et écrit : « Malgré cet horrible assassinat la flamme de la petite Shalhevet ne s’est pas éteinte (Shalhevet signifie petite flamme en hébreu) ».
« Nous avons construit notre pays, nous avons vécus ici, dans la ville de nos ancêtres. Une nouvelle fois, nous avons rétabli la beauté ici. Trois générations ont déjà vécu dans la ville de notre patriarche Avraham. La petite Shalhevet qui a été assassinée était une petite fille pour nous tous. En ce jour, nous devons pointer du doigt les responsables des Accords d’Oslo et devons dire : Shalhevet a été victime d’Oslo, un accord qui a placé la communauté juive dans un piège mortel. Nous pleurons la mort de la petite Shalhevet et jurons de ne jamais éteindre sa flamme dans le cœur de chacun de nous ».
Son œuvre la plus connue est sans nul doute la trilogie Saül et Johanna, « les Pères, la mort des Pères, les Fils », ( Sha’ul ve-Yohannah, 1956-1969) qui décrit le sort des Juifs allemands sur trois générations jusqu’à l’époque nazie.
Citons encore « Mon cher Ami », (Dodi Ve-Re`i, 1973), qui fut adapté à la télévision et « Une fleur sauvage » en 1983.
Elle est aussi l’auteur de romans pour enfants tels : L’enfant qui a grandi sur les rives de l’Assi (‘Na`ar Gadel Al Gdot Ha-Assi, 1977) ou encore Racheli et le petit homme (Raheli ve-ha-Ishon, 1998).
Son œuvre est couronnée de nombreux prix dont le Prix Ruppin 1956, le Ussishkin Award 1862, le Prix de la presse en 1971 et le Prix Neumann en 2005.
Son œuvre est très peu traduite, hormis la trilogie historique, en allemand. Un défaut de traduction probablement dû à l’écriture même de Frankel. Réinventant sans cesse l’hébreu, Frankel mêle avec bonheur dans ses textes l’hébreu biblique comme moderne, le yiddish voire le ladino ainsi que des mots étrangers. Elle n’hésite pas, afin de donner plus de vie à l’action, au texte, à jouer avec les répétitions de mots ou de syllabes, créant ainsi de multiples jeux de mots. Elle intensifie l’expression de l’émotion en utilisant force exclamations de surprise, synonymes, antonymes et contrastes ainsi qu’une ponctuation abondante. Souhaitons que des adaptations en langue anglaise et française soient prochainement sur le marché afin de permettre une nécessaire diffusion de la formidable écriture de Noami Frankel.
Elle sera inhumée ce dimanche à 14 heures au cimetière du kibboutz Beit Alfa.
Verre soufflé et verre taillé
Par Gilles Raphel
Aschkel nous ayant présenté Hayé Sarah et Hébron et à un mois de ‘Hanoucca, l’envie nous est venue de nous intéresser au verre, au verre soufflé et au verre taillé.
Le verre trouve son origine en Mésopotamie et au Proche-Orient, essentiellement en Syrie actuelle. Pline l’ancien indique dans son œuvre « Histoire naturelle » que le verre aurait été découvert en Eretz Israel par des marins phéniciens faisant cuire leurs aliments sur des feux de bois recouverts par des pierres de salpêtre, le salpêtre, en chauffant, se mêlait au sable du sol, se liquéfiait et en refroidissant formait du verre. Le verre fondant à une température de 1300°C, cette hypothèse reste douteuse.
Flavius Josèphe, précise dans son Histoire que, dans la région d’Acco, se trouve un sable propre à la fabrication du verre : « ce sable, étant jeté dans le fourneau, se convertit aussitôt en verre ».
La tribu de Zevoulon, commerçants et voyageurs aurait eu le monopole de l’industrie du verre et, plus tard, le verre blanc d’Antioche et de Tyr, un temps réputé, était fondu par des artisans Juifs.
La technique du verre soufflé, inventée au premier siècle avant le temps présent vraisemblablement en Syrie n’est pas sans rappeler l’insufflation de la vie dans Adam par D.ieu (Genèse 2, 7), en effet, contrairement aux autres formes de vie produites de terre et d’eau, D.ieu a lui-même insufflé à Adam une âme vivante au moyen d’une canne.
Moïse, bénissant la tribu de Zevouloum dit : « Ils aspirent la richesse des mers et les trésors cachés dans le sable » (Deu. 33 ; 19), ces trésors cachés sont les sables destinés à fabriquer le verre (Traité Meguila 6a).
Le verre soufflé
La tradition du verre soufflé demeure à Hébron où, dans « le quartier des souffleurs de verre » se trouvent encore de nombreuses verreries artisanales. Le verre d’Hébron est réputé pour ses couleurs, jaune, vert et bien entendu le célèbre bleu cobalt obtenu grâce à l’oxyde de cobalt. Les ateliers d’Hébron, traditionnellement, fabriquent des ustensiles de cuisine courants (plats, vases, brocs, bols et verres) ainsi que des bijoux.
Le verre taillé
A l’approche de ’Hanoucca nous voulions vous présenter les œuvres de Patrick Jacob, un verrier installé à Vence dans le sud de la France. Patrick Jacob emploie le verre comme d’autres le tissus, il le coupe, le taille, le colle, l’allie et fait apparaître des objets puissants et lumineux. Voici, en préparation de la fête des Lumières, ses célèbres hanoukiot.
Par des assemblages de rectangles de verre P. Jacob développe la transparence, l’éclat, la profondeur et l’éternité de la Lumière.
Comment Jacques Lipchitz a rencontré D.ieu
Le Rabbi et le Sculpteur
par Dovid Zaklikowski
Jacques Lipchitz au travail
C'était le repas de fête qui suit la cérémonie du Rachat du Premier-Né, le rabbin de la communauté avait placé ses mains sur la petite tête de 'Haïm Yaacov et l'avait béni. « Mon fils, la première chose que je te souhaite est de ne pas être rabbin », lui dit-il. « Tu seras, néanmoins, un gadol beyisroel, un grand homme parmi les fils d'Israël ».
'Haïmke, c'est ainsi qu'on l'appelait dans son enfance – plus tard, on commencera à l'appeler Jacob – était le premier d'une fratrie de six enfants, né le 22 août 1891 dans la petite ville de Druskieniki, en Lituanie. Le fils d'Abraham Lipchitz, l'un des philanthropes de la ville, avait été « racheté » par son père à un descendant du Grand Prêtre Aaron, en grande pompe et en présence des dirigeants de la communauté juive, le trentième jour après sa naissance. Ce rite commémore la dernière plaie que D.ieu infligea aux Égyptiens, D.ieu épargna alors les premiers-nés du peuple d'Israël du sort (la mort) dont souffrirent les premiers-nés égyptiens.
Plus tard, Rachel Lipchitz, la mère de l'enfant, lui racontera cet épisode et se souviendra, comme elle le lui rappellera, qu'il était destiné à un grand avenir.
Et bien entendu, les sculptures de ce garçon sont, de nos jours, des œuvres prisées dans musées et galeries ; jusqu'à ce jour, les créations de Jacques Lipchitz sont exposées dans des lieux prestigieux du monde entier. Lipchitz est considéré comme le premier sculpteur cubiste, le Cubisme étant l'art de sculpter des formes qui donnent des impressions différentes selon les divers angles dont on les observe.
Un sculpteur sans éducation
Abraham Lipchitz qui, entre autres activités, était entrepreneur était rarement à la maison. 'Haïmke était ainsi élevé en grande partie par sa mère. Sa grand-mère maternelle, 'Haya Feigel Krinsky, une jeune veuve, faisait partie intégrante de sa vie pendant sa jeunesse.
