Dans un extraordinaire entretien, le fonctionnaire du plus haut rang en Israël, Uri Lubrani, dévoile sa recette pour chasser les mollahs, et bien d’autres choses encore…
Uri Lubrani a conseillé les dirigeants d’Israël depuis des décennies. Il commença comme secrétaire de Moshe Sharett, premier ministre des affaires étrangères d’Israël. Il était le conseiller aux affaires arabes du Premier ministre David Ben Gourion, et directeur de cabinet et conseiller politique du Premier ministre Levi Eshkol. Il fut le chef de la mission israélienne en Iran de 1973 à 1978 au temps de l’âge d’or des relations avec Téhéran, et il prédit la chute du Shah – dans l’indifférence et le doute des Israéliens et des Américains.
Lubrani servit comme ambassadeur en Ethiopie et en Ouganda, et fut longtemps coordinateur des activités israéliennes au Liban. Il supervisa l’Opération d’évacuation aérienne ‘Salomon’ des 15.000 Juifs de la guerre civile déchirant l’Ethiopie en l’espace d’une seule fin de semaine en 1991. Le Premier ministre Yitzh’ak Rabin le nomma à la direction de l’équipe de négociation pour libérer les soldats israéliens disparus.
Depuis divers petits bureaux des Quartiers Généraux militaires Kyria à Tel Aviv, il a travaillé comme conseiller spécial pour une succession de ministres de la défense – apprécié par certains, à peine toléré par d’autres. Aujourd’hui, il appartient au cabinet de notre ministre des affaires stratégiques, Moshe « Boogie » Ya’alon.
Plutôt que de s’étendre sur les conseils suivis, Lubrani, aujourd’hui âgé de 84 ans et sans aucun doute le plus vieux fonctionnaire du pays, tend à se focaliser ces jours-ci sur les connaissances qui furent ou sont ignorées. Dans une longue entrevue avec moi et le correspondant militaire du ‘Jerusalem Post’ Yaakov Katz, il développe un ensemble d’évaluations surprenantes, et décrit une série de tentatives réussies ou avortées, dont un effort auparavant jamais révélé pour aider à résoudre les revendications sur la propriété de réfugiés palestiniens remontant à l’époque de Ben Gourion. Mais Lubrani – suivant un rythme physique plus lent, mais aussi acéré que jamais – réserve sa plus grande passion pour un conseil où il ressent le plus d’angoisse pour ne pas l’avoir inculqué : sa conviction que davantage d’Israéliens, de fait tous les Israéliens, doivent maîtriser la langue arabe.
« Cela m’étonne et me stupéfie que dans les villes arabes israéliennes de Taibe et Tira, les Arabes puissent parler l’Hébreu, mais nous ne parlons pas leur langage. Et nous voulons être absorbés ! Nous voulons qu’ils pensent que nous faisons partie de cette région ! »
Et cela aurait aidé Israël à parvenir à la normalisation dans cette région, nous étonnons-nous ? Cela aurait conduit à une plus grande acceptation de la part des Palestiniens et du reste du monde arabe ? Cela aurait signifié que les Egyptiens, libérés de la dictature, seraient devenus instinctivement moins hostiles à Israël ?
“Je ne dis pas que cela aurait tout résolu, s’exclama-t-il, entendant notre scepticisme. « Mais cela aurait changé notre attitude envers eux et la leur envers nous, aussi ».
Lubrani a prévenu depuis des décennies des dangers émanant du régime islamiste de l’Iran, et a longtemps fait pression pour une plus grande assistance internationale à l’opposition intérieure qui cherche à le chasser. Ici, il vilipende le président Barack Obama pour ce qu’il considère être un effort illusoire d’entrer en pourparlers, et indique à l’Occident les mesures qu’il le presse de prendre pour accélérer la disparition des mollahs. Le régime tombera, dit-il, mais puisque l’Occident a tout intérêt à ce que cela se produise plus tôt que plus tard, il doit offrir un discours public sans équivoque à l’opposition iranienne, et beaucoup d’assistance pratique aussi.
Extraits :
Eh bien, comment voyez-vous le tumulte régional qui se déroule ?
