Le calme et la violence
Par Yéochoua SULTAN
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Qui ne connait pas cette phrase qui fait l'objet d'un consensus très large:
«On n'obtient rien avec la violence»?
Ce très élégant principe est invoqué surtout pour les notions de pacifisme, de démocratie, ou de tout ce qu'il y a de bon dans la société humaine. Il connaît de nombreuses variantes: «Oui au dialogue, non à la force», etc.
On aimerait que ce soit vrai, surtout lorsque l'on est vraiment réfractaire à toute forme de militarisme, et allergique au cliquetis des armes. Mais pourquoi pas, après tout! Il suffit de réécrire quelques années d'histoire.
La France était asservie à des rois. Le servage était fort pénible. Un jour, les va-nu-pieds et autres sans-culottes eurent une idée: pourquoi continuer à exploiter le sol et avoir tout juste de quoi manger, toute la récolte allant à un seigneur propriétaire terrien? Ils demandèrent donc gentiment au roi de bien vouloir se contenter d'une imposition raisonnable pour les travaux publics et la gestion de l'Etat, ainsi que de laisser le peuple choisir par des élections libres ses représentants. Le roi n'ayant pas répondu tout de suite, ils s'indignèrent et signèrent une pétition. Une chanson populaire fit fureur. On en fit l'hymne national. Bien sûr, il ne contenait aucune parole violente, «qu'une eau pure abreuve nos sillons et que chantent nos microsillons», anachronisme mis à part, ou quelque chose comme ça. Le roi essuya une larme et organisa lui-même les élections, avant de se retirer de la vie politique.
Aux Etats-Unis, l'esclavage était intenable. Comment y mettre fin et faire en sorte que tous les citoyens deviennent égaux devant la loi? Comme chacun sait et qu'on n'obtient rien avec la violence, les nordistes ont expliqué calmement aux sudistes qu'il fallait en finir avec l'esclavage. Ceux-ci, au lieu de s'organiser en Etats confédérés du Sud et d'engager une guerre de Sécession entendirent raison et approuvèrent Lincoln.
Cet exposé n'est pas exhaustif, mais il montre que cette belle évidence de l'infructueuse violence aurait dû être approuvée par les faits. Or, nous sommes bien obligés, que cela nous plaise ou non, d'admettre avec résignation que le pacifisme est un luxe dont n'ont pu se targuer que les héritiers de révolutions violentes, d'ancêtres oubliés qui se sont battus et souvent sacrifiés pour que la société puisse leur offrir les bienfaits dont ils profitent aujourd'hui. Mais cet oubli qui, même s'il ne réécrit pas l'histoire faute de s'y intéresser, fait comme si la situation connue était une constante.
D'aucuns diront: «Pourquoi retenir l'histoire, et peu importe ce qui a pu se passer, du moment qu'on est tranquilles aujourd'hui?» Pourtant, cette question n'implique pas seulement d'un devoir moral de mémoire, mais d'une volonté d'être ignorant pour être tranquille. Rien n'est moins trompeur, car celui qui veut se considérer comme né de la dernière pluie oublie que la pluie ne s'est pas arrêtée de tomber il y a deux mille ans. Cette immuabilité qu'il croit sentir sous ses pieds lui fait perdre de vue que les valeurs, pour être stables, doivent être défendues, et qu'il faut savoir s'il le faut se sacrifier pour elles car elles ne sont pas une réalité allant de soi.
L'égalité des droits, les acquis sociaux, la liberté d'expression, etc., ne représentent pas, contrairement à ce que semble admettre l'inconscient collectif, un équilibre stable qui se rétablit dès que les forces extrinsèques qui l'agitent s'estompent. Une mer agitée n'effraie pas le marin qui sent qu'elle se calmera, à condition que son embarcation soit suffisamment solide et à condition que les interactions qui la secoue ne soient pas incessantes. Si on peut considérer que la nature d'une eau qui ne s'écoule pas consiste à être calme, il n'en est pas de même pour les principes qui gèrent un Etat, et ce qui est pris pour une crise passagère, voire difficile, pourrait être en fait un revirement.
Seuls des repères solides et une vigilance sensible aux glissements qui font changer la réalité sans que l'on ne s'en rende compte peuvent garantir qu'un système perdure. Le bon droit ne suffit pas. La démocratie et les principes établis dans le monde libre après des siècles de luttes et de guerres doivent être défendus avec âpreté. On s'imagine à tort que seuls des régimes dictatoriaux peuvent sombrer dans une dictature encore plus sombre en cas de troubles. C'est encore une fois oublier que la féodalité puis la terreur ne remontent pas aux temps préhistoriques, même si on a tenté de faire table rase et de reprendre le décompte à zéro en 1789.
