Pour ceux qui, dans l’actuel flot de belles paroles et d’auto-congratulations, auraient oublié les véritables acteurs de la Chute du Mur …
A l’heure où, en ce 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin le tout récent prix Nobel de la paix s’est, comme avant lui notre propre Sarkozy national, défilé devant le passage du dalaï lama à Washington …
Et où, pendant que nos médias se prêtent allégrement aux pires récupérations palestiniennes et que le nouveau Rideau de fer du totalitarisme islamique asphixie peu à peu les derniers chétiens du Monde dit musulman, le parti de notre Grand Timonier alias l’UMP signe des accords avec le parti frère du PC de Pékin …
Retour sur la part souvent méconnue de l’église protestante est-allemande dans l’affaire, notamment les manifestations pacifiques dupasteur Führer de Leipzig qui, lancées dès 1982 et de lundi en lundi, culminèrent à l’automne 1989 en manifestations de masse débouchant finalement sur l’effondrement dudit mur …
Comme celle du Pape Jean-Paul II qui, dès juin 1979 au lendemain de son élection (alors que trois ans plus tard la France assurait les autorités communistes que “naturellement nous n’allons rien faire”), fit de la tournée pastorale de son pays natal la première brèche opérée dans le rideau de fer .…
Leipzig, un prélude à la chute du Mur
Patrick Saint-Paul, envoyé spécial à Leipzig
Le Figaro magazine
09/10/2009
C’est dans cette ville qu’eurent lieu, il y a vingt ans, les premières manifestations.
Le mur de Berlin tombera un mois plus tard, mais dès le 9 octobre 1989, le régime communiste de RDA commence à vaciller. Leipzig commémore vendredi avec la «Fête des lumières» le vingtième anniversaire de la première manifestation de masse contre le SED, le Parti communiste est-allemand, qui rassembla quelque 70 000 personnes autour de la Nikolaïkirche, l’église Saint-Nicolas. Un tournant dans la contestation qui libéra la vague démocratique à travers toute la RDA. «La Stasi (la police secrète est-allemande) avait tout prévu, se souvient Christian Führer, pasteur de l’église Saint-Nicolas. Sauf les bougies et les prières.»
L’Église protestante (BEK) a joué un rôle majeur dans la «révolution pacifique» de 1989. Depuis 1982, le pasteur Führer accueillait dans sa paroisse des services de prière pour la paix, tous les lundis. Au milieu des années 1980, ils étaient six ou sept à participer. «Au début, les gens venaient me voir parce qu’ils voulaient voyager librement. Cette privation les rendait malades, raconte le pasteur. Puis ils venaient parler librement de tous les problèmes que l’on ne pouvait évoquer en public : visas, logements vétustes, aspiration à la liberté. Les espions de la Stasi nous surveillaient de très près. Les gens avaient peur de nous. Mais ça ne changeait rien. Renoncer, c’était perdre tout espoir.»
Ce n’est pas un hasard si la révolte débute à Leipzig. Sous la dictature communiste, l’ancienne cité commerçante de Saxe continuait d’accueillir de nombreuses foires, notamment le Salon du livre : une fenêtre sur le monde occidental. «Deux fois par an, nous avions droit à une bouffée d’oxygène, se souvient Sabine Gugutschkow, l’une des pionnières du mouvement démocratique. Nous allions recopier les titres et les références des ouvrages spécialisés, pour les commander en Allemagne de l’Ouest. Il fallait attendre deux ou trois ans avant de les recevoir. Nous allions lire quelques pages des derniers livres de Christa Wolf, qui paraissaient à l’Ouest bien avant d’arriver ici.»
Le 7 mai 1989, lors des élections communales, les habitants de Leipzig votent pour la première fois contre le Parti communiste en barrant les noms des candidats sur les bulletins de vote. Le lendemain, ils sont abasourdis à l’annonce des résultats : 89,9 % pour le SED. Sabine Gugutschkow et plusieurs centaines de personnes manifestent pour réclamer des élections libres. Les forces de l’ordre ont fermé tous les accès à l’église Saint-Nicolas. Mais les protestataires osent passer entre les mailles pour converger vers ce qui était devenu le centre naturel de la contestation. «Dès lors nous étions de plus en plus nombreux chaque lundi», se souvient le pasteur Führer.
Invité d’honneur au 40e anniversaire de la RDA, le père de la perestroïka, Mikhaïl Gorbatchev, est accueilli en héros par les Allemands de l’Est le 7 octobre. À Leipzig, comme à Berlin, on descend dans les rues pour scander «Gorbi, Gorbi». Certains osent un «Gorbi aide nous» à l’adresse du réformateur soviétique. Inquiet, le patron de la RDA, Erich Honecker, s’irrite de la popularité de son hôte et rejette toute idée de réforme. «Ceux qui arrivent trop tard sont punis par l’Histoire», lui lâche un Gorbatchev visiblement lassé par l’interminable défilé militaire.