Je n’ai pas idée. C’est encore bouillonnant. Mais cela conduira certainement à un affaiblissement considérable de ce que nous appelons les régimes modérés du Moyen-Orient. Cela conduira aussi à un affaiblissement de l’influence américaine.
Cela renforcera-t-il les régimes les plus brutaux ? Où cela s’arrêtera-t-il ?
De nouveau, ce n’est pas encore clair. Cela va-t-il s’arrêter en Libye ? Cela pourrait aller jusqu’au Maroc. En Arabie saoudite, à Dubaï, Abu Dhabi. Il y a des problèmes de population là-bas aussi. Une majorité shiite à Bahreïn et des Sunnites qui le contrôlent. Cela encouragera certainement les dirigeants de certains de ces régimes à trouver des accords avec les Iraniens. Si j’étais dans le Golfe Persique aujourd’hui, en observant alentour, en mesurant le soutien à attendre des USA, je commencerais par songer à regarder ailleurs.
La présence des USA – Le Commandement Central au Qatar et la Cinquième Flotte de la Navy à Bahreïn – n’empêcheront-ils pas cela ?
Bahreïn est en fait l’une des plus importantes bases navales des USA. Mais voyez ce qui se passe là-bas. Je ne suis pas sûr que les Américains leur donnent le soutien qu’ils attendent.
Je regarde tout à travers les yeux de l’Iran. Les Iraniens voient cette zone, les principautés du Golfe Persique, comme la leur. Ils considèrent ce qui se déploie comme une opportunité. Les Iraniens ont une qualité dont nous et d’autres manquons : la patience. Une patience illimitée. Et une capacité d’absorption. Ils jouent aux Echecs. Ils prévoient deux à trois coups à l’avance.
Vous paraissez plutôt pessimiste sur une poussée vers la liberté.
Ce qui est arrivé en Egypte est un cri absolu pour quelque chose de plus que ce qu’ils avaient sous le président Hosni Moubarak – qui n’était pas une dictature terrible, mais était cependant une dictature. Mais cela prendra des années pour en sortir. Et cela ne rejoindra pas toujours nos intérêts.
Vous dites que ce pourrait être bon pour Israël si la région changeait vraiment, mais que la période intérimaire sera sûrement problématique, et peut-être au-delà aussi ?
Absolument, nous sommes dans une situation problématique. A mon grand chagrin, en 62 ans, nous ne sommes pas parvenus à enraciner notre existence dans cette région pour nous assurer d’être reconnus comme faisant partie d’elle. Nous avons des accords de paix avec la Jordanie et l’Egypte qui sont bels et bons, mais nous savons de quels types de paix ces accords sont faits. Ils ne sont pas vraiment ce que nous voulons.
La chose la plus évidente que me rend dingue, c’est que nous ne demandons pas à nos enfants d’apprendre l’arabe depuis les petites classes. Ils ne savent pas le parler. Cela m’étonne et me stupéfie que dans les villes arabes israéliennes de Taibe et Tira, les Arabes puissent parler l’Hébreu, mais nous ne parlons pas leur langage. Et nous voulons être absorbés ! Nous voulons qu’ils pensent que nous faisons partie de cette région ! »
C’est de notre faute si nous ne sommes pas acceptés ici ?
Je ne dis pas que si nous parlions tous l’Arabe, cela aurait tout résolu. Mais Ben Gourion dans les quelques premières années de l’Etat aurait dû exigé que la jeunesse apprenne l’Arabe. En vérité, il n’y avait pas vraiment assez de gens pour l’enseigner. Mais cela aurait dû être l’objectif déclaré. Nous avons atteint toutes sortes de résultats en agriculture et dans la sphère militaire, défiant l’imagination. Nous aurions dû faire la même chose avec la langue arabe.
Cela aurait changé l’attitude des Arabes locaux envers nous ?
