Obama est-il en train de mettre fin à 60 ans de domination américaine au Moyen-Orient ?
Par Marc Brzustowski
pour lessakele et aschkel.info
C’est la question que se pose Michaël Young dans le Daily Star libanais, ce jeudi 13 mai. Si l’on tient compte du manque de cohérence de la politique d’Obama pour cette région, partout où se manifestent de graves vulnérabilités, tout porte à le croire. Pour leur part, les acteurs régionaux font preuve de bien plus de dynamisme que Washington pour en tirer toutes les conséquences et s’y préparer.
Mais, il en existe une autre, bien plus amère pour Obama qui aura tout fait pour l’éviter : à suivre la pente actuelle, il se pourrait bien que l’Amérique soit entraînée, à son corps défendant, dans une guerre directe avec l’Iran, que l’actuel président aura, à toutes forces, tenté d’empêcher.
Le système de gouvernement arabe, tel que nous l’avons connu, pourrait bien, d’ici là, être entré dans une phase de détérioration irréversible. La plupart des régimes arabes sont vieillissants. Ils ont perdu le peu de légitimité qu’il leur restait en renforçant l’autoritarisme qui les caractérise. Ils ont offert si peu à leurs populations croissantes et à leurs jeunes générations, en matière de contrat social, d’opportunités de s’élever vers des conditions de vie enviables et décentes. La stagnation prévaut partout ; l’influence économique et culturelle est dévolue aux états périphériques non-arabes : la Turquie, Israël et l’Iran.
Cet état de fait aura des conséquences néfastes aux Etats-Unis, dont la prédominance dans la région repose sur les régimes arabes sur le déclin. Les alliés américains de longue date, comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte et la Jordanie, sont plus affaiblis que jamais. Au même moment, l’Administration Obama est en proie au repli psychologique à travers tout le Moyen-Orient. Ceci est dû au fait, parmi de nombreux facteurs, que les Etats-Unis ne peuvent plus se permettre de contrôler financièrement le vaste empire autrefois à leur disposition.
Partout, on observe un Iran qui défie outrageusement l’Amérique. Prenons l’Irak, que les Américains étaient péniblement parvenus à stabiliser, en 2008. L’obsession tenace d’Obama est de s’en retirer. Ceci interdit à Washington le territoire nécessaire à contenir la poussée iranienne. Ce retrait l’empêche également d’exercer aucun pouvoir réel sur la Syrie et de permettre, en contre-partie, l’extension de l’influence saoudienne.
Les résultats des élections irakiennes ont, pourtant, offert l’opportunité de développer une relation stratégique avec l’Irak : elle consistait à faire barrage à l’influence iranienne. Les affidées de l’Iran ont perdu du terrain, contrairement aux blocs dirigés par Allawi et al-Maliki. Plutôt que de tenter d’imposer un compromis entre les deux hommes, pour stabiliser la relation entre Sunnites et Chi’ites, et renforcer les relations stratégiques entre Washington et Bagdad, Obama a préféré ne rien faire. L’Iran y a vu une ouverture et contribue activement à l’avènement d’un gouvernement dirigé par les Chi’ites qui sera éminemment favorable à ses intérêts.
Ce refus américain de développer une zone de sécurité irakienne pour contenir l’Iran aura pour conséquence le reflux des états faibles du Golfe face à l’extension de la République islamique. Téhéran n’envisage pas que ces états pétroliers puissent constituer le moindre obstacle à ses visées hégémoniques. Et ce tableau sera complet, le jour où les Mollahs disposeront de la bombe. D’autant que leurs réseaux chi’ites dans chacun de ses pays sont aisés à mobiliser. On l’a vu récemment, au Yémen, à titre d’avertissement, tombé dans l'oreille d'un sourd.
Tout accord israélo-palestinien arraché au finish ne pourra avoir qu’un impact très limité sur le véritable terrain de rivalité américano-iranienne : dans le Golfe et en Irak. Tout comme le Liban, les Palestiniens ne sont qu’un outil de plus employé par l’Iran pour détourner l’attention de ses objectifs vitaux : imposer sa suprématie dans le Golfe. Le projet iranien est de saper progressivement l’influence américaine au Moyen-Orient, à travers une suite de tensions de faible importance en elles-mêmes. Le Hezbollah et le Hamas agissent de façon à absorber les chocs pour l’Iran, pendant que Téhéran développe ses capacités nucléaires qui serviront essentiellement à affirmer son hégémonie régionale.
Ce qui nous amène à envisager la présence américaine, accrochée à l’épave que constitue, pour elle, l’Afghanistan. Obama s’y est enfermé dans un étau. Il a assuré qu’il en sonnerait la retraite en 2011. S’il perdait les élections de mi-mandat en novembre, il y a fort à parier qu’il commencera à réaliser son projet bien avant les futures élections présidentielles de 2012, à moins de constater une amélioration radicale de la position des troupes qui y sont stationnées. Mais, c’est peu probable. Actuellement, l’Amérique doit combattre, tout en cherchant à amener ses deux alliés, Amid Karzaï et le Pakistan, à un terrain d’entente. Or, le Pakistan n’a pas vraiment le désir de voir Washington triompher, préférant nettement imposer à nouveau son emprise sur l’Afghanistan, directement ou par Talibans interposés.
Ce sont là d’excellentes nouvelles pour Téhéran. L’Administration Obama, prise au piège en Afghanistan, rend plus probable d’autres retraits américains au Moyen-Orient. Si Obama décidait, l’an prochain qu’il est temps de rentrer, les conséquences, pour l’idée que l’Amérique se fait d’elle-même, autant que dans la façon dont le monde voit les Etats-Unis, pourraient être terribles. Et si, à la même période, l’Iran utilise cette fenêtre d’opportunité pour finaliser son programme nucléaire, alors Obama aura-t-il présidé deux retraites majeures, pendant que l’Iran devenait une puissance de première importance dans la région…
Il reste alors un autre scénario disponible : Obama peut encore réaliser qu’il se trouve aujourd’hui coincé dans ses cordes par Téhéran. Et qu’il ne lui reste qu’une seule possibilité pour en sortir : utiliser sa puissance militaire. Après avoir cédé du terrain en Irak, en Afghanistan, n’avoir rien apporté de probant dans le conflit israélo-arabe, avoir vu se marginaliser ses principaux alliés arabes, constatant amèrement tout ce qui en résulte, le Président peut finalement décider que trop c’est trop. Et entrer dans cette guerre qu’il aura tant fait pour empêcher. Quoi qu’il arrive, les choix si peu perspicaces qu’Obama opère actuellement, le poussent exactement dans la direction qui l’épouvante le plus aujourd’hui…
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