» Le reportage du journal Soir 3 sur la visite de Gorbatchev à Berlin :
Les menaces d’Egon Krenz
Les autorités multiplient les menaces pour empêcher la manifestation du lundi suivant à Leipzig. Huit mille policiers et soldats sont mobilisés. Egon Krenz, le numéro deux du régime en charge des affaires intérieures, qui s’était félicité de la façon dont les communistes chinois avaient réprimé dans le sang les manifestations sur la place Tiananmen, brandit la menace d’une «solution à la chinoise» en jurant de faire «ravaler leur salive» aux manifestants. Dès le matin du 9 octobre, des cadres du SED et de la Stasi occupent les bancs de l’église Saint-Nicolas pour empêcher les manifestants de s’y rassembler. «Je tremblais de peur, mais j’ai réussi à décrocher quelques sourires, raconte le pasteur Führer. Je leur ai dit que l’église était ouverte à tous et que j’étais ravi de les accueillir pour leur première prière. Ils ont découvert que nos préoccupations étaient très terre à terre et que nous n’étions pas téléguidés par les médias occidentaux, comme le prétendait le régime.»
Aux milliers de manifestants, qui bravent l’interdiction de se rassembler et affluent vers l’église, le pasteur ne cesse de répéter de ne pas céder à la moindre provocation : ni violence, ni jets de pierres, ni insultes, martèle-t-il. «Puis nous sommes sortis de l’église avec des bougies en priant pour la paix et pour que les policiers ne tirent pas sur les citoyens», ajoute le pasteur. Les forces de l’ordre sont rapidement débordées par la foule, qui scande «wir sind das Volk» (nous sommes le peuple) ou encore «liberté de voyager avec visas jusqu’à Hawaï». Les autorités locales ne cessent de téléphoner à Berlin pour réclamer des ordres.
Egon Krenz hésite. Il promet de rappeler plus tard. L’immense cortège ose même défiler devant le siège de la Stasi, véritable camp retranché transformé en dépôt de munitions. Mais l’ordre d’ouvrir le feu ne viendra jamais de Berlin. «Un cousin de province était venu me rendre visite, raconte Sabine Gugutschkow. Il est resté la bouche ouverte pendant toute la journée et n’a pas été capable de dire un seul mot. Ce jour-là, nous savions que nous avions gagné la liberté.»
Diffusées par la télévision ouest-allemande, les images des 70 000 manifestants font le tour de la RDA. «C’était la première fois que Krenz avait fait quelque chose de bien, parce qu’il n’avait rien fait, se réjouit Führer. C’était l’envol de notre révolution pacifique, un véritable miracle. Ce jour-là, j’ai compris que tout allait changer, parce que le courage s’était installé de notre côté et que nous avions gagné la sympathie des forces de l’ordre. C’était le tournant.» Le lundi suivant, ils seront 120 000 dans les rues de Leipzig. Deux semaines plus tard 320 000… Ils seront de plus en plus nombreux, chaque lundi, partout en RDA jusqu’à la chute du Mur le 9 novembre suivant.
Voir aussi:
http://www.lefigaro.fr/international/2009/10/31/01003-20091031ARTFIG00223–le-prophte-venu-de-l-est-.php
Jean-Paul II, le prophète venu de l’Est
Bernard Lecomte *
Le Figaro magazine
30/10/2009
Si le pape élu en 1978 avait été italien, français ou brésilien, le mur de Berlin serait peut-être encore debout…
Nous sommes le 17 août 1980. A Castel Gandolfo, dans sa résidence d’été, le pape Jean-Paul II a allumé la télévision : il a l’habitude de regarder le journal de la RAI. Ce soir-là, c’est la Pologne qui fait l’actualité. A Gdansk, au bord de la Baltique, des milliers d’ouvriers en grève occupent les chantiers Lénine. La tension, au cœur du bloc communiste, est à son comble. Soudain, le visage de Jean-Paul II se fige. Sur l’écran, le pape voit distinctement que les ouvriers de Gdansk ont accroché, sur les grilles de leur usine, son propre portrait…
L’histoire innove. De la révolte ouvrière de Berlin-Est (1953) au Printemps de Prague (1968) en passant par l’insurrection de Budapest (1956), jamais aucune révolte populaire en Europe de l’Est n’avait eu de connotation religieuse. Cette fois, les représentants de la classe ouvrière – les vrais, pas les fonctionnaires du parti qui prétendent en être l’avant-garde – assistent à la messe chaque matin, prient la Sainte Vierge sans complexe, et en appellent ostensiblement au souverain pontife, à ce pape polonais qui les a visités un an plus tôt, sitôt élu par le conclave. Tous ont en mémoire l’extraordinaire tournée pastorale de l’ancien archevêque de Cracovie à travers son pays natal, en juin 1979 – un voyage qui restera, pour tous les historiens, la première brèche opérée dans le rideau de fer.