Cela aurait changé notre attitude à leur égard et la leur envers nous. Je vais donner un exemple personnel. J’ai grandi à Haïfa – une ville mixte. Mon défunt père avait beaucoup d’amis arabes. Ils venaient chez nous. Après 1948, l’un de ces amis déménagea à Ramallah et ces liens furent maintenus. Je vécus outre-mer pendant longtemps et quand je revins, j’invitai cette famille à venir nous rendre visite. Cela faisait des années. Ils vinrent de Ramallah dans leur voiture. Ce fut une merveilleuse soirée. Nous les renvoyâmes à Ramallah. Plus tard cette nuit-là, l’ami m’appela et me dit : « ce fut une très agréable soirée, mais je ne le ferai jamais plus ». Je demandai : « Qu’est-il arrivé ? ». Il répondit que sur le chemin du retour, ils arrivèrent à un point de contrôle de la police des frontières. Celle-ci contrôla la voiture et lui demanda d’ouvrit le coffre. Il dit qu’ils refermèrent le coffre sur sa tête. Il me dit : « Apparemment, nous ne sommes pas prêts à vivre ensemble ».
La plupart des choses que nous faisons dans les territoires peuvent être faites exactement avec le même résultat mais d’une manière différente : « Excusez-moi, pouvons entrer ? », « Puis-je déplacer ceci là-bas ? ».
Cela ferait-il vraiment une différence ? Les Palestiniens nous haïraient-ils moins ?
Sans aucun doute. Comprenez combien il est important de les respecter. Plus important que l’argent et beaucoup d’autres choses. Savez-vous ce que c’est pour un époux que d’avoir sa femme et ses enfants le voyant pendant que des soldats le giflent au visage ? Quel coup à son honneur ! Quel besoin de le faire ? C’est une affaire d’éducation.
Je sais que je suis un Don Quichotte. Un meilleur comportement n’aurait pas résolu tous nos problèmes. Mais il en aurait résolu beaucoup. Et il aurait au moins diminué le niveau de la haine – parmi les Arabes israéliens aussi.
Et cela aurait-il de même modifié les Egyptiens, plus dans notre sens ? Cela aurait eu un effet, par osmose. Pensez-vous qu’en Egypte ils aiment voir la façon dont nous bottons les Palestiniens ? Non. Ils sont prêts à botter et frapper leurs propres Arabes, mais quand des infidèles comme nous le font, ils n’aiment pas cela.
Et nous pourrions avoir maintenu notre contrôle de sécurité plus poliment ?
Sans aucun doute. Je ne dis pas que vous pouvez être poli dans tous les cas. Il y a des gens terribles par ici.
Et cela aurait-il signifié, en 2011, que la relation instinctive du public égyptien avec nous aurait été plus positive ?
Peut-être. Je vais vous donner un autre exemple autobiographique. Je ne suis pas une colombe. Loin de là. Et je perçois qu’il y a quelque chose dans l’expression “Les Arabes ne comprennent qu’un seul langage ». D’accord. Mais vous pouvez traduire ce langage plus efficacement. J’étais dans l’autobus un jour quand j’étais enfant, entre Haïfa et le Carmel, avec mon père. Une femme arabe monta, avec deux paniers. Mon père me demanda de me lever et de lui donner mon siège. L’homme assis derrière nous donna un coup dans la banquette, demandant à mon père pourquoi il m’avait dit de faire cela. Mon père répéta : « Lève-toi et laisse la s’asseoir. Nous allons vivre avec elle pendant encore 2.000 ans ensemble ». Cela est resté gravé dans ma tête.
Si nous étions parvenus à les expulser totalement, je n’y aurais pas songé. Mais nous ne l’avons pas fait. Ils sont là. Et s’ils sont là, nous devons vivre avec eux d’une certaine façon et nous n’y avons pas réussi. Nous avons réussi dans beaucoup d’autres domaines, et nous avons parfaitement le droit d’en être fiers. Mais là-dessus, nous n’avons pas réussi.
Un autre exemple personnel. J’étais à l’hôpital Tel Hashomer il y a des années, en visite à un ami. A cette époque, je passais très souvent à la télé parce que j’étais le coordinateur des affaires du gouvernement pour le Liban. Soudain, une femme de ménage me saisit. Je demandai : « Quel est le problème ? » Elle plaida : « S’il vous plait, enseignez à vos enfants à parler l’Arabe. Je viens de Gaza. Et les soldats ne savent même pas dire le mot « couvre-feu » en Arabe. Il y a eu un couvre-feu et mon fils est sorti dehors et on lui a tiré dessus ».