Sa scolarité au 'Heder de la ville, l'école religieuse dans laquelle il poursuivait ses études juives, n'était pas adaptée à sa personnalité. À la fin de chaque journée d'école, sa mère s'asseyait et lui enseignait tout ce qu'elle savait. Il éprouva progressivement du dédain pour son père, à la suite des nombreuses réprimandes dont il était l'objet dans les moments où ce dernier était à la maison. Son père était déçu que 'Haïmke ne maîtrise pas ses études selon ses désirs et ses critères.
Depuis son jeune âge, il créait des sculptures avec n'importe quel matériau malléable qui tombait entre ses mains bien qu'il n’eût pas, à l’époque, la conscience de pratiquer un art. Durant ses quelques visites à la maison, Abraham réprimandait son fils en public à cause de son passe-temps : « Qu’est-ce qui va sortir de ça ? Tu seras un travailleur manuel ? Tu as besoin de ça comme un cadavre a besoin de ventouses ! »
De l’autre côté, sa mère l’encourageait. « En quoi cela te nuit-il ? » disait-elle à son mari, « Laisse-le jouer ! »
‘Haïmke continuait, apprenant davantage des ouvriers de son père, les charpentiers et maçons qu’il employait. Il retirait une grande fierté des progrès qu’il faisait en apprenant leur métier. Mais, tandis que son père voulait qu’il devînt le directeur de ses usines, il avait d’autres idées en tête.
L’époque parisienne
Jacques Lipchitz dans son atelier parisien à l’âge de vingt ans
Avec la bénédiction de sa mère, il partit en 1909 pour Paris où il suivit des cours d’art pour une courte période.
Une fois arrivé et suivant les encouragements de sa mère, il écrivit une lettre à son père pour lui demander pardon. Il dira plus tard : « Après mon départ pour Paris, mon père m’a pardonné et, aussi longtemps qu’il le put, m’a apporté son soutien financier ».
A Paris, il devint l’ami proche d’artistes renommés tels Soutine, Modigliani, Chagall et Picasso.
C’est là qu’il obtint le nom de Jacques quand il fut enregistré au commissariat et qu’un officier de police, traduisant du russe, inscrivit le nom de Jacques à la place de Jacob. C’est également à Paris qu’il épousa sa première femme, Berthe Kitrosser.
C’est pendant ce séjour à Paris qu’il cessa d’observer la loi juive. Cependant, quand on lui demandait s’il s’identifiait à un Juif, il répondait : « Ikh bin gemalt [je suis circoncis]. Je suis un Juif et je reste un Juif. Je suis croyant et l’ai toujours été. » Après le décès de son père, il se rendit à la synagogue pour dire le Kaddish, la prière des endeuillés.
Lipchitz eut une vie à l’image de celle des Juifs d’Europe du début du 20ème siècle, ayant subi l’antisémitisme pour la première fois à l’âge de cinq ans et survécu aux atrocités nazies en France occupée.
Ces épreuves marquèrent sa sculpture. Plus tard, tandis que sa pratique du Judaïsme progressait, son identité juive eut un impact encore plus fort sur son œuvre.
Un nouveau pays, une nouvelle vie
Lipchitz et sa seule enfant Lolya
Il arriva aux États-Unis en 1942 grâce à l’aide du Museum of Modern Art et de l’American Rescue Committee.
« Quand j’ai quitté la France pour la première fois en 1941, raconta Lipchitz, j’ai été obligé de tout laisser, mon atelier, ma maison, ma collection, et je m’étais résigné à l’idée que tout était perdu ou détruit. C’était une nouvelle vie que je commençais aux États-Unis. »
Après la guerre, en 1946, Lipchitz fut sollicité pour réaliser une exposition à Paris. Il s’en fit un prétexte pour aller voir ce qu’il était advenu de sa maison, son atelier et sa collection d’art.
C’est au moment où il se trouvait en France que Berthe, son épouse, lui dit qu’elle n’aimait pas les États-Unis et qu’elle ne voulait pas y retourner. « Elle ne voulait pas venir, alors je suis retourné seul. »
Ils divorcèrent civilement par la suite.
C’est un ami, Leib Jaffe, qui le présenta à Yulla Haberstadt qui travaillait pour le American Jewish Congress. Elle était née à Berlin dans une famille ‘hassidique à l’inverse de la famille de Jacques qui faisait partie des opposants au ‘Hassidisme, c'est-à-dire les Mitnagdim, tels qu’ils étaient appelés Cela ne les empêcha pas de se plaire mutuellement.
Yulla avait été mariée précédemment et avait deux enfants : Hanno et Frankie Mott. Hanno était avec son père quand sa mère se remaria et Frankie, avec les parents de Yulla. Frankie avait reçu de ses parents, qui étaient des Juifs pratiquants, une instruction et une éducation juives religieuses. Quand Frankie s’en fut plus tard habiter avec sa mère, Jacques, le nouveau mari de Yulla, ne poursuivit pas son éducation juive, étant tellement éloigné de la pratique du Judaïsme. Toutefois, il pourvut à ses besoins en matière de Judaïsme.
Le désillusionnement de Jacques à l’égard de la religion perturbait Yulla. « Ma femme vient d’une famille orthodoxe très religieuse, raconta plus tard Lipchitz. Elle était contrariée par le fait que, bien que je me considérasse comme un Juif croyant, je n’ai pas été orthodoxe dans l’observance des rites du Judaïsme. »
La guérison qui entraîna la clarté
"La guerre" par Jacques Lipchitz, présentée au Rabbi par le sculpteur
C’était un matin étrange, ce 20 novembre 1958. En se réveillant comme d’habitude peu avant six heures, Lipchitz désactiva la sonnerie du réveil afin qu’il ne dérange pas en sonnant sa femme qui dormait. Il se redressa dans le lit, pris d’un tremblement soudain, ferma les yeux et vomit ; il sentit le goût du sang. Mais la première pensée qui lui vint à l’esprit fut : « Je ne pourrai pas travailler aujourd’hui. »
Il se leva et se traîna jusqu’à la porte, tomba et fit une autre hémorragie. Sa fille Lolya, en pleurs, se pencha alors vers lui et Lipchitz lui dit : « Chérie, s’il te plait, appelle Maman. » Yulla avait également entendu le bruit de sa chute. Elle accourut rapidement, disparut et réapparut avec une couverture dont elle l’enveloppa. Elle appela le médecin qui lui dit de ne pas le déplacer.
Lipchitz était conscient et sentait qu’il dérivait vers le néant. L’ambulance arriva. Sur le brancard qui le transportait vers celle-ci, il fit encore une hémorragie. Sur le chemin de l’hôpital, il perdit connaissance.
Lipchitz sentit qu’on le déplaçait à nouveau, qu’il était soulevé, couché, sans cesse ballotté. Des aiguilles de lumière s’enfonçaient à travers ses paupières, alternant avec de longs intervalles de ténèbres et d’inertie. Son corps restait figé et rigide, même dans ses moments de conscience, même quand il parvenait à distinguer Yulla, qui était présente au fond du gouffre de noirceur dans lequel il replongeait sans cesse.
Elle attendait en silence.
