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Le groupe de travail juridique de Scholars for Peace in the Middle East (SPME - Universitaires pour la paix au Moyen Orient) a publié lundi sa première déclaration majeure, soulignant la mauvaise utilisation des juridictions universelles (au Royaume-Uni et ailleurs) et insistant sur la nécessité de réformes. Au regard des récents événements impliquant le harcèlement de responsables israéliens, le panel international de spécialistes du droit a rappelé aux responsables mondiaux que l'application sélective, la sous-application et la sur-application du droit exacerbent les risques d'incertitude juridique, d'imprévisibilité, de confusion, de disparités et d'iniquités. De plus, poursuit le groupe, les pratiques abusives peuvent mettre en danger les relations pacifiques entre les nations, en restreignant les voyages internationaux effectués par les responsables gouvernementaux et en provocant des mesures de rétorsion par les États dont les responsables sont assujettis aux juridictions extraterritoriales. Détaillant les risques liés à la mauvaise utilisation de l'arsenal juridique, le groupe de travail juridique propose une série de recommandations spécifiques de réformes destinées à éviter les procédures judiciaires aux visées politiques...
Le groupe a approuvé sans équivoque la déclaration du mois de mars du gouvernement britannique: le service de poursuites judiciaires de la Couronne se déclare compétent pour juger les crimes de guerre et toutes autres violations de la loi internationale, mettant un terme au système actuel dans lequel les magistrats sont obligés de considérer le dossier de mandat d'arrêt présenté par tout individu.
Pour appuyer l'importance de ce problème, le conseil de direction du SPME a adopté à l'unanimité la déclaration et les recommandations du groupe de travail juridique.
Gouverné et dirigé par des universitaires, le SPME est une communauté populaire de plus de 30 000 professeurs du second degré et de l'enseignement supérieur, chercheurs, administrateurs, enseignants, bibliothécaires et étudiants provenant de plus de 3500 campus du monde entier. Comme notre nom l'indique, nous nous battons pour la paix au Moyen Orient: un monde dans lequel Israël existe en tant qu'État juif souverain avec des frontières sécurisées et dont les voisins ont accès à leurs aspirations légitimes et pacifiques. En tant qu'universitaires, nous sommes engagés dans la promotion de la recherche, de l'éducation et des services qui aideront à parvenir à cette paix juste. Nous nous battons également pour une région dans laquelle les droits de l'Homme, la stabilité et le développement économique prospèrent et bénéficient à tous sans exception.
Dans le cadre de notre mission, nous sommes depuis quelque temps inquiets de l'utilisation abusive de la notion de compétence universelle utilisée comme extension de ce qui est devenu une guerre juridique contre Israël et d'autres nations démocratiques. Le groupe de travail juridique de SPME, composé de professeurs de droit des États-Unis, du Canada, d'Europe et d'Israël, a publié une déclaration sur l'utilisation abusive de la notion de compétence universelle.
Le professeur Kenneth L. Marcus, titulaire de la chaire du groupe de travail, a déclaré: Il est absurde de vouloir poursuivre Tzipi Livni et Condi Rice alors que Mahmoud Ahmadinejad et Kim Jong-il bénéficient d'une impunité totale. Le temps des réformes est clairement arrivé.
Le professeur Peter Haas, président de SPME, a noté: Le nouveau modèle de guerre juridique est un obstacle à la paix au Moyen Orient. La mauvaise utilisation des outils judiciaires comme armes de guerre ne fait qu'aggraver les tensions et affaiblit la probabilité d'une issue diplomatique au conflit.
Le professeur émérite Samuel Edelman, directeur général de SMPE, a déclaré: Le groupe de travail de SMPE est composé d'un panel d'experts en droit venus du monde entier. Leurs recommandations ne sont pas anachroniques, à la lumière des réformes qu'envisage enfin le gouvernement britannique. Mais les problèmes ne se limitent pas au Royaume-Uni, ou à l'Espagne, ils doivent concerner l'ensemble des gouvernements à travers le monde.