Vous dites que vous n’êtes pas une colombe. Quelle est votre position sur les lignes de 1967, sur les négociations avec les Palestiniens ?
J’ai toujours su que nous aurions à diviser ce pays. Je ne suis pas plus une colombe que Ehud Barak – qui offrit ce qu’il a offert et accorda ce qu’il accorda. Si nous pouvions en garder davantage, je voudrais en retenir davantage. Je suis un ‘Ben Gourioniste’. Je sais que nous devons insister pour des choses qui ne sont pas acceptées dans le monde arabe. Mais nous devons aussi trouver la manière de démontrer que nous savons vivre dans un Etat qui doit vivre avec les Arabes.
Je suis opposé à l’abandon de toute la Rive Occidentale. Je veux des corrections de frontières qui nous assureront de ne pas être surpris. Et je ne me soucie pas de ce que les gens disent là-dessus.
Des corrections mineures ?
Je suis favorable au maintien du contrôle sur la vallée du Jourdain. Ce n’est pas une affaire mineure.
Est-il trop tard pour construire des liens avec le Peuple égyptien ? Seront-ils plus hostiles quand le peuple contrôlera vraiment leur pays ?
Ce sera certainement plus difficile pour nous avec un nouveau régime en Egypte. L’époque où nos négociations se faisaient avec un seul dirigeant est terminée. Nous devrons trouver des moyens pour bâtir un réseau de relations fondées sur le ‘donner et prendre’. Nous devons y réfléchir beaucoup.
Donner et prendre quoi ?
D’abord, nous aurons toujours la possibilité de leur donner la perception que nous avons de l’influence aux Etats-Unis. Ensuite, l’Egypte a de très sérieuses difficultés économiques. Voyons si nous pouvons créer une situation où leur secteur du tourisme et le nôtre travailleront ensemble. Créer une dépendance mutuelle. Nous pouvons faire cela avec le Liban aussi, quand le moment viendra. Je ne serai plus de ce monde alors, mais cela arrivera. Et puis il y a des options pour une conjonction industrielle. Nous devons leur donner la perception que, même s’ils ne nous aiment pas, le fait est que nous sommes là et puissants et ne pouvons pas être boutés dehors, et qu’une certaine coopération bénéficiera aux deux parties.
Nous pouvons vaincre leur inclination à regarder dans une direction différente, vers les Iraniens ?
Je ne crois pas qu’ils regarderont dans cette voie. Ils sont sunnites et les Iraniens sont shiites.
Ce fossé religieux est plus grand que le Golfe entre eux et nous. Cela n’a pas empêché la relation entre le Hamas et l’Iran.
Le fossé entre les shiites et les sunnites est plus profond que tout autre chose. L’affaire du Hamas est une question d’argent. Deux fois ces dernières années, j’ai observé des réunions entre le chef du Hamas Khaled Mashaal et le président de l’Iran Mahmoud Ahmadinejad, et il est évident qu’Ahmadinejad est le joueur dominant ici.
Laissez-moi-vous dire une chose de l’époque où j’étais à Téhéran. Il m’a fallu deux ans et demi avant que le Shah accepte seulement de me recevoir, mais finalement je parvins à une situation où, si je voulais le voir, je le voyais. Lors de l’une de ces réunions, en 1976, le lui demandai : « Votre Majesté, pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous dépensez tant d’argent en équipement militaire ? ».
Il me regarda comme si j’étais un idiot et dit : « J’ai besoin d’une armée puissante ».
Je répondis : « Pourquoi ? Vous venez de signer un accord concernant le fleuve Shatt al-Arab avec l’Irak et ainsi résolu votre principal problème avec la frontière irakienne ».
Il répondit : « Clairement, vous ne comprenez pas les choses. Je vais être attaqué par les Arabes ».