Un des facteurs prépondérants qui ajoute à la nonchalance collective consiste en la conviction d'être parvenu à un idéal irréversible de paix qui doit être défendu par le pacifisme désengagé. En France, notamment, depuis une bonne trentaine d'années au moins, des jeunes gens déterminés dans leur aversion pour toute forme de violence se disaient près à déserter et à changer de pays si le leur était attaqué. Ils auraient pu le cas échéant passer d'un pays libre à l'autre jusqu'à en terminer la liste, mais qu'ils avaient de beaux jours devant eux.
Cette déresponsabilisation face au devenir collectif de leur pays se retrouve aujourd'hui quand la guerre a changé de tactique, et que des idéologies incompatibles avec les valeurs républicaines se substituent à leur mode de vie. (Voir Une guerre sous anesthésiant). L'auto neutralisation quant à la défense des valeurs est provoquée par deux fronts: d'une part, le sol semble stable et inchangeable ; d'autre part, on a la conviction profonde d'être incapable d'assumer une responsabilité par rapport au devenir personnel et collectif de la société. On baigne donc dans une sorte de douce euphorie d'où tout paraît minime et sans conséquences, et d'où il est répréhensible de sortir. Toute attaque aux biens, personnes et valeurs qui ont mis des siècles à s'installer doit être minimisée. Il faut faire preuve de compréhension, de condescendance et d'empathie envers des agresseurs dont il faut considérer les difficultés du passé et de l'adaptation aux sociétés éclairées et modernes.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, sortir de cette torpeur ne consiste pas en un devoir rébarbatif remis à une date ultérieure hypothétique, mais en une faute grave. Il faut impérativement rester calme, se maîtriser, ne pas perdre ses moyens. «Si nous continuons à ne rien faire, la situation va nous échapper, et le réveil sera brutal!», préviennent ceux qui se font rasseoir par une poussée qui leur colle au passage le qualificatif d'alarmistes. S'ils n'arrivent pas à se calmer, on leur prescrira au besoin des calmants.
Cette douce torpeur touche aujourd'hui l'ensemble du monde démocratique, et Israël n'est pas épargné. Un verdict rendu hier par le tribunal de Tel-Aviv pour une grave affaire d'assassinat à caractère raciste antijuif, les assassins ayant roué de coups leur victime, un paisible citoyen de 59 ans, jusqu'à ce que mort s'ensuive, a conclu qu'il s'agissait d'un homicide involontaire: «Restez calmes, au besoin on vous administrera des calmants». Il est vrai que les juges ont eu maille à partir avec la défense qui a compliqué le procès dans le but de mettre hors de cause ses protégés, mais le tribunal s'est-il demandé ou a-t-il essayé de comprendre comment l'affaire aurait tourné, si la victime que les tueurs ne connaissaient pas avait été arabe comme eux?
Et comme pour cette parodie de réécriture de l'histoire précitée, on nous réécrit le présent: «La violence n'amène à rien. Il ne faut pas combattre ses ennemis, mais en faire des amis». On nous impose des modérés artificiels désignés arbitrairement, on nous dit que la haine provient de la pauvreté, comme si les agresseurs étaient pauvres et comme si tout pauvre était un assassin, et on fait des victimes de la haine les responsables des meurtres dont ils font l'objet.
Qu'un Juif se rende sur un des plus anciens lieux saints d'Israël, et on nous dira qu'il ne faut pas se rendre sur le tombeau de Yossef. Et ce jeu meurtrier ne s'arrête pas. Provoqué par un bourrage de crâne mensonger qui a duré jusqu'aux accords d'Oslo qui devaient mettre fin à cent ans de guerre, comme le dit alors la classe politique, et dont toutes les fausses notes ont été analysées (voir Le processus de paix ou la guerre d'un Gog démagogue), il n'a plus besoin aujourd'hui de trouver des prétextes.
Si les attentats qui ont suivi les accords ont été «excusés» à l'Olp, c'est que les assassins étaient en dehors de l'autonomie, qu'ils faisaient partie d'une organisation opposée au processus dit de paix, ou qu'Israël devait s'accuser de ne pas céder suffisamment, ou suffisamment vite.
Moins de deux mois après la boucherie d'Itamar, alors que les tueurs de nouveau-nés vivaient dans l'autonomie et ne faisaient pas partie d'une faction dissidente, et moins d'une semaine après qu'un jeune père de famille a été tué par un policier du Fatah par pure haine contre le peuple juif, cette périlleuse distinction entre modérés et ennemis jurés continue de sévir, et de la façon la plus flagrante possible.