Elle se sentait sans autre ressource que la prière, « Laisse le vivre, ô mon D.ieu, laisse le vivre. »
Quand il fut soudain tiré de l’inconscience, il chercha du regard Yulla à côté de son lit. Elle était là, assise près de la fenêtre. Elle lui parla doucement, lui disant qu’il avait été très malade, qu’il avait eu plusieurs transfusions de sang et qu’il avait un cancer de l’estomac. Elle lui dit qu’il avait été opéré de l’estomac au Mount Sinai Hospital, et que c’est là qu’il se trouvait.
Son esprit fut assailli de pensées, il commença à se demander quelles étaient ses chances de survie. Il devait désormais être prêt à dire adieu et à vivre chaque jour comme si c’était le dernier. Il pensa à son art ; travaillerait-il à nouveau ? « C’était évidemment un problème majeur dans ma vie, car j’avais la mort en face de moi, » rappellera-t-il plus tard.
« Ils m’ont administré des transfusions parce que j’avais perdu soixante-dix pour cent de mon sang. Maintenant, personne ne peut dire que je ne suis pas de sang américain… »
Elle retourna à l’hôpital et raconta à son mari ce que le Rabbi, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, lui avait dit. « Si je vis, j’irai le voir, » répondit-il.Yulla demanda conseil à son frère qui était un Juif religieux. « Va voir le Rabbi de Loubavitch, suggéra-t-il, et demande-lui de prier pour ton mari. » Elle suivit son conseil. Le Rabbi l’écouta raconter son histoire et dit : « Je sais. Je vous connais et je le connais. Rentrez à la maison et ne vous inquiétez pas. Il ira bien. Il vivra. Dites-lui qu’il vienne me voir quand il sortira de l’hôpital. »
Elle retourna à l’hôpital et raconta à son mari ce que le Rabbi, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, lui avait dit. « Si je vis, j’irai le voir, » répondit-il.
« Il ne fallut pas longtemps pour que je guérisse, miraculeusement. » dit Lipchitz.
La première fois qu’il sortit de son lit d’hôpital, ce printemps-là, il dut réapprendre à marcher. Yulla se tenait à ses côtés alors qu’il faisait, chancelant, ses premiers pas. Puis il se rendit à son atelier, s’assit sur une chaise et travailla à en perdre haleine.
Lorsque vint l’automne, il avait achevé toutes les sculptures qu’il avait commencées avant sa maladie. Toute sa force vitale lui était revenue, son esprit était de nouveau incarné.
« J’ai beaucoup réfléchi pendant cette maladie, dira plus tard Lipchitz après sa guérison. J’ai senti que ce serait dommage pour moi de mourir, car il y avait tant de choses que je voulais faire encore. J’avais eu une vie difficile, mais magnifique. Il y avait tant de choses que je voulais faire.
« Je dois dire maintenant que ma femme Yulla a été merveilleuse tout au long de cette période et que, sans son aide, je n’aurais probablement pas pu reprendre mon travail aussi vite que je le fis. »
Il avait pénétré un monde nouveau, un monde d’exaltation et d’acceptation. En traversant les tourments du rêve de la mort, il avait atteint sa puissance maximale. Il avait appris le sens du temps, le caractère éphémère de la chair, la pérennité de la fibre de l’esprit. Il était rentré dans une nouvelle vie.
Il se demandait « comment exprimer un retour (à la vie quotidienne) qui lui avait été donné par le Maître de la création, pas seulement dans l’essence, mais aussi dans le discours et les actes ? »
La rencontre du sculpteur et du Rabbi
Le Rabbi, Rabbi Mena’hem Mendel Schneerson, de mémoire bénie, à l’époque de sa première rencontre avec Lipchitz.
L’été s’était terminé et Jacques se sentait beaucoup mieux. « Je dis à ma femme : allons voir le Rabbi. J’ai mis mon béret et nous voilà en route pour aller voir le Rabbi, » rappellera-t-il plus tard.
« Je me souviens de la nuit où M. Lipchitz et son épouse vinrent voir le Rabbi, rappelle Rav Yéhouda Krinsky, qui était alors un des secrétaires du Rabbi. Je me souviens de la canne et du soutien dont il avait besoin. Il était sur la voie de la guérison quand il est venu. Il n’était pas ce qu’il serait des années plus tard, un beau spécimen, physiquement parlant ».
« Je lui ai tout dit, rapporta Lipchitz, au sujet de mes actes, de mes péchés. J’ai tout détaillé devant lui, je ne lui ai rien caché. Je lui ai parlé de mes sculptures qui se dressaient dans des églises. »
« Le Rabbi a tout écouté. Il n’a en rien critiqué mon travail, il n’en a pas dit un mot. »
La seule chose au sujet de laquelle le Rabbi avait interrogé Lipchitz était son Judaïsme. Lipchitz dit au Rabbi : « Je ne suis pas cachère. Je ne prie pas, je ne vais pas à la synagogue. J’ai sculpté une vierge pour l’Église catholique. »
Le Rabbi formula deux requêtes. Tout d’abord, il demanda à Lipchitz de mettre les phylactères (téfilines) et de prier tous les matins.
« Il m’a également demandé de divorcer de mon ex-femme selon la loi juive, dit Lipchitz, et il m’a dit que je devrais épouser ma femme sous la ‘Houpah, » la cérémonie du mariage juif qui se fait sous un dais.
Quand Lipchitz sortit de son audience devant le Rabbi, il ne souhaitait pas répéter ce qui s’y était dit. « Ceci ne doit pas être touché, » murmura-t-il.
Une partie intégrante de la vie
« Quelques jours plus tard, [le Rabbi] a envoyé un homme avec des téfilines, » dit Lipchitz.
Mettre les phylactères rituels, appelés téfilines, portés sur la tête et le bras, était quelque chose qu’il avait pratiqué jusqu’à l’âge de dix-huit ans, jusqu’à son départ pour Paris. A la demande du Rabbi, il se remit à les porter à l’âge de soixante-sept ans.
« Depuis ce jour, je daven (prier, en yiddish) tous les matins, dit-il. Cela m’est d’un grand secours. Il a vraiment fait quelque chose pour moi en me conseillant de le faire, car je ne peux pas faire un pas dans la journée si je ne daven pas. »
« Cela me relie à tout mon peuple. Je suis avec lui. Et je suis près de mon D.ieu, du Tout-Puissant. Je Lui parle. Je ne peux faire aucune prière spécifique, mais je Lui parle. Il me donne de la force pour la journée. Autrement, je ne pourrais pas bouger, » dit-il au sujet de l’importance qu’il ressentait si fort de prier et mettre les téfilines.
Quand on lui demanda pourquoi le Rabbi avait choisi la mitsva des téfilines et pas une autre, il répondit : « Je ne peux pas parler pour lui. Je sais qu’il a fait quelque chose de très important pour moi. Je ne pourrais plus vivre sans cela. »
Lipchitz avec sa femme Yulla et sa fille Lolya
« J’ai suivi les instructions du Rabbi, dit Lipchitz au sujet de sa requête concernant son divorce et son mariage selon la loi juive. J’ai retrouvé ma première femme à Paris et après maints efforts, j’ai organisé un divorce religieux. »
C’est ainsi qu’est décrit leur mariage, scène qui clôture sa biographie de 1962 :
Ils sont rentrés dans la pièce, Yulla en doré pâle avec un petit voile, lui, dans ses vêtements de jeunesse. Dans ce voyage dans le temps, il avait traversé le cercle parfait, retournant à l’alvéole d’un rituel ancien pour chercher sa libération.