J’insistai : « Vous venez de signer un accord ! ». Il répondit : “Il ne vaut pas le papier sur lequel il est imprimé. Je suis certain que les Américains me protègeront de l’Union soviétique. Si les Russes attaquent, je suis sûr que les Américains seront là. Mais si les Arabes attaquent, les Américains diront que c’est un conflit local. Alors de quoi avez-vous besoin ? Vous avec besoin d’une armée pour vous protéger. Et les Arabes attaqueront ».
Cette antipathie presque innée entre les Arabes et les Iraniens est indescriptible. Ils se haïssent.
Mais de la même façon que vous avez des partenariats entre les émules de la Syrie et de l’Iran, des accords stratégiques, ne pouvez-vous avoir cela entre l’Egypte et l’Iran ?
Tout est possible. Des accords stratégiques ne sont pas fonction de l’amour ou de la haine. Mais les Iraniens – presque 77 millions aujourd’hui, alors qu’ils étaient 30 ou 31 millions quand je quittai mon poste – vont devenir un facteur central au Moyen Orient avec n’importe quel régime, que cela nous plaise ou pas.
Maintenant, ce régime se considère comme ayant été envoyé par la puissance divine pour se tenir à la tête du camp musulman, pour faire face aux infidèles. Ils considèrent que c’est le moment pour l’islam de reprendre ce que les infidèles leur avaient pris. Enfin, ils voient Malaga en Espagne comme étant à eux ! C’est leur façon de penser. Ahmadinejad ne fait aucun effort pour le cacher.
Alors, comment dépassent-ils le fossé shiites-sunnites pour parvenir à cet objectif ? Comment se font-ils bien voir des Arabes ? Ils s’emparent de la question palestinienne, du conflit palestinien, et l’élèvent à la question clé. C’est ce qu’ils ont fait. Ils ont créé une situation – d’abord avec le jihad islamique et divers autres groupes extrémistes, et maintenant avec le Hamas et tous les autres – où ils sont les parrains de la cause. Tout cela est affaire d’argent, et cela ne représente pas tant d’argent pour les Iraniens pour tout cela. Ils ont donné peut-être 500 millions de $ au Hamas à ce jour.
Mais alors, qu’est-ce qui empêcherait une pareille relation entre l’Iran et l’Egypte ? Les ‘Frères Musulmans’ ne sont-ils pas des partenaires potentiels ?
Ce sont des sunnites. Je ne vois pas un tel partenariat.
Voyez-vous les ‘Frères Musulmans’ prendre le contrôle de l’Egypte ?
Non. L’Egyptien moyen ne se définit pas lui-même comme un ‘Frère Musulman’…
Je dois souligner que beaucoup de gens connaissent l’Egypte beaucoup mieux que moi. Mais je crois vraiment qu’il est bien trop tôt pour tirer des conclusions. Ma seule conclusion pour l’heure, pour nous, c’est de ne pas se prononcer. De ne pas créer des points de friction. De ne pas insulter. Laissons les choses aller. Dans tous les cas, vous n’avez aucun contrôle sur les évènements. Mais j’ajouterais que vous devez internaliser combien l’armée égyptienne et l’économie égyptienne sont interdépendantes. Il faudrait encore une autre convulsion totale pour que cela change, et je ne vois pas l’armée laisser cela se produire.
Alors ne pas parler au-delà de l’expression d’empathie pour le désir de liberté du Peuple égyptien ?
Exact. Malheureusement, nous n’avons même pas beaucoup d’outils pour faire cela.
Permettez-moi une digression. J’en ai tiré de la boite à idées parfois. L’une d’entre elles a été de mettre en place notre propre version d’Al Jazeera. Une Al Jazeera d’inspiration israélienne en langue arabe. L’un de ceux qui m’a aidé était une personne intimement familière d’Al Jazeera et de son financement, qui fit pour moi une analyse de coût il y a quatre ans, mais je ne pus trouver personne pour m’écouter…
Nous savons que vous avez eu des problèmes pour payer des crayons et des imprimantes pour le petit service de Radio Israël en langue persane.
J’ai dû leur trouver le financement de crayons et d’imprimantes. Mais désormais les choses se sont quelque peu améliorées.
Alors vous avez voulu installer une station TV de la même puissance et qualité qu’Al Jazeera. Laissez nous évaluer le coût : 100 millions de $ par an ?