En effet, il se peut que l'aberrance de l'insistance d'Israël envers les terroristes du Fatah pour reprendre les pourparlers soit passée inaperçue, comme si de tels pourparlers pouvaient avoir quelque chose de salutaire, et sachant à quoi nous ont conduits tous les pourparlers avec les terroristes, depuis que la loi qui en préservait a été annulée. Mais là, le gouvernement avance avec fracas et sans rire que le Fatah doit choisir entre la paix avec le Hamas et la paix avec Israël. Nous servirait-on une version vécue du jeu des sept erreurs?
Le chef des occupants terroristes du cœur de la terre d'Israël est docteur en négation de la Shoah, fait traiter les Israéliens dans les programmes scolaires et télévisés de voleurs de la Palestine, sans aucune distinction territoriale entre l'avant et l'après guerre des Six jours, jouit d'une impunité ou immunité inhumaine pour les attentats de Munich et de Ma'aloth, etc.
Le sigle de l'aspiration nationaliste des autoproclamés Palestiniens représente la carte de l'Etat d'Israël surmontée d'armes. Hormis le fait que le sigle du Hamas se focalise davantage sur Jérusalem, quelle différence y aurait-il donc entre les deux organisations, pour faire semblant de s'imaginer qu'une entité qui porte plainte quasi quotidiennement contre Israël et organise des micros et macros boycotts doive choisir avec qui elle veut faire la paix, alors que c'est tout vu?
La réponse, c'est que cet «on n'obtient rien avec la violence», qui a abouti à des accords avec des assassins, a donné à ces mêmes assassins et à leurs ayants-droits le pouvoir pratiquement légal de tuer, ce qui n'a en revanche pas été obtenu par le Hamas. En effet, l'Olp n'a jamais renoncé à sa charte ni à ses symboles, pas plus qu'à la lutte armée, des tirs aux attentats-suicides.
Et ne n'est pas la mise en scène parisienne autour du mot «caduc» qui a abrogé cette charte, ou alors elle a repoussé, comme les feuilles du même nom. De la même façon, il a fallu plusieurs années pour établir que chaque attentat suicide donnait droit à la famille du terroriste une allocation de dix mille dollars versée par l'Olp.
La non-violence est devenue une valeur absolue. Un professeur féru de chimie a même été piégé il y a peu en admettant par raisonnement qu'il faudrait remettre tous les terroristes en liberté pour qu'ils comprennent qu'on n'a absolument rien contre eux, ce qui les inciterait à s'assagir instantanément. Or, la violence doit être neutralisée par la violence, même si c'est pénible à admettre. Les assassins du rabbin Meir Avshalom Haï, habitant de Shavé Shomron, fusillé au volant de sa voiture alors qu'il rentrait chez lui, en décembre 2009, ont été éliminés lors d'une opération spéciale.
Cette violence contre la violence a évité que ce genre d'attentat ne s'impose à nouveau dans le quotidien. Une autre fusillade, à Beth-Hagaï, près d'Hébron, qui a fait sept orphelins a été traitée avec rigueur, en septembre 2010. Par contre, les tueurs de la famille Vogel d'Itamar ont certes été attrapés, mais ils sont nourris trois fois par jour par le contribuable: soulagement chez les assassins, qui sentent qu'ils ne risquent pas leur vie, avec les événements qui n'ont pas tardé à suivre.
La violence a permis de faire respecter des valeurs humaines de base comme la liberté et le droit à la vie et à la dignité: les révolutions ne se sont pas faites avec des fleurs, sauf si, bien sûr, on réécrit l'histoire ; et c'est par la force qu'il faut mener une lutte implacable pour défendre ce qui a été acquis.
Poursuivre sans relâche les brûleurs de voitures et les racketteurs de l'Europe, obliger les paresseux pas idéologie à travailler, et proclamer haut et fort en Israël que les accords d'Oslo et autres sont nuls et non avenus, car il ne s'agissait en aucun cas de permettre au mouvement terroriste signataire qu'il aurait le droit de tuer des Juifs, et de s'atteler nuit et jour à l'asphyxie économique et politique de leur Etat. Tant qu'il n'y aura pas de gouvernement courageux et déterminé pour mettre fin à cette mascarade, l'impasse ne sera pas dépassée, et les aspirations nationalistes arabes ne chercheront pas à s'exprimer dans des pays identiques, identitairement parlant.