Ils avaient traversé le fleuve pour se rendre dans le quartier de la ville où rien n’avait altéré les sources de la foi qui ainsi se déversait dans la vie quotidienne de ces gens qui s’asseyaient au pied de leur sage ; il avait purifié son cœur, sa langue et ses membres et avait fait descendre en lui le sens de la prophétie. Des hommes portant papillotes et kippa (calottes) ou des chapeaux à larges bords, la barbe et des redingotes : l’image du shtetl.
Un magnifique vieux monsieur avec une longue barbe et des yeux doux et naïfs vint les accueillir. « Nous avons minyan, dit-il en montrant du doigt les dix hommes. Et il y a des rafraîchissements. » Le rabbin prononça les bénédictions nuptiales sur un verre de vin dont ils burent chacun une gorgée.
On la fit tourner sept fois autour de lui et son voile doré fut soulevé. Le verre dont ils avaient bu fut placé sur le sol et brisé. « Mazel tov ! » crièrent-ils. Il l’avait toujours su : on doit être pénétré de tout ce qui nous entoure.
La sculpture était le soleil que l’on peut atteindre de la main. Toutefois la sculpture ne commençait à vivre qu’après avoir été exposée à la lumière, et l’homme ne commençait à vivre qu’après avoir été exposé à la lumière. Il allait désormais s’abandonner à la lumière qui illumine le mystère et l’évidence. Jusqu’à présent il pensait qu’il avait contemplé le passé, mais maintenant il comprenait qu’il avait en fait cherché l’avenir. Tels sont les débuts...
La relation s’épanouit
« Nous sommes devenus de bons amis, dit Lipchitz au sujet de sa relation avec le Rabbi. C’est un homme fabuleux et c’est un mystique. Nous restons en contact et je l’apprécie beaucoup. »
D’après Lipchitz, le Rabbi le connaissait déjà avant leur rencontre. « Il en savait beaucoup sur moi, parce que son beau-père [Rabbi Yossef Yits’hak, de mémoire bénie, le sixième Rabbi de Loubavitch] avait vécu dans un hôtel qui avait appartenu à ma mère dans notre petit village de Russie. Quand il était un jeune rabbin, il rendait visite à son beau-père de temps en temps à cet hôtel. »
« Le vieux Rabbi raconta à ma mère que son gendre vivait à Paris et étudiait à la Sorbonne. Ma mère lui dit qu’elle avait un fils à Paris. Quand il retourna à Paris, le gendre s’est renseigné et a tout appris sur mon compte. »
Lipchitz s’efforça de venir au quartier général mondial du mouvement Loubavitch, pour se joindre à la foule qui écoutait les discours publics du Rabbi, appelés farbrenguen ou rassemblements ‘hassidiques. « J’essaye d’y aller et c’est toujours une expérience extraordinaire, » dit-il. Il exprima plus tard par écrit son appréciation de ces rassemblements.
« Mes rencontres avec ‘Habad se sont déroulées à de nombreux niveaux, écrivit-il. Chacune était stimulante et enrichissante en elle-même, mais j’aurais aimé que tout le monde puisse assister à un farbrenguen du Rabbi.
« Le Rabbi parle. Ses mots, comme jaillis d’une fontaine de jouvence, sont littéralement absorbés par des milliers d’oreilles, dévorés par des milliers d’yeux brûlants d’espoir et inspirent des milliers d’âmes qui éprouvent l’amour de leur foi et de leur prochain.
« Quiconque assiste à cette scène, en plein New York du milieu du vingtième siècle, est assurément convaincu qu’ici bat un cœur généreux qui irradie vers nous tous la foi, la connaissance et l’espoir. »
« Nous nous sommes rencontrés à maintes reprises, raconta Lipchitz lors de l’une de ses dernières interviews, donnée en l’honneur de son quatre-vingtième anniversaire. Au cours de nos entrevues, nous avons parlé de toutes sortes de sujets ; cependant, je ne l’ai jamais entendu parler en bien ou en mal de mon travail et de mes créations.
« Je viens souvent à la “cour” de Loubavitch ; j’y trouve ma véritable sérénité. Souvent, après mes expositions ou un cocktail, où tout est rayonnant et scintillant, je m’esquive et file au “770”. Je m’assois là-bas avec les vieux ‘Hassidim ; je chante et danse avec eux. À ce moment, mon bonheur est sans limites. »
Dans sa dernière lettre connue adressée au sculpteur, le Rabbi évoque la santé de Lipchitz et une leçon que l’art nous enseigne (2 février 1972) :
La lettre du Rabbi
J’ai été désolé d’apprendre que vous ne vous sentiez pas très bien, mais je suis confiant dans le fait que lorsque vous recevrez cette lettre, votre santé se sera améliorée de manière satisfaisante. Dans la mesure où n’importe quelle chose est toujours sujette à amélioration, je souhaite que l’amélioration de votre état se poursuive et une Refouah Chelemah [une guérison complète].
Ne sachant pas quel genre de patient vous êtes, je prends la liberté d’exprimer avec confiance mon espoir que vous suivez les instructions de votre médecin. Même si cela peut entraîner une période de repos forcé et l’interruption de votre travail, ce contre quoi je suis certain que vous militerez, j’ai néanmoins confiance dans le fait que vous surmonterez cela de manière à accélérer votre entier rétablissement.
Les Juifs ont coutume de relier toute chose à la section hebdomadaire de la Torah. Nous avons lu de façon significative, dans la paracha de la semaine ורפא ירפא [« et il pourvoira à sa guérison »], ce que nos Sages interprètent comme étant le mandat donné aux médecins pour soigner et guérir. De plus, notre illustre maître, le Rambam [Maïmonides], qui était un célèbre médecin au premier sens du terme ainsi qu’un grand guérisseur spirituel, l’intégra à son grand Code de lois : היות הגוף בריא ושלם מדרכי ה' הוא (הל' דעות ר"פ ד') [« Que le corps soit sain et entier fait partie des chemins du service de D.ieu.]
Pour paraphraser le Rambam, et appliquer cela au domaine dont nous avons eu l’occasion de discuter, nous pouvons dire que ce que le Rambam exprime ici est que pour que le corps physique soit apte à servir D.ieu, c’est à dire élever et sublimer le physique en spirituel, ou pour révéler la spiritualité cachée dans le matériel, ce qui est la clé de l’Unicité divine présente en toute chose – il est nécessaire que le corps physique soit en bon état et en bonne santé. Je pourrais ajouter que dans le domaine de la sculpture qui vous est propre, cela est aussi une évidence. Car, pour réaliser une idée à partir d’un morceau de matière inerte, qu’il s’agisse de métal, de bois ou de pierre, il est, bien sûr, nécessaire que le matériau soit en bon état.
Je suis sûr que vous ne trouverez pas présomptueux de ma part de m’immiscer dans votre domaine. Je souhaite seulement vous faire adhérer à la chose essentielle, c'est-à-dire la nécessité de suivre les instructions de votre médecin.
En vous souhaitant une Refouah Chelemah, et avec mes plus amicales pensées à vous et votre famille,
Avec ma bénédiction,
M. Schneerson
Visites aux communautés juives
Lipchitz (au centre), sa femme Yulla et l’artiste ‘hassidique Hendel Lieberman à l’exposition d’art ‘hassidique à Détroit, Michigan
À un moment, au cours de leur relation, Lipchitz demanda au Rabbi comment il pourrait lui rendre tout le bien qu’il lui avait fait.
« Partout où vous allez et où il y a des émissaires Loubavitch, vous devriez leur téléphoner, leur dire que vous êtes Jacques Lipchitz et que vous aimeriez les aider, » dit Lipchitz, en citant les mots du Rabbi.