Jamais un pape italien, français ou brésilien n’aurait entrepris pareil périple. A l’heure de la « détente » entre l’Est et l’Ouest, et alors que le communisme continue de progresser dans le reste du monde (de l’Angola au Laos, du Mozambique à l’Afghanistan), seul un pape venu de l’Est pouvait oser affirmer, au mépris de toutes les censures, que le pouvoir communiste était une «parenthèse» dans la vie de ces pays, et que la coupure de l’Europe en deux était un «accident» de l’histoire !
«N’ayez pas peur !» avait lancé le pape slave le jour de son intronisation, en octobre 1978. En Tchécoslovaquie, en Hongrie, mais aussi dans les régions catholiques de l’URSS (Lituanie, Ukraine occidentale), on a vite compris le message. «Ouvrez, ouvrez les frontières des Etats !» a-t-il clamé lors de son premier voyage à l’Est, en ce fameux mois de juin 1979, avant d’en appeler avec obstination, de discours en homélie, à la réunification de l’Europe.
Jean-Paul II a multiplié les signes en direction des chrétiens de ces pays, qu’on appelait collectivement « l’Eglise du silence ». Il avait lui-même assuré à Assise, quelques mois après son élection : «Il n’y a plus d’Eglise du silence, puisqu’elle parle par ma voix!» Message reçu par tous les dissidents de l’Est, les Vaclav Havel, Jan Patocka et autres Adam Michnik. Quelques semaines plus tard, au micro de la BBC, Alexandre Soljenitsyne s’enthousiasme : «Ce pape est un don du ciel !»
«Le pape, combien de divisions ? » avait demandé Staline, un jour, avec ironie. Jean-Paul II n’est pas un chef de guerre. Pas même un homme politique. Les « divisions » du pape slave, ce sont les chrétiens de l’Est, apparus partout aux premiers rangs de la contestation : Lech Walesa et l’abbé Popieluszko en Pologne, Mgr Tomasek et Vaclav Maly en Tchécoslovaquie, Doina Cornea et le pasteur Tökes en Roumanie, etc. Ses armes, ce sont ses paroles : à toute occasion, ce pape humaniste et polyglotte prône les droits de l’homme, la liberté religieuse, la dignité humaine, le droit à la vérité. Autant de valeurs particulièrement subversives dans les pays du « socialisme réel ». Au point que dans toute l’Europe centrale, en mai 1981, l’attentat qui manque de coûter la vie au pape est attribué, évidemment, au KGB ! En décembre 1981, si Jean-Paul II s’engage, contre l’avis de ses cardinaux, à ne pas laisser tomber la Pologne écrasée sous la botte du général Jaruzelski, c’est parce qu’il en fait un combat emblématique, universel, contre le mensonge et l’oppression.
Lorsque Mikhaïl Gorbatchev arrive au pouvoir en URSS, en mars 1985, les Occidentaux sont sceptiques sur sa capacité à réformer le système soviétique. Le pape slave, lui, sent très vite qu’il se passe quelque chose, que la glasnost et la perestroïka vont lui permettre de pousser son avantage. Notamment de contraindre le général Jaruzelski, en 1988, au dialogue avec Solidarnosc, le syndicat interdit qu’il est venu spectaculairement conforter à deux reprises, en 1983 et en 1987. A Moscou, à l’occasion du millénaire de l’Eglise russe en juin 1988, Jean-Paul II envoie son « Premier ministre », le cardinal Casaroli, entamer un vrai dialogue avec Gorbatchev : celui-ci, pris au piège de sa propre stratégie réformatrice, assure que le temps de la lutte antireligieuse est terminé, et accepte le principe d’une rencontre avec le pape.
Gorbatchev au Vatican ! Le 1er décembre 1989, quand le chef du communisme mondial vient rencontrer le chef de l’Eglise catholique à Rome, les jeux sont faits : le Mur est tombé, son régime entre en agonie. Il faudra moins de deux ans pour que le président de l’URSS soit obligé de céder la place aux nouveaux dirigeants de la Russie, de l’Ukraine, de la Lituanie, du Kazakhstan, etc. L’empire des « soviets » a explosé. Dans un article fameux qu’il publie deux mois plus tard, Mikhaïl Gorbatchev revient sur cette suite d’événements extraordinaires : «Rien de ce qui s’est passé en Europe de l’Est n’aurait pu se produire sans ce pape-là…»
* Journaliste et écrivain. Auteur du livre Les Secrets du Vatican (Perrin, 2009).
[Mardi 03/11/2009 16:39]