L’avenir de la communauté juive européenne
Adaptation française de Sentinelle 5771 ©
Ceux qui dénient aux Juifs ou à Israël leur liberté perdront, ou ne gagneront pas la leur.
Pour les Juifs d’Europe, cette époque est à la fois la meilleure et la pire. Prenons la communauté juive britannique comme exemple.
Au cours de 20 dernières années, nous avons construit plus d’écoles d’externat juives qu’au cours des 355 années antérieures de notre histoire ici. Culturellement, une communauté considérée comme moribonde il y a une génération, peut s’enorgueillir d’un centre culturel, d’un centre communautaire en construction, de semaines du livre juif, de festivals d’arts, de musique et de films, et d’un évènement éducatif pour les adultes – le Limoud – qui a inspiré des ramifications dans 50 autres centres à travers le monde juif.
Des Juifs sont proéminents dans tous les domaines. Aussi bien les présidents de chambres parlementaires à la ‘Chambre des Communes’ et à la ‘Chambre des lords’, sont juifs. Nous avons eu ces dernières années, deux Présidents de la Cour suprême de Justice, et des dirigeants juifs à Oxford et Cambridge. Un rédacteur en chef juif du journal ‘The Times’ et des dirigeants juifs aussi bien dans les Partis Conservateur et Travailliste. Non seulement les Juifs sont-ils respectés, mais il en est de même pour le judaïsme. La voix morale juive est devenue une partie significative de la conversation nationale.
Voilà d’étonnantes réalisations. Mais elles sont assombries par le troublant phénomène d’un nouvel antisémitisme se répandant comme un virus à travers l’Europe. Cela exige une explication. Après tout, après l’Holocauste, s’il y avait une chose sur laquelle les gens de bonne volonté étaient d’accord à travers le monde, c’était : « Plus jamais ça ».
Toute la culture d’après-guerre de l’Occident – du monde même – était orientée dans cette direction. Au-delà de la détermination qu’il ne devrait plus jamais y avoir un autre Holocauste, vint la Déclaration des Droits de l’Homme des Nations Unies, le concept de « crime contre l’humanité », l’idée que le racisme est un vice, le mouvement du dialogue interconfessionnel, et le changement historique de la Chrétienté connu sous le nom de Vatican II, Nostra Aetate.
Comment alors l’antisémitisme revient-il dans les nations mêmes qui ont promis de ne jamais le réitérer ? La réponse cynique est qu’il n’est jamais mort, il est seulement devenu souterrain. Il y a un filet de vérité en cela, mais très ténu. Comme ligne de raisonnement, c’est profondément trompeur. Car le nouvel antisémitisme est seulement dirigé en second lieu contre les Juifs en tant qu’individus. Sa véritable cible, ce sont les Juifs comme nation – en Israël.
Ce qui est arrivé en notre temps est un phénomène extraordinairement subtile qui ne peut être compris qu’en revenant deux siècles en arrière, à l’âge de Lumières et à la Révolution Française. Depuis des siècles, l’Europe avait été défigurée par un antijudaïsme chrétien brute, d’inspiration théologique. Les Juifs étaient accusés d’empoisonner les puits, de répandre la peste, de profaner l’hostie et de tuer des enfants chrétiens.
Les Juifs n’étaient pas les seules victimes de l’Eglise : des sorcières et des hérétiques étaient aussi livrés au bûcher. Puis, après la Réforme, des Chrétiens commencèrent à tuer leurs coreligionnaires en Europe lors des grandes guerres de religion.
C’est alors que les gens d’esprit déclarèrent : « Assez ». Cela conduisit à l’ascension de la science, à l’âge de raison, à la doctrine de la tolérance et finalement à l’émancipation des minorités jusqu’alors sans voix au chapitre, y compris les Juifs. Ce fut l’époque la plus brillante de l’histoire européenne, et ce fut précisément en ce temps-là, à Paris, Berlin et Vienne – les centres les plus sophistiqués de tous – qu’une nouvelle forme de haine est née : l’antisémitisme racial. Comme le virus le plus mortel que l’Occident ait jamais connu, il conduisit des êtres humains par ailleurs ordinaires, convenables, à faire, ou à rester des témoins passifs, d’actes indicibles.
Ce n’était pas un simple phénomène. L’antisémitisme du 19èmesiècle n’était pas l’antijudaïsme rudimentaire de l’Eglise. De même, le nouvel antisémitisme du 21ème siècle n’est pas l’antisémitisme raciste des 19ème et 20ème siècles.
Il n’est pas dirigé contre les Juifs comme individus, mais contre les Juifs comme nation. Il ne se répand pas par des moyens conventionnels, mais par les nouvelles technologies de communication – sites Internet, email, ‘blogs’ et réseaux sociaux – qui sont presque impossibles à surveiller et à contrôler.
Son attaque la plus brillante, et même diabolique, a été d’adopter comme armes les plus puissantes les défenses mêmes créées contre le vieil antisémitisme. Il accuse Israël des cinq pêchés cardinaux suivant l’Holocauste : racisme, apartheid, crimes contre l’humanité, nettoyage ethnique et tentative de génocide.
Il est subtil, sophistiqué, et terriblement efficace.
Il est conçu pour tromper, et cela marche. Des Juifs israéliens et américains le considèrent comme une menace à la communauté juive européenne, ce qu’il est, mais seulement en second lieu. La véritable cible, c’est Israël. C’est une attaque contre Israël là où il est le plus vulnérable, à savoir parmi les classes qui forgent l’opinion d’Europe. Si Israël est délégitimé à leurs yeux, cela ne laisse que l’Amérique, et le jugement judicieux des ennemis d’Israël est que, quand il s’agira de soutenir Israël, à long terme l’Amérique ne continuera pas seule.
C’est une partie d’Echec à plus terme et plus froidement calculée que les gens ne le réalisent. Elle a pour objectif la destruction de l’Etat juif. Pour la contrer, cela nécessite une réponse juive mondiale coordonnée au-delà de tout ce qui a été envisagé jusqu’à présent. Ce n’est pas non plus une bataille qui peut être menée par les Juifs seuls. Sans alliés, les Juifs et Israël perdront.
Cela signifie le recadrage de la discussion. L’antisémitisme est toujours un symptôme de quelque chose de plus pénétrant, une tension irrésolue au sein d’une culture, qui commence par cibler les Juifs mais ne s’arrête jamais avec eux. Ce n’étaient pas les Juifs seuls qui mouraient aux mains de la Chrétienté médiévale, de la Russie tsariste, de l’Allemagne nazie ou de la Russie stalinienne : c’était la liberté elle-même.
Il en sera de même au 21ème siècle. Ceux qui dénient aux Juifs ou à Israël leur liberté perdront, ou ne gagneront pas la leur.
L’auteur est le Grand Rabbin du Royaume Uni et du Commonwealth depuis 1991, et il est membre de la Chambre des Lords depuis 2009. Il discutera de l’avenir de la communauté juive européenne au sein d’un panel d’experts à la fin de ce mois à la troisième Conférence Présidentielle Israélienne : « Faire face à demain en 2011 à Jerusalem ».