Le Rabbi dit : « Ils [les émissaires] ne sauront pas qui vous êtes. Alors dites-leur qu’ils devraient en parler à ceux qui les soutiennent, ceux-là sauront qui vous êtes. »
Depuis lors, Lipchitz soutenait les émissaires ‘Habad-Loubavitch. Ce qui suit représente quelques exemples du soutien qu’il leur a prodigué.
Détroit, Michigan
« L’exposition d’art ‘hassidique a été inaugurée au Wayne State University Community Arts Exhibit Hall, mardi soir, relata le journal Detroit Jewish News du 15 décembre 1967.
« Ce fut un mélange inhabituel, marqué par la présence d’artistes distingués, d’éminents conférenciers ‘hassidiques, de personnalités communautaires provenant de nombreux domaines d’activité, rajoutée à l’exposition des œuvres de deux ‘Hassidim dont les peintures méritent le plus grand intérêt. »
« Jacques Lipchitz, considéré comme le plus grand sculpteur juif vivant, est venu au vernissage de l’exposition et a pris la parole au cours du dîner d’ouverture. Il est venu avec Mme. Lipchitz et s’est également exprimé lors de la réception donnée lundi en leur honneur, au domicile de Mme. Emma Schaver, à Southfield. »
Un mois avant cet événement, Lipchitz répondait à une lettre du centre Loubavitch du Michigan :
Le 17 septembre 1967
Pieve Di Camaiore (Lucca) Italia
Cher Rav Berel Shemtov,
Lettre de Lipchitz au Rav Shemtov du centre Loubavitch du Michigan en 1967
Merci de votre gentille invitation à me rendre à votre dîner et à l’exposition d’art ‘hassidique. Je suis très honoré d’être avec vous tous à cette occasion. À la fin d’octobre, je serai de retour aux États-Unis et c’est seulement à ce moment-là que je pourrai vous envoyer le matériel que vous demandez.
Merci de vos vœux, et si un pauvre « misnagued » peut adresser sa bénédiction à un Rav ‘hassidique, laissez-moi vous souhaiter ainsi qu’aux vôtres et au כל[ל] ישראל (le peuple juif) un Ksivah Ve’hassima Tova [l’inscription pour une bonne année].
Respectueusement vôtre
חיים יעקב ליפשיץ [Haïm Yaakov Lipchitz]
Le Rabbi envoya ses vœux pour l’événement dans une lettre datée du 7 décembre 1967 :
... Je voudrais saisir cette opportunité pour faire le commentaire suivant que j’ai eu l’occasion de mentionner à notre très distingué ami, M. ‘Haïm Yaacov Lipchitz qui, je suis heureux de le noter, va inaugurer l’exposition. Je connais M. Lipchitz depuis de nombreuses années et connais son intérêt sincère pour tout ce qui est bon, spécialement dans ce qui est relié à notre peuple. La question est la suivante : ceux qui ont reçu un don divin pour l’art, que ce soit la sculpture, la peinture et l’équivalent, ont le privilège d’être capable de convertir un objet inanimé, tel un pinceau, de la peinture et des toiles, ou du bois et de la pierre, etc… en une forme vivante. Dans un sens plus profond, c’est l’aptitude à transformer, d’une certaine manière, le matériel en spirituel, même lorsqu’il s’agit d’une nature morte, et certainement lorsque l’œuvre concerne des créatures vivantes et des êtres humains. Bien davantage si l’art est utilisé comme moyen de transmettre des idées, particulièrement lorsqu’il reflète la Torah et les Mitzvot, ce qui élève alors le talent artistique à son plus haut niveau.
Telle est bien la finalité de cette exposition qui, je l’espère, suscitera chez les visiteurs des émotions plus élevées et leur fera ressentir les principes du Judaïsme tels qu’empreints de l’esprit de la ‘Hassidout, faisant d’eux, à leur tour, des vecteurs du Judaïsme dans leur entourage et, en particulier, à travers les institutions éducatives…
Lors de cet événement, Lipchitz parla de sa relation avec le Rabbi et du fait qu’il mettait les téfilines tous les jours. Il dit qu’un artiste a besoin d’inspiration, qu’il doit attendre qu’une certaine chose descende en lui – il appelait cela « l’esprit sain » – et que, pour lui, le fait de mettre les téfilines lui donnait l’inspiration pour la journée.
Le Detroit Jewish News concernant l’exposition d’art ‘hassidique à laquelle a assisté Lipchitz
Los Angeles, Californie
Dans une lettre (du 5 mai 1969), le Rabbi écrit à Lipchitz (« ‘Haïm Yaacov Lipchitz ») qui séjournait alors à La Quinta, en Californie :
"Merci beaucoup pour votre lettre du 21 avril. J’ai été enchanté de constater que vous vous sentez beaucoup mieux, du point de vue de votre santé.
... Je viens de recevoir des nouvelles positives de Rav Krinsky qui m’indiquait que votre séjour dans votre environnement actuel est satisfaisant. Il m’a dit aussi que vous avez déclaré être prêt à rencontrer certains de nos représentants sur la Côte Ouest qui sont actifs dans la diffusion de la Yiddishkeit [le Judaïsme] dans cette région. Je suis sûr que cette rencontre sera mutuellement bénéfique, tant pour vous que pour eux.
Je vous adresse mes meilleurs souhaits et mes plus chaleureuses salutations".
Lipchitz, lors d’une manifestation au centre ‘Habad de Californie pendant le discours de Rav Schlomo Cunin.
Un jour, Rav Baroukh Schlomo Cunin, directeur du centre ‘Habad de la Côte Ouest, reçut cet appel.
« Bonjour, mon nom est Jacques Lipchitz, savez-vous qui je suis ? »
« Bonjour, mon nom est Rav Cunin, savez-vous qui je suis ? »
Lipchitz se mit à rire et lui dit que le Rabbi l’avait envoyé pour lui parler de ce qu’il pourrait faire pour lui.
Cunin, qui n’avait pas entendu parler de Lipchitz, se tourna vers l’un des sponsors de ‘Habad-Loubavitch en Californie, Alan Lazaroff, qui organisa une rencontre à son domicile.
Au cours de cet événement, il dit qu’il mettait les téfilines tous les jours, s’attachant à D.ieu, à Sa Torah, à Son peuple et au reste du monde.
Pietrasanta, Italie
« Je suis allé pour la première fois en Italie en 1962, sur l’invitation d’une dame qui faisait partie de nos relations, tout d’abord parce qu’elle m’avait dit qu’il y avait une bonne fonderie près de chez elle, » dit Lipchitz au sujet de l’acquisition de sa villa à Pietrasanta, dans la province de Lucca, en Italie.
Lipchitz pendant la réalisation de l’une de ses sculptures, à sa villa de l’île de Capri, Italie
C’était là que Lipchitz avait continué à réaliser une grande partie de son travail, huit mois par an, et le reste de l’année il retournait à New York. Plus tard, il y acheta une maison, « même si j’ai pensé que c’était beaucoup trop grand et trop cher pour nous et que nous avons dû faire d’énormes travaux pour la rendre habitable ».