Cinquante millions de livres sterling, en vérité. Personne ne voulait écouter. (Sourires mélancoliques) Si Teddy Kollek était encore vivant, et si j’étais allé voir Ben Gourion…
Cela me rappelle une autre idée que j’avais eu autrefois : jusqu’à aujourd’hui, je crois que nous devons donner des compensations financières à tout réfugié qui a une réclamation sur une propriété à l’intérieur d’Israël souverain. Pas la propriété, comprenez-vous, mais une compensation financière.
Je suis allé voir Ben Gourion à ce sujet. J’étais son conseiller pour les affaires arabes. Le chef de l’Eglise Catholique Grecque à Haïfa avait une communauté de 25.000 à 30.000 réfugiés à Beyrouth. Il vint me voir. Il dit : « Au moins, donnez leur un peu d’argent. Ils sont dans situation financière très difficile ». Je répondis : « L’accepteraient-ils ? ». Il dit : « Bien sûr ». Je dis : « Je veux rencontrer leurs représentants ».
Alors il nous arrangea un voyage via le Vatican. J’obtins l’approbation de Ben Gourion pour le voyage. Et le chef de l’Eglise Catholique Grecque à Haïfa fit venir 20 représentants des réfugiés du Liban.
Pas seulement des Catholiques.
J’avais établi à l’époque une estimation approximative que la valeur des requêtes de propriété de la totalité de la communauté des réfugiés était de quelques milliards de dollars. Beaucoup d’argent, mais encore. Reuven Aloni, le mari de l’ancienne chef politique de l’aile Gauche Shulamit Aloni, qui dirigeait l’Autorité des Terres d’Israël, m’avait donné l’estimation.
Yaacov Herzog, Le frère du président Haïm Herzog, ministre plénipotentiaire à l’ambassade d’Israël à Washington à la fin des années 1950, avait parlé au secrétaire d’Etat John Foster Dulles, qui lui avait dit que les Américains aideraient Israël pour l’argent.
J’ai montré aux représentants des réfugiés le projet d’accord et ils répondirent qu’ils étaient prêts à signer. Mais le destin s’en mêla. Peu après mon retour de la réunion au Vatican, Ben Gourion démissionna. Je devins alors le directeur de cabinet du Premier ministre à venir Eshkol. Quand il entra rn fonction et que j’allai le voir avec l’idée, il la rejeta.
Cet accord se serait appliqué à tous les réfugiés au Liban ?
Oui, et l’idée était que cela aurait été l’accord exemplaire, qui aurait pu alors être étendu à toutes les requêtes de propriétés des réfugiés. Ils n’étaient pas prêts à signer pour les requêtes non matérielles. Ils n’abandonnaient pas les exigences politiques.
Je suggérais aussi que toute délégation israélienne à travers le monde dispose d’un bureau pour traiter des requêtes. Et il y aurait en Israël un bureau pour vérifier les requêtes et verser l’argent. Cela aurait pris des années. Mais cela aurait démontré que nous n’étions pas enclins à saisir leur propriété sans compensation. Je sentais que nous devions faire quelque chose.
On m’incita à vérifier si cela était possible. Ce n’était pas simple. Mais je voyageai au Vatican, seul, sans assistants. Je fus vraiment désolé que cela ne se réalisât pas.
Revenons à la question de savoir si la vague de protestations à Téhéran en viendra à menacer la régime.
Tout est possible. Mais je crains que cela ne survienne pas à ce stade, même s’il semble que l’Iran soit affecté en participant d’un processus de protestation plus vaste. Vous devez prendre en compte que le régime s’est préparé à l’éventualité d’une mise en cause publique sur le long terme – certainement depuis la fureur entourant les élections frauduleuses en juin 2009, en fait. Il a pris toutes les mesures possibles par avance pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de problème cette fois. Malgré cela, malgré le fait qu’ils aient changé 80 à 90 % des gens dans les deux à trois derniers mois pour terrifier et dissuader ; qu’ils ont arrêté et torturé et envoyé des gens en exil pour empêcher toute protestation organisée, pourtant des gens ont manifesté dans les rues. Ces enfants sont héroïques. Protester dans les rues fait encourir la peine de mort, et pourtant ils manifestent. Mais ce n’était pas assez.
