|
|
Quatre espèces: image de l’unité d’Israël
|
Haazinou - Deutéronome 32, 1-52 |
La plus grande partie de la paracha de Haazinou (« Écoutez ») est composé d'un « cantique » de 70 lignes que Moïse transmit au peuple d'Israël, le dernier jour de sa vie terrestre. Prenant le ciel et la terre à témoins, Moïse exhorte le peuple en ces termes : « Souviens-toi des jours d'antan, méditez les années, d'âge en âge ; interroge ton père, il te l'apprendra, tes aïeux, ils te diront » de quelle manière D.ieu « l'a trouvé au pays du désert », en fit un peuple, l'a choisi comme Sien, et leur a attribué une terre d'abondance. Le Cantique met en garde contre les pièges de la prospérité – « Mais Yechouroun s'engraisse et se rebelle. Tu deviens gras, replet, bouffi – Il abandonne le D.ieu qui l'avait fait, il méprise le Rocher de son salut, » ainsi que les terribles calamités qui en résulteraient, que Moïse décrit comme D.ieu « détournant Sa face ». Cependant, il promet que D.ieu, à la fin, vengera le sang de Ses serviteurs et se réconciliera avec Son peuple et Sa terre. La paracha se conclut par l'ordre de D.ieu à Moïse de gravir le mont Nebo jusqu'à son sommet, depuis lequel il contemplera la Terre Promise avant de mourir sur la montagne. « De loin seulement tu verras le pays, tu n'y entreras pas, dans cette terre que Je donne aux enfants d'Israël. » |
|
Le miracle d'un retour L'art de brûler les étapes |
Le judaïsme présente paradoxalement la « Téchouva », retour vers D.ieu, comme un commandement divin qui se décompose en un certain nombre de phases : doit s’exprimer d’abord un profond regret, suivi d’une inébranlable décision de ne plus fauter. Et, bien que « laTéchouva soit principalement dans le cœur »1, cette décision est accompagnée d’un « Vidouï », aveu oral de la faute. Un tel formalisme défini comme un commandement divin semble, a priori, injustifié. Comment peut-on dicter au pécheur son itinéraire émotionnel ? En amont de cette question se situe une problématique fondamentale : le cheminement du retour vers D.ieu est-il virtuel ou effectif ? En d’autres termes, s’agit-il du simple défoulement d’un sentiment coupable ou d’une véritable réparation d’un acte pervers ? Dans cette dernière éventualité, quel processus sous-tend la réparation d’une action passée ? Le sens de la réparation d’une faute passe par celui du commandement divin. Les trois cent soixante-cinq interdits et surtout les deux cent quarante-huit injonctions du judaïsme sont appelés, dans le Zohar, les « membres du Roi » car par eux, D.ieu agit sur la marche du monde. Cette action consiste principalement en un influx d’émanation divine, témoin de l’amour qu’éveille en D.ieu l’accomplissement de Sa volonté par l’homme. Chaque commandement, dans sa définition, appelle une expression différente de la révélation divine filtrée par les attributs de l’arbre séphirotique.2 Garant du libre-arbitre, le mal est une création dont le caractère négatif justifie son existence quasi-insignifiante, tout juste suffisante à éprouver l’homme en tentant de le détourner de D.ieu. Cependant, son statut de créature divine pose la question de sa motivation à inciter l’homme à s’opposer à son Créateur. Cette question trouve sa réponse dans la définition de la faute. Par la transgression d’un commandement divin, l’homme provoque le détournement de la révélation divine, initialement destinée, si le commandement avait été accompli, à consolider les structures de la Création, vers les forces du mal qui s’en nourrissent. Cette nutrition contre nature lui confère alors une existence d’un niveau supérieur qui renforce son emprise sur le monde. Ce détournement se présente sous deux aspects : d’une part, l’endommagement de l’arbre séphirotique qui laisse s’échapper l’émanation divine comme le sang s’échapperait d’une blessure. D’autre part la création d’un ange maléfique dont le rôle sera, entre autres, de punir le pécheur3. Comme toute créature, l’ange, bénéfique ou maléfique, est composé d’un « corps »4 et d’une âme. En un certain sens, la faute est elle aussi un être vivant qui naît, se développe et qui meurt, dont le corps est son accomplissement, animé par le désir. De ce point de vue, le désir de fauter crée l’âme du mauvais ange et sa réalisation en engendre le corps. Si le regret de l’homme peut suffire à annuler son désir coupable, il est inefficace pour effacer l’action, imprimée dans la matérialité du temps et de l’espace. Le Talmud5 nous affirme qu’un véritable retour vers D.ieu serait réalisé lorsqu’un homme coupable d’adultère, se retrouverait « avec la même femme, dans les mêmes conditions et dans le même lieu » sans pour autant fauter. Bien qu’une telle situation compenserait une telle faute de façon idéale, elle est toutefois difficilement réalisable. Aussi, dans Sa grande bonté, D.ieu a laissé à l’homme la possibilité de détruire le « corps » de sa faute par l’acte minime que constitue son aveu car, nous disent nos Sages, « les mouvements de ses lèvres sont comptés comme un acte ».6 Nous comprenons ici le sens du « Vidouï », expression orale de