Dans le post-scriptum d’une lettre adressée à Lipchitz (le 7 juin 1962), le Rabbi écrit au sujet de son futur voyage en Italie :
"Au regard de votre projet de voyage en Europe et de travail en Italie que vous avez mentionné, je suis sûr que vous pouvez avoir l’occasion de visiter Milan et de faire connaissance avec un jeune couple, Rav et Mme. Garelik (Via Giulio Uberti ). Rav Garelik est né, et a été élevé les dix premières années de sa vie, sous le régime bolchevique. Sa femme est née américaine et a renoncé à toutes les facilités de la vie américaine pour s’associer à son mari dans la mission de diffuser la Yiddishkeit en Italie, spécialement auprès de la jeune génération. Malgré des difficultés initiales et le problème de la langue, ils ont réussi dans leur travail grâce à leur dévouement et à leur esprit qui leur ont valu reconnaissance et admiration. Ceci va développer les liens mutuels qui unissent partout les Juifs par le biais de la Torah et des Mitzvot qui sont éternelles et ne connaissent pas de frontières. Dans un sens, l’art de la sculpture est analogue en ce que, par le biais de l’idée créative, il anime la matière brute inanimée, lui donnant une forme et une vie qui suscite des réponses de la part du spectateur".
Les Garelik gardèrent le contact avec les Lipchitz tout au long de leur séjour dans le pays. Avant les fêtes juives, ils leur rendaient visite pour leur apporter des provisions pour les fêtes. En 1979, à la suite du décès de Lipchitz, sa femme Yulla fit don de leur propriété au centre Loubavitch de Milan. ‘Habad y transféra plus tard sa colonie de vacances, le Camp Gan Israël qui y demeure toujours aujourd’hui.
Kfar ‘Habad, Israël
Au cours d’un voyage en Israël en 1971, Lipchitz se rendit à Kfar ‘Habad pour y célébrer son prochain quatre-vingtième anniversaire.39 Il y vint avec sa femme Yulla et le fils de celle-ci, Hanno Mott ; ils célébrèrent l’anniversaire et dansèrent dans l’école de filles puis ils firent ensemble le tour du petit village.
Au cours de cet évènement qui dura plus de deux heures et demie, Lipchitz parla de son enfance et de la danse ’hassidique qui, dit-il, lui donnait de la force dans son travail.
Lipchitz célébrant son quatre-vingtième anniversaire à Kfar ‘Habad.
Le journal israélien Yédiot A’haronot relate les danses
hassidiques qui ont jailli à cette occasion.
La dernière requête de Lipchitz
« J’ai souvent rendu visite à Lipchitz dans sa maison de Hastings-on-Hudson, raconta Rav Krinsky, et Lipchitz me rendait visite. Il ne venait pas chez moi à cause du luxe ou des bons repas. Je ne vis pas dans un palais. Je vis dans un deux-pièces à l’étage et pourtant, il en raffolait : la famille, les enfants. Il venait parce qu’il en avait envie. »
Lipchitz écrivait aux Krinsky pendant ses fréquents voyages en Italie pour travailler dans son atelier et il leur téléphonait dès son retour à New York. La première question qu’il posait à Rav Krinsky était : « Comment va le Rabbi ? »
Lipchitz se trouvait à New York un mois avant sa mort ; il arriva curieusement le jour de la mort de Picasso. Sa mort fut un grand choc pour lui. « Il parla longuement de Picasso, dit Rav Krinsky ; du fait que Picasso pensait qu’il avait beaucoup de sang juif en lui, qu’il descendait de Marranes et que c’est pour cette raison qu’il aimait les Juifs et s’efforçait d’être bon envers eux. »
Lipchitz dessina une matrice d’assiette, à partir de laquelle des assiettes en or et en argent pourraient être fabriquées et vendues au bénéfice du mouvement ‘Habad Loubavitch. « Une semaine plus tard, il m’appela, dit Rav Krinsky. Il avait besoin d’assistance concernant les lettres hébraïques. » Krinsky s’est rendu chez lui et était sur le point de partir quand Lipchitz le prit dans ses bras et lui dit au revoir.
« Je le connaissais depuis longtemps, dit Krinsky, et nous étions très proches, mais ce fut la première fois qu’il agit ainsi. Ce fut notre dernière rencontre. »
Il avait demandé à être enterré par les ‘Hassidim Loubavitch à Jérusalem quand il mourrait.
Quand il fut informé de la mort de Lipchitz, le 26 mai 1973, sur l’île de Capri, le Rabbi y envoya Rav Gershon Garelik de Milan accompagné de membres d’une société du dernier devoir (‘Hevra Kadisha) afin de préparer le corps pour l’enterrement. Il y eut un problème de transport mais, deux jours plus tard, le corps était en route pour Israël. Les ‘Hassidim et les dirigeants ‘Habad- Loubatvitch se rendirent de Kfar ‘Habad à l’aéroport et accompagnèrent le cercueil à Jérusalem. Ils restèrent auprès de lui jusqu’à l’enterrement.
La coutume ‘Habad veut qu’on ne fasse pas d’éloge funèbre. Donc il n’y en eut pas. Cependant, Teddy Kollek, le maire de Jérusalem et ami proche de Lipchitz, dit quelques mots près de sa tombe.
Voir le positif
Une adaptation de Notre Arbre de Vie de Lipchitz, représentant l’histoire du peuple juif.
Une centaine d’épreuves de la lithographie furent présentées
au Rabbi.
Rav Krinsky raconte cet épisode qui suivit le décès de Lipchitz :
« La veuve de Jacques Lipchitz, le sculpteur renommé, était venue pour une audience privée avec le Rabbi de Loubavitch peu après le décès subit de son mari.
« Au cours de sa rencontre avec le Rabbi, elle a mentionné que, lors de sa mort, son mari était sur le point d’achever une grande sculpture abstraite d’un phénix, qui lui avait été commandée par l’organisation féminine ‘Hadassah pour l’hôpital ‘Hadassah du Mont Scopus à Jérusalem.
« En tant qu’artiste et sculptrice elle-même, elle dit qu’elle aurait aimé achever l’œuvre de son mari, mais, dit-elle au Rabbi, elle avait été informée par des responsables juifs qu’un phénix est un symbole non-juif. Comment pourrait-il être placé à Jérusalem, rien de moins !
« Je me tenais près de la porte du bureau du Rabbi ce soir-là, lorsqu’il m’appelé et m’a demandé de lui apporter le Livre de Job de sa bibliothèque, ce que je fis.
« Le Rabbi ouvrit le chapitre 29, verset 18 : “Je multiplierai mes jours comme le‘Hol.”
« Puis le Rabbi commença à expliquer à Mme Lipchitz le commentaire midrachique de ce verset qui décrit le ‘Hol comme étant un oiseau qui vit pendant un millier d’années, puis meurt et est ensuite ressuscité de ses cendres.
« C’est donc clairement un symbole juif.
« Mme. Lipchitz était absolument enchantée et le projet fut achevé peu après.
« Conformément à sa nature, le Rabbi avait discerné le positif là où le sens commun ne voyait que du négatif. »
Peu après cette entrevue, le Rabbi écrivit le 17 mars 1975 à Yulla. Voici quelques extraits de la lettre :
"1) J’ai été heureux d’apprendre du Rav Krinsky que tout s’est bien passé en ce qui concerne la sculpture. Puisse D.ieu permettre que tous les autres détails qui n’ont pas encore été résolus le soient prochainement.
2) Merci d’avoir envoyé la lithographie « Notre Arbre de Vie ». Je la conserverai avec moi pour son sens symbolique fort. C’est une expression des sentiments chaleureux que votre mari, de mémoire bénie, et moi-même avons partagés durant des années.