Alors de quoi a-t-on besoin ? Des millions de manifestants dans les rues ?
Oui – et je serais très heureux si cela se produisait pendant que je suis encore en vie. Ce dont on a besoin, tout d’abord, c’est d’un soutien sans équivoque de l’Occident. Ce n’est pas le cas aujourd’hui – ni de la part de l’Europe ni de la part des Etats Unis. Les USA sont hésitants. Le président Obama a fait une déclaration laconique quand les dernières protestations ont éclaté, sur l’ironie de l’Iran soutenant le pouvoir du Peuple en Egypte mais en l’étouffant à l’intérieur.
Il doit déclarer que les USA soutiennent par tous les moyens l’effort du Peuple iranien pour parvenir à la liberté et à la démocratie. Que les USA investiront des efforts pour cela. Que les USA investiront de l’argent pour cela. Cela donnerait aux Iraniens un électrochoc. Voilà ce qu’il doit dire publiquement. Et nous avons besoin d’une décision dans le même des deux Chambres du Congrès des USA.
Est-il trop tard ?
Non. Il n’est jamais trop tard. Il n’est pas trop tard pour dire : « nous partageons le chagrin et la douleur supportés par le Peuple iranien à cause de l’abus du régime contre lui, et nous ferons tout ce qui est possible pour assurer qu’il n’y aura pas de récidive ». En pratique, je suis beaucoup plus préoccupé par le changement de régime que par le problème nucléaire. Je suis absolument convaincu que le problème nucléaire se résoudra de lui-même quand le régime aura changé.
Malgré les rapports selon lesquels ils ont maîtrisé les effets du virus maliciel ‘Stuxnet’ ?
Ils ont toujours dit qu’ils le maîtriseront. Ils jouent au poker menteur.
Ce dont on a besoin, avec le soutien public de l’Occident, c’est une action frappante. La situation économique de l’Iran est catastrophique. Il faut assurer que cela va empirer. Qu’est-ce que cela implique ? S’opposer totalement à leur capacité de vendre du pétrole. Et les USA peuvent aider considérablement dans cette affaire s’ils le veulent, en imposant des sanctions aux compagnies qui commercent avec le pétrole iranien.
Et alors vous devez encourager une action de frappe, pour mettre le pays au point mort.
Qu’adviendra-t-il alors ? Qu’est-ce qui commence vraiment à se produire ? Peut-être suis-je trop optimiste. Mais je perçois des craquements au sein des Pasdaran [Gardiens de la Révolution]. J’entends qu’il y a des défections parmi les Pasdaran de haut rang.
Vous devez aussi faire advenir une situation dans laquelle l’armée – l’organisation la plus neutre – sera prête à faire quelque chose. L’armée a de longs comptes à régler avec le régime.
Tout cela exige que les USA se manifestent publiquement. Jusqu’à présent, les USA ont donné l’impression qu’ils veulent engager des pourparlers. Il s’agit soit d’auto illusion ou bien d’une tentative pour tout balayer sous le tapis. Depuis le moment où Barack Obama est entré à la Maison Blanche, les Iraniens ont dansé avec l’approche des pourparlers. Il n’existe aucune chance au monde pour qu’ils arrêtent leur enrichissement d’uranium. Aussi il sont enchantés que les Américains pensent qu’ils vont les rencontrer en janvier ici, à Istanbul en avril, nous nous asseyons tous et parlons, et rien ne sort de tout cela, et puis un porte-parole du Parlement iranien déclare qu’il reste une chance, et chacun déclare, Oh voyez ce qu’il a dit, et les Iraniens obtiennent un autre sursis de quelques mois.
Israël ne peut-il faire passer le message aux USA ? Pour arrêter les pourparlers. Pour soutenir les rebelles ?
Nos relations avec les USA ne sont pas si bonnes ces temps-ci. Ils disent que les relations entre le Premier ministre Netanyahou et Obama ne sont pas bonnes. Vous devez certainement le savoir mieux que moi. Ils doivent parvenir à la conclusion finale que les pourparlers ne marcheront pas.