Déclaration du SMPE sur l'utilisation abusive de la notion de compétence universelle
Au cours des dernières années, la notion de compétence universelle a été à l'origine de controverses incessantes. Les critiques ont mis en cause à la fois le bien-fondé des procédures lorsque ces dernières apparaissaient comme non légitimes (comme dans le cas du mandat d'arrêt britannique émis contre Tzipi Livni et les menaces de poursuites contre George W. Bush et Condoleeza Rice) et l'échec de leur application lorsqu'elles semblent appropriées (comme dans le cas de Mahmoud Ahmadinejad et de Kim Jong-il). Les risques de poursuites animées par des motivations politiques sont inhérents à la notion de compétence universelle, tout comme les concessions de processus, l'abandon des normes légales et l'abrogation de la souveraineté nationale. L'application sélective, la sous-application ou la sur-application des textes exacerbent les risques d'incertitude légale, d'imprévisibilité, de confusion, de disparités et d'iniquités. Un exercice sélectif de ce pouvoir peut également créer une impression de politisation, de paternalisme, de néocolonianisme, d'agression ou d'un point de vue biaisé. De plus, les pratiques abusives peuvent mettre en danger les relations pacifiques entre les nations en restreignant les voyages internationaux effectués par les responsables gouvernementaux et en provoquant des mesures de rétorsion par les États dont les responsables sont assujettis aux juridictions extraterritoriales.
Dans la plupart des cas, les actions juridiques doivent être menées par des corps judiciaires de l'État au sein duquel les textes en vigueur n'ont pas été respectés, afin de favoriser les chances de découvertes de preuves, d'augmenter la valeur dissuasive des procédures et de s'assurer que l'accusé est responsable dans le cadre de lois qu'il connait et d'un système auquel il a, au moins implicitement, donné son accord. Il existe plusieurs exceptions légitimes à cette règle, mais chacune doit être clairement circonstanciée de manière à limiter les abus potentiels.
L'application de la notion de compétence universelle par un tribunal local, toujours considérée comme une exception par les textes internationaux, peut constituer une grave faute juridique dans certaines circonstances. Pour cette raison, la compétence universelle doit être considérée comme une mesure extraordinaire sujette au soin le plus strict et aux plus grandes précautions. Les États qui sont chargés de l'exercice de compétence universelle ont l'obligation de s'assurer que des protections adéquates sont établies et permettent d'assurer l'intégrité de la procédure judiciaire, de prévenir tout abus criminel et toute déstabilisation des relations pacifiques avec les autres États.
Spécifiquement, tous les États doivent limiter l'utilisation potentiellement abusive de la notion de compétence universelle en mettant en place quatre mesures préventives de base : (i) la définition de circonstances spéciales, telles que la limitation des faits qui peuvent entraîner la mise en accusation ou la nécessité d'une médiation entre l'État et la transgression supposée, (ii) la mise à disposition de mécanismes permettant de prévenir toute politisation des actions judiciaires, (iii) la reconnaissance d'immunités qualifiées pour certains responsables gouvernementaux et (iv) l'exigence d'épuisement préalable de tous les recours locaux adéquats disponibles. Certaines de ces limitations sont contenues dans l'opinion exprimée par la Cour internationale de Justice concernant le dossier des Mandats d'arrêts (11 avril 2000).
Selon les attendus des juges Higgings, Kooijmans et Buergenthal de la CIJ, des circonstances spéciales sont nécessaires au lancement de poursuites dans le cadre de la compétence universelle. Ces dernières peuvent intégrer une demande d'une source externe auprès du bureau chargé des poursuites. Cette source peut être la famille de la victime. Ce point a pour objectif d'améliorer l'élimination de poursuites motivées par des pensées politiques. Une limitation alternative pouvant être proposée consisterait à exiger une médiation entre l'État exerçant la juridiction et le crime supposé. Cette exigence permettrait de limiter le travail de la juridiction aux cas dans lesquels un ressortissant de l'État exerçant la juridiction est victime ou accusé ou encore dans lesquels l'État est mandaté par traité à l'exercice de ce droit.