3) Laissez-moi ajouter que cette création revêt un sens très profond. L’éternité de l’âme est un élément de base de la foi juive. Cependant, l’éternité est exprimée par les bonnes actions et les contributions de la personne au cours de sa vie sur terre. Ceci est souligné lorsqu’un individu est gratifié d’En-Haut de talents exceptionnels. Votre mari fut gratifié de tels talents, qui lui valurent une grande renommée dans le monde entier. Il eut également une grande influence dans le monde de l’esprit et des idées et a servi d’exemple dans ces domaines.
4) Le symbolisme de l’arbre est particulièrement pertinent, car l’arbre est une métaphore de l’utilité, de la créativité et de la succession des générations.
5) À travers la sculpture, on prend un objet inanimé et on le remplit de vie, le rendant un vecteur d’idées, de sentiments et d’aspirations."
Je voudrais remercier ceux qui ont largement contribué aux recherches pour réaliser cet article, le premier d’une série concernant cette fascinante rencontre :
La direction de la bibliothèque Agudas ‘Hasidei ‘Habad: Rav Shlomo Ber Levine, Rav Yitzchak Wilhelm, Rav Zalman Levine et Rav Ephraim Keller.
Les émissaires ‘Habad-Loubavitch : Rav Baruch Schlomo Cunin (Los Angeles, Californie), Mme Bas Sheva Shemtov (Détroit, Michigan), Mme Bassie Garelik (Milan, Italie), Rav ‘Haïm Na’hum Cunin (Los Angeles, Californie) et Rav Avrohom Laber (Troy, New York).
Rav Yisroel Elfenbein, Rav Michoel Seligson et Rav Levi Garelik.
Deborah Stott qui a pris de son temps précieux pour me donner des pistes vers d’autres informations.
Enfin, le beau-fils de Jacques, Hanno Mott, qui a eu la gentillesse de me donner la correspondance du Rabbi avec Jacques Lipchitz et de répondre à mes nombreuses questions.
Benjamin Fondane
Par Gilles Raphel
Benjamin Fondane est né Benjamin Wechsler (ou Wexler) alias B. Fundoianu, le 14 novembre1898 à Iaşi en Roumanie et mourra assassiné dans la chambre à gaz d'Auschwitz-Birkenau le 2 octobre 1944.
Il fut poète, philosophe, dramaturge, critique littéraire, réalisateur de cinéma et traducteur juif roumain, principalement d'expression française.
Benjamin Fondane est arrivé à Paris en 1923. Il y écrit sa première œuvre en français, Exercice de français, publiée en 1925.
En 1940, Fondane s’engage lors de l'invasion nazie en France. Fait prisonnier, il s'évade, est repris puis sera hospitalisé au Val-de-Grâce pour une appendicectomie. Après avoir regagné son domicile, il travaille à son projet Ulysse, transposant l’Odyssée dans l’errance juive et à divers essais.
Le 7 mars 1944, il est arrêté sur dénonciation par la police de Vichy. Sa femme, Geneviève Tissier, parvient à obtenir sa libération, en tant qu’époux d’une aryenne, mais il décide de ne pas abandonner sa sœur Line arrêtée simultanément. Il est envoyé au camp de Drancy, puis déporté à Auschwitz par le convoi du 30 mai.
Il part pour la chambre à gaz le 2 octobre, le résistant André Montagne témoigne : « Le lundi 2 octobre, dans l’après-midi, les camions vinrent chercher ceux qui avaient été désignés pour la chambre à gaz. Je vois Fondane sortir du block, passer très droit devant les SS, fermant le col de sa veste pour se protéger du froid et de la pluie, monter dans le camion. »
Plaque de commémoration Benjamin Fondane
(Paris)
Sa pensée philosophique, imprégnée de l’existentialisme de Léon Chestov est entièrement tournée vers la
lutte contre le mal : “La liberté ne consiste pas dans la possibilité de choisir entre le bien et le mal (…).
Elle consiste dans la force et le pouvoir de ne pas admettre le mal”. Il est Ulysse, l’Ulysse juif, le juif errant à la recherche du bien dans une lutte permanente : “Je suis de votre race, j’emporte comme vous ma vie dans ma valise”
Dans l’Exode, écrit vers 1934, persuadé de l’abandon de D.ieu, il devient prophète :
« Et pourtant, non!
Je n’ étais pas un homme comme vous.
Vous n’êtes pas nés sur les routes : personne n’a jeté à l’égout vos petits
vous n’avez pas erré de cité en cité
traqués par les polices
vous n’avez pas connu les désastres à l’aube,
les wagons de bestiaux
et le sanglot amer de l’humiliation,
accusés d’un délit que vous n’avez pas fait,
Préface du poème l'Exode en hébreu et en anglais
gravée à l'entrée de la Salle des Noms, Yad Vashem
Nous reproduisons ci-après la préface de l’Exode, publié en 1942. Se reconnaissant tout d’abord comme
un homme commun, Fondane se ravise, il est en quelques lignes celui qui porte l’errance, subit le malheu
semble abandonné de D.ieu et cependant demeure à jamais libre. Ces strophes prédisent avec une
étonnante lucidité une fin tragique mais aussi nous éclairent sur les deux piliers de la pensée philosophique
juive que sont l’inaltérable liberté et la notion de visage. Le visage, visage de l’humanité, même dans la pire
barbarie.
Emmanuel Levinas écrira plus tard : "la responsabilité est quelque chose qui s'impose à moi à la vue du
visage d'autrui." Il suffit, et il faut, voir un visage, pour se sentir "ligoté", "otage d'autrui", se sentir
convoqué à la responsabilité.
“Oui, j’ai été un homme comme les autres hommes,
nourri de pain, de rêve, de désespoir. Eh oui,
j’ai aimé, j’ai pleuré, j’ai haï, j’ai souffert,
j’ai acheté des fleurs et je n’ai pas toujours
payé mon terme.
[…]
J’ai lu comme vous tous les journaux tous les bouquins,
et je n’ai rien compris au monde
et je n’ai rien compris à l’homme,
bien qu’il me soit souvent arrivé d’affirmer le contraire.
Et quand la mort, la mort est venue, peut-être
ai-je prétendu savoir ce qu’elle était mais vrai,
je puis vous le dire à cette heure,
elle est entrée toute en mes yeux étonnés,
étonnés de si peu comprendre –
¬avez-vous mieux compris que moi?
Et pourtant, non!
je n’étais pas un homme comme vous.
Vous n’êtes pas nés sur les routes,
personne n’a jeté à l’égout vos petits
comme des chats encore sans yeux,
vous n’avez pas erré de cité en cité
traqués par les polices,
vous n’avez pas connu les désastres à l’aube,
les wagons de bestiaux
et le sanglot amer de l’humiliation,
accusés d’un délit que vous n’avez pas fait,
d’un meurtre dont il manque encore le cadavre,
changeant de nom et de visage,
pour ne pas emporter un nom qu’on a hué
un visage qui avait servi à tout le monde
de crachoir!
Un jour viendra, sans doute, quand le poème lu
se trouvera devant vos yeux. Il ne demande
rien! Oubliez-le, oubliez-le! Ce n’est
qu’un cri, qu’on ne peut pas mettre dans un poème
parfait, avais-je donc le temps de le finir?
Mais quand vous foulerez ce bouquet d’orties
qui avait été moi, dans un autre siècle,
en une histoire qui vous sera périmée,
souvenez-vous seulement que j’étais innocent
et que, tout comme vous, mortels de ce jour-là,
j’avais eu, moi aussi, un visage marqué
par la colère, par la pitié et la joie,
un visage d’homme, tout simplement!”
Exode. Préface en Prose, 1942
Un peu de détente !