l’aveu de la faute. Malgré son caractère désuet, il vient réparer l’action commise par le pécheur. Mais tout ce processus semble encore allégorique et ne répond pas à l’interrogation sur l’effet réel du retour vers D.ieu. Pour répondre à cette question, il faut se reporter à une partie fondamentale de la liturgie juive, si souvent mentionnée le jour du Grand Pardon, qui est l’évocation des « treize attributs de la miséricorde divine ». Bien qu’attributs divins, ceux-ci se distinguent des dix attributs qui constituent l’arbre séphirotique par leur caractère transcendant.7 Selon la tradition hassidique8, l’ossature de la Création est composée de dix attributs divins9, expressions immanentes de la divinité. En amont de ceux-ci se situe l’attribut de « Kéter »10 qui, comme la couronne royale qui surplombe la tête du roi, transcende l’arbre séphirotique.11 Les attributs de miséricorde sont au nombre de treize parce qu’ils contiennent toutes les expressions du divin que sont les dix attributs et les trois parties de « Kéter ».12 C’est pour cette raison que le pardon de la faute passe par l’invocation de ces attributs : seule la transcendance divine, en amont du temps et de l’espace, peut réparer13 le passé en détruisant tout mal, comme un roi peut, par sa miséricorde, transcender toute justice.14 Le retour vers D.ieu dépasse donc la notion de pardon de la faute. Il introduit une nouvelle dimension dans la relation de l’homme à D.ieu qui, comme dans un miracle, brise les limites de la nature. Cette brisure est en fait une réponse à l’action de l’homme qui tourne résolument le dos à son passé. Il ne s’agit pas ici d’une montée progressive, d’un long raffinement acquis par les commandements divins, mais d’un véritable saut vers son Créateur. De ce point de vue, la « Téchouva » n’est plus une simple réparation de fautes passées, c’est une attitude qui exprime un brûlant désir de retrouver son Créateur, au-delà même du service divin. De fait, c’est un mouvement de l’âme décrit par le verset : « le souffle de vie reviendra vers D.ieu qui l’a insufflé ».Ecclésiaste 12, 7. Parce qu’au-delà des commandements, au-delà du service quotidien, D.ieu demande quelquefois de savoir brûler les étapes qui conduisent vers Lui en transcendant Sa volonté. |
Le Ma'hzor de mon père L'âme juive dans l'enfer du Goulag | ||||||
Source Il avait à l'époque vingt ans. Il était prisonnier dans un camp de travaux forcés soviétique en Sibérie. Son crime avait été de tenter de s'enfuir de Russie. Il avait rêvé de quitter le pays pour rejoindre la terre d'Israël, mais il avait été arrêté et condamné à 25 ans de travail. À son arrestation, il fut séparé de ses parents et de ses deux sœurs. Il avait un frère qui était déjà prisonnier dans un autre camp pour un « crime » similaire. Il y avait à peu près mille prisonniers dans le camp de mon père. Ils travaillaient tous sur le chantier d'une centrale électrique. Sur ces mille hommes, seule une vingtaine étaient juifs. Alors que l'été tirait à sa fin, les prisonniers juifs se demandaient comment ils allaient célébrer les jours solennels de Roch Hachana et Yom Kippour. Ils savaient qu'il leur manquerait un choffar (corne de bélier), un rouleau de la Torah et des Talitoth (châles de prière), mais ils espéraient trouver unma'hzor, un rituel de prières des fêtes. Mon père remarqua un homme qui était « de l'extérieur », un ingénieur qui travaillait pour le camp sur certains projets. Il se pouvait bien, d'après lui, que cet ingénieur fût juif. Il attendit donc le moment propice pour approcher cet homme. « Kenstou mir efsher helfen ? », lui murmura-t-il en Yiddish (« Peut-être pouvez-vous m'aider ? »). À cette époque, tous les Juifs de Russie parlaient le Yiddish couramment. Mon père vit dans son regard que l'homme avait compris. « Pourriez-vous amener un ma'hzor pour moi, pour les Juifs ici ? » lui demanda-t-il. L'ingénieur hésita. Une telle affaire mettrait leurs deux vies en danger. Malgré cela, il accepta d'essayer. Quelques jours passèrent. « Y a-t-il du nouveau ? », demanda mon père. « De bonnes et de mauvaises nouvelles », répondit l'ingénieur. Il avait trouvé un ma'hzor avec difficulté, mais c'était le seul que possédait le père de sa fiancée et l'homme s'était vigoureusement mis en colère quand sa fille lui avait demandé d'y renoncer. Peut-être lui avait-elle dit pourquoi elle le lui demandait, peut-être pas. Mais mon père n'était pas résolu à abandonner son projet. Peut-être, suggéra-t-il, ce monsieur voudrait bien lui prêter le livre. Il pourrait alors le recopier et le lui rendre avant Roch Hachana. L'ingénieur fit passer clandestinement le ma'hzor à l'intérieur du camp et le donna à mon père. Pour pouvoir le recopier, mon père construisit une grande caisse en bois dans laquelle il se cachait plusieurs heures par jour. Là bas, à l'abri des regards, il recopia le livre de prières, ligne après ligne, dans un cahier. Au bout d'un mois, il avait recopié l'ouvrage dans sa totalité. Il manquait cependant une page, celle du Kol Nidrei, la première prière récitée le soir de Kippour.