De nombreuses limitations sont nécessaires afin de limiter le risque de politisation des procédures juridiques. Un de ces mécanismes est la nécessité d'approbation préalable par un responsable approprié, tel qu'un ministre de la Justice, avant que les actions juridiques ne puissent être lancées. Une autre limitation, suggérée par la CIJ, serait de réserver l'exercice des poursuites à un procureur indépendant issu d'un certain organe de l'État, réduisant ainsi la probabilité que les charges ne relèvent d'une volonté politique. A ce jour, de nombreux cas portés à la connaissance d'une juridiction internationale ont souffert de politisation, officielle ou en provenance du secteur privé, sans que ces dernières ne servent en rien la cause de la justice. L'initiative des procureurs doit être mise dans les mains d'un système de justice criminelle souverain - qui implique le consentement du ministère de la Justice pour toute accusation ou accord de procéder - afin de prévenir toute agitation légale en provenance du secteur privé destinée à prendre le contrôle du calendrier des poursuites dont seuls les responsables officiels doivent être maîtres. D'un autre côté, la poursuite elle-même doit être prise en charge par une équipe indépendante de toute pression exercée par les branches politiques du gouvernement, afin d'empêcher le système judiciaire d'être mal utilisé à des fins de politique intérieure.
L'épuisement des moyens légaux est un critère de limitation important d'une utilisation non nécessaire de la compétence universelle. Comme l'explique la CIJ, cette exigence implique que tout État qui choisit de se tourner vers la compétence universelle in absentia doit en premier lieu offrir à l'État dont la personne accusée est ressortissante la possibilité d'agir au regard des charges soulevées . Cette limitation protège à la fois le concert des nations et respecte la volonté des États au sein desquels les faits supposés ont eu lieu de faire appel aux juridictions internationales. Certains commentateurs ont observé que le suivi international de procédures juridiques locales, lié à la perspective de procédures menées par la suite à l'étranger (assujetties aux limitations de double mise en danger) améliorerait la probabilité de poursuites engagées de bonne foi. Cette exigence doit toutefois être limitée aux cas pour lesquels les réponses locales sont adéquates et disponibles, de manière à s'assurer que les objectifs de la compétence universelle ne sont pas restreints.
La CIJ reconnaît qu' aucun exercice de juridiction criminelle ne peut être mené sans briser l'inviolabilité ou enfreindre l'immunité des personnes concernées, [mais] entamer une enquête sur la base de laquelle un mandat d'arrêt peut être émis a posteriori ne viole pas en droit ces principes. En d'autres termes, les États exerçant une compétence universelle peuvent poursuivre leur exercice mais ne doivent alors en aucun cas être en charge des investigations. L'exercice de la compétence universelle implique nécessairement de nombreux privilèges, dont une immunité qualifiée pour les responsables de l'État. Ce privilège doit être reconnu aux anciens et actuels responsables politiques. Il doit également être reconnu pour certains responsables de rang inférieur. Une compétence universelle ne peut être utilisée d'une manière qui fragiliserait le droit fondamental à l'auto-défense des États souverains.
POUR CES RAISONS
Nous demandons à l'ensemble des États de fournir les garanties légales adéquates qui permettront de prévenir les procédures judiciaires motivées politiquement, utilisant de manière abusive les lois permettant la saisie de la notion de compétence universelle. Si nécessaire, les lois intérieures doivent être corrigées ou amendées dans ce sens.
Nous accueillons favorablement la déclaration du gouvernement britannique du 4 mars 2010 selon laquelle ... le service de poursuites judiciaires de la Couronne se déclare compétent pour juger les crimes de guerre et toutes autres violations de la loi internationale, mettant un terme au système actuel dans lequel les magistrats sont obligés de considérer le dossier de mandat d'arrêt présenté par tout individu.
Nous encourageons le gouvernement britannique et tous les autres gouvernements à agir au plus vite pour assurer l'intégrité judiciaire, éviter les tensions entre les nations et restaurer une bonne entente entre les nations amies.
Membres du groupe de travail juridique du SPME
Kenneth L. Marcus (chaire)
Lillie & Nathan Ackerman Chaire égalité et justice en Amérique, CUNY/Baruch College & Directeur, initiative contre l'antisémitisme et l'anti-israélisme, Institut de recherches juives et communautaires, USA
Marc Cogen
Professeur de droit international
Université de Gand, Belgique
Karen Eltis
Professeur associé de droit
Université d'Ottawa, Canada
Ed Morgan
Professeur de droit
Université de Toronto, Canada
Mohammed Saif-Alden Wattad
Maître de conférences en droit
Ecole de droit Zefat, Israël
Sources:
- texte original: PR Newswire - lundi 5 avril 2010
- traduction: generation-nt.com - mardi 6 avril 2010