Si vous n'arrêtez pas de taper sur nos citoyens, je serai dans l'obligation de vous lancer un avertissement trés sérieux
Est-ce clair !
http://www.inn.co.il/
Michel Kikoïne
Par Gilles Raphel
bouquet non daté
Michel Kikoïne (ou Kikoïn) est né le 21 mai 1892 à Rechytsa près de Gomel (actuellement en Biélorussie), il est fils de banquier.
Ne pouvant étudier à l’Ecole des Beaux Arts interdite aux Juifs, il entre en 1904 dans une académie libre de peinture dirigée par le peintre Kruger dans la ville de Minsk où sa famille a déménagé. Il fait là la connaissance de Chaïm Soutine. A dater de 1908 Kikoïne et Soutine étudient à l’Ecole des Beaux Arts de Vilnius et ce pendant trois ans. Ils y font la connaissance de Pincus Krémègne, ensemble ils rêvent déjà de Paris. Pour gagner leur vie Kikoïne et Soutine travaillent comme retoucheurs chez un photographe.
A la Ruche Kikoïne fréquente entre autres Modigliani, Chagall, Léger, Marie Laurencin.
St Jean d'Acre 1950 Enfant d'Israel 1950/54 Juif en prière
Il épouse à Paris Rosa Bunimovitz puis s’engage comme volontaire lors de la déclaration de guerre de 1914. Ils auront deux enfants, Claire née en 1915 et Jacques (le peintre Yankel) en 1920. Il sera naturalisé français en 1922.
Kikoïne expose pour la première fois à Paris en 1919 à la Galerie Cheron. Sa peinture est de tendance expressionniste tout en s’approchant plus tard du fauvisme par le choix des couleurs chaudes. Il peint à cette époque des nus, des autoportraits et des portraits dans lesquels son éducation juive se retrouve, représentant des visages pâles, penchés sur l’étude du Talmud. Durant la seconde Guerre mondiale Kikoïne et sa famille se réfugièrent dans la région de Toulouse dans le sud ouest de la France. Dans les années 50 il visite l’Espagne, l’Italie et effectue trois voyages en Israël. Il publie en 1953 un recueil de lithographie couleur intitulé : Enfants d’Israël.
La leçon de musique, 1930
En 1958 il s’installe à Cannes où il décèdera le 4 novembre 1968. Ses peintures représentent durant cette période de sa vie de nombreux paysages du sud de la France.
En 2001 l’Université de Tel Aviv dédie une nouvelle aile de son centre d’études artistiques à Michel Kikoïne. La fondation Kikoïne y récompense chaque année un artiste.
Nombre de ses œuvres sont visibles au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme* à Paris, 71 rue du Temple, 3ème arrondissement.
· Le Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme présente du 6 novembre 2009 au 7 mars 2010 une exposition intitulée : La Splendeur des Camondo de Constantinople à Paris (1806-1945). Nous pourrons y découvrir les magnifiques collections léguées à la France par la famille Camondo, banquiers éclairés de Constantinople. Famille dont la dernière descendance, Béatrice Camondo, son mari Léon Reinach et leurs deux enfants furent assassinés dans les camps de la mort nazis.
Avez-vous déjà goûté des prunes-pastèques ? Ou des pêches-pitas ? Et des prunes-grenades ? Ces fruits originaux aux saveurs riches et à l'apparence peu commune sont les produits de "Ben-Dor fruits et pépinières".
Cette société agricole vieille de 125 ans a été fondée par les premiers habitants de Yessoud Hamaala, en Galilée, qui ont profité de la richesse et de la fertilité de la vallée de Houla pour planter des arbres fruitiers encore debout aujourd'hui. Même si les Ben-Dor comptaient parmi les pionniers, leur ferme familiale n'est devenue prospère que depuis 23 ans, quand Seffi Ben-Dor a repris l'affaire. Peintre à ses heures perdues, ce dernier a apporté une touche artistique à son verger.
Grâce à des méthodes traditionnelles de pollinisation sélective, il crée des variétés uniques de drupes (fruits charnus à noyau) tels des prunes, des pêches et des abricots. "Le but", explique Reout, la fille de Seffi, "c'est de créer un fruit sain de la meilleure apparence et du meilleur goût possibles. »
Très juteuse, la prune-pastèque par exemple doit son nom à sa peau de couleur verte et à sa chair rouge. La prune-grenade, elle, a la forme et la couleur d'une grenade mais est bien plus douce que cette dernière. Quant à la pêche-pita, son aspect trapu comme un pain plat n'empêche pas l'épaisseur de sa saveur.
Reout présente maintenant une petite orange-abricot, surnommée l'Aromacot à cause son parfum fort. "Nous sommes les seuls sur le marché israélien à vendre des abricots en cette saison", fait-elle remarquer. Car en plus de créer des espèces de fruits hybrides, les Ben-Dor cherchent également à leur apporter des caractéristiques attractives pour obtenir un fruit meilleur qui pousse même hors saison.
Récemment, Ben-Dor a d'ailleurs mis au point la druze-rouge, des poires d'automne. Cette dernière mûrit encore sur l'arbre quand toutes les autres espèces de poires ont déjà été récoltées, devenant ainsi la seule espèce non réfrigérée disponible sur le marché au début du mois de septembre.
Et cette longévité, les fruits Ben-Dor la transmettent à quiconque les croque. D'après une étude conduite par Joseph Kanner, professeur en science culinaire au centre Volcani de l'organisation pour la recherche agronomique, les prunes à chair rouge des Ben-Dor ont en effet le taux d'antioxydant le plus élevé de tous les fruits frais vendus en Israël. Elles contiennent même trois fois plus que la grenade et cinq fois plus que le vin rouge.
Il faut en général entre 10 et 15 ans pour perfectionner une nouvelle variété. Chacune d'elle est créée puis testée chez les Ben-Dor avant de passer une série de contrôles commerciaux. Les vergers, qui s'étendent sur 250 hectares environ, sont surveillés de près. Les Ben-Dor prêtent attention à chaque fruit, qui n'est cueilli qu'une fois arrivé à maturité. Pas de conservation par le froid ni de pesticides, dans la mesure du possible.
Résultat : un produit définitivement haut de gamme et artisanal. Cher aussi. La plupart des clients se trouvent d'ailleurs à l'étranger, en Nouvelle-Zélande, en Australie ou encore au Royaume-Uni. Les fruits Ben-Dor sont également commercialisés en Israël, par la chaîne alimentaire Tiv Taam notamment.
Même si elles poussent dans le pays, les créations fruitières des Ben-Dor ne sont connues des consommateurs israéliens que depuis quelques années. "Elles sont un peu chères [pour les Israéliens]", explique Reout. Et les prix ne risquent pas de baisser puisque Ben-Dor fruits et pépinières doit faire face à une augmentation des coûts de production dans un contexte économique difficile, auquel il faut ajouter des problèmes d'eau.
A cause de la sécheresse, le gouvernement a réduit les quotas d'eau des fermiers, et Ben-Dor redoute de nouvelles restrictions dans le futur. Malgré ces obstacles, il reste optimiste. L'unicité de ses fruits, la plupart brevetés, est un réel atout.
Et pour la suite ? Des super-légumes qu'on appellerait carrocoli et aspinard ? "Non, nous nous limitons aux fruits", confie Reout dans un sourire. Avant d'annoncer que pas plus tard que la semaine dernière, une nouvelle variété est venue agrandir la famille des Ben-Dor. "C'est une prune rayée. Très douce."