Mon père rendit le livre et l'automne arriva. Les prisonniers juifs connaissaient les dates des fêtes grâce au courrier de leurs familles et, le jour de Roch Hachana, ils soudoyèrent les gardes, probablement avec des cigarettes, pour que ceux-ci les laissent se rassembler dans le baraquement pour prier. Avec son rituel écrit à la main, mon père fit office de 'hazane(chantre), récitant chacune des prières qui étaient ensuite reprises par les voix basses et solennelles de l'assemblée. Sept jours plus tard, ils se rassemblèrent de nouveau pour Kol Nidrei. Cependant, malgré leurs efforts, aucun des fidèles ne parvenait à se rappeler des tous les mots de cette prière. Au bout de près de sept ans, mon père fut libéré avec tous les autres prisonniers politiques suite à la mort de Staline. La seule chose qu'il emporta avec lui de ce camp fut son ma'hzor. Il retrouva sa famille près de Moscou et, plus tard, se maria. Je n'étais qu'un nourrisson lorsque, en 1967, quinze ans après sa libération, ma famille fut autorisée à émigrer en Israël. Le ma'hzor fut aussi du voyage. Mon père, qui vit encore à Bnei Brak, n'aime pas évoquer ces années douloureuses en Sibérie. Mais, les rares fois que je l'entends raconter un épisode de cette époque, il déclare avec émotion qu'il n'a jamais participé à des prières aussi ferventes que celles que lui et ses compagnons faisaient au Goulag. En 1973, il rendit visite au Rabbi de Loubavitch à New York et lui remit lema'hzor en cadeau.
Il y a quelques mois, j'ai visité la bibliothèque du Rabbi et j'y ai trouvé le ma'hzor de mon père. J'ai contemplé le cahier usé avec ses pages si fragiles, écrites à la hâte avec tant de respect et de détermination. J'en ai fait une copie... à la photocopieuse. Ce Yom Kippour, lorsque je dirigerai les offices au Beth 'Habad de Solon dans l'Ohio, j'aurai auprès de moi la copie du ma'hzor de mon père, avec sa page de Kol Nidrei manquante. Mon père n'avait pas pu réciter le Kol Nidrei durant ses années de détention. Cette année, je demanderai à ma communauté, et à chacun d'entre nous, de le réciter pour lui et pour tous ceux qui n'ont pas la possibilité de le faire.
|
-------------------------------- Le père oublié |
Dans un petit village du fond de l’Europe Centrale, à plusieurs heures de route de la plus proche communauté juive, vivait une famille juive. Une fois par an, pour Yom Kippour, ils faisaient tous le long voyage qui les menait à la ville, afin de prier avec leurs coreligionnaires Une année, le père de famille se leva très tôt, la veille de Yom Kippour et se prépara pour le voyage. Ses fils, qui n’étaient pas si empressés que lui, poursuivaient tranquillement leur sommeil. Impatient de se mettre en route, il dit à sa famille : «Écoutez, je vais commencer le trajet à pieds, pendant que vous vous préparez. Je vous attendrai au pied du grand chêne, au croisement des routes.» Marchant d’un pas allègre, le villageois atteignit bientôt l’arbre et s’étendit sous son ombre pour attendre la charrette qui emportait sa famille. Épuisé par de nombreux jours de travail harassant, il s’endormit. Pendant ce temps, les siens avaient chargé la charrette et s’étaient mis en route. Mais dans l’excitation du voyage, ils oublièrent leur vieux père. Ils ne s’arrêtèrent pas à la croisée des chemin, devant le grand chêne et ne virent pas la silhouette endormie du père. Quand le villageois se réveilla, le soir était déjà tombé. A de nombreux kilomètres de là, les prières du Kol Nidré avaient commencé dans la synagogue de la ville. Levant les yeux au ciel, le vieil homme s’écria : «Maître de l’univers ! Mes enfants m’ont oublié. Mais ce sont mes enfants aussi je leur pardonne. Toi aussi, comporte Toi ainsi pour ceux de tes enfants qui T’ont abandonné...» Cette histoire a été racontée par la grand-mère du Rabbi Précédent, la |