Il semble que ce ne soit pas la personnalité d’Obama
Vous l’avez bien dit. Il n’accepte pas le ‘Non’ comme réponse. Cet homme est ainsi fait. C’est sa personnalité. C’est sa vision du monde. Il ne veut pas faire de vagues.
J’étais récemment à Washington, à la conférence de la Fondation pour la Défense des Démocraties – ‘FDD’. Ils m’ont interrogé sur l’option militaire. J’ai dit que je m’oppose à l’option militaire. Mais pour moi en tant qu’Israélien, cela devrait toujours être sur la table. Cela ne sera qu’à la fin des jours. Quand j’aurai le couteau sur la gorge je l’utiliserai.
C’est-à-dire quand ?
Je ne puis le dire. Je ne crois pas que les Iraniens devraient utiliser une bombe. La menace de sa détention serait suffisante pour transformer la totalité du Golfe Persique en faveur de l’Iran et obliger les Saoudiens à changer leur manière d’être.
Ils ne peuvent pas le faire maintenant ?
Non.
Qu’est-ce qui leur manque ?
Ils doivent accomplir une sorte de démonstration – montrer une espèce d’instrument nucléaire et proclamer qu’ils sont devenus membres du club. Pour les Iraniens, ce serait une arme politique très, très importante. Si Ahmadinejad et son gang l’obtiennent – eh bien, cela ne doit jamais survenir.
Si votre plan pour faire tomber le régime est si clair et direct, et les chances si élevées, pourquoi l’inaction ?
Les gens ne croient plus en eux-mêmes. Et bon sang qui est Uri Lubrani de toute façon ? Il a 84 ans. Un vieil emmerdeur. Il ne sait même pas de quoi il parle.
Mais il y a un ministre qui apparemment vous a adopté…
Je dois le chauffer. Cela prend du temps.
Vous êtes le ‘fou’ de la Kyria ?
Oui, je suis devenu l’idiot du village.
Mais Ya’alon doit disposer de temps pour vous s’il vous a pris sous son parrainage.
Il ne m’a pas dit « viens ». On lui a dit : “Tu le prends ». La vie est plus compliquée que vous ne pouvez penser.
Mais je suis resté. Je suis très satisfait de me trouver sous le parrainage de Ya’alon. Je suis très fier de ma capacité en matière de patience. C’est quelque chose que j’ai appris en Iran.
Observez la patience qu’ont les Iraniens. L’ayatollah Khomeiny, dans son testament, leur a dit d’exporter la révolution. Ils ont décidé alors que le Liban serait leur premier objectif. En 1983, ils ont tué près de 250 Marines, de façon à bouter les Américains hors de ce pays. Et ils ont réussi. Le grand président Reagan a dit : Partons. Et depuis lors, lentement, graduellement, ils ont construit le statut du Hezbollah au Liban. Et aujourd’hui, ils sont les dirigeants ‘de facto’. Et il ne faudra pas longtemps avant qu’ils n’en prennent le contrôle ‘de jure’. Et il en sera de même pour la Syrie. La Syrie deviendra un substitut. Cela se déroule déjà là-bas.
Et Bashar Assad ne s’en aperçoit pas ?
Assad sent évidemment le déclin de l’influence américaine. Et il a besoin d’un soutien du pouvoir montant. Et le pouvoir montant, c’est l’Iran. Elle a l’argent.
Même si elle l’avale pour finir ?
Il est convaincu qu’ils ne l’avaleront pas. Mais ils ont de la patience. Tant de patience encourage en Syrie un processus pour que les sunnites se transforment en shiites. Il y a un temple près de Damas important pour les shiites – de Sayyida Zeynab [petite fille du prophète Mohammed]. Toutes sortes de pèlerins vont là-bas depuis l’Iran. Lentement, lentement. Sans se presser. Bref, la Syrie est déjà en chemin.
Alors, qu’est-ce qui a mal tourné en 1979 en Iran ? Le Peuple a réussi à renverser le Shah mais il n’a pas obtenu la liberté. Quelles fautes a-t-il commises et quelles sont les leçons pour l’Egypte ?
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