Sans surprise, la réponse iranienne à l'offre faite par les Six (les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité + l'Allemagne) la semaine dernière à Vienne pour tenter de sortir de l'impasse nucléaire est ambigüe et dilatoire. Sous couleur de se dire «prêt à la coopération et à l'échange de combustible», l'Iran demande à modifier l'accord en le vidant de sa substance. L'objectif est de continuer à enrichir et à détenir un stock suffisant d'uranium enrichi pour poursuivre son programme.
L'offre des Six était claire et honnête: l'envoi à la Russie d'une grande partie de l'uranium déjà enrichi (à 3,5%) par l'Iran; puis l'enrichissement en Russie jusqu'à 19,75% (taux nécessaire pour faire fonctionner le réacteur de recherche de Téhéran); puis le transfert de cet uranium vers la France qui en fera des barres de combustible et les livrera à l'Iran pour faire fonctionner ledit réacteur.
Certains y verront un progrès, une victoire des «modérés» iraniens (qui soutiennent la négociation) sur les radicaux (qui auraient souhaité un rejet pur et simple de l'offre des Six). D'autres seront confortés dans la conviction que l'Iran ne cherche qu'à brouiller les cartes, à semer la confusion et à diviser la communauté internationale pour gagner du temps sans rien céder.
Ce nouvel épisode vient nous rappeler une évidence: on ne résoudra pas durablement le problème iranien en se contentant de faux-semblants. Les Iraniens ont certainement intérêt à appliquer la formule: selon laquelle «on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment». Nous pas.
Si on veut éviter de mauvaises surprises, il faut revenir à l'essentiel:
1/ L'Iran a connu, depuis trente ans une révolution profonde et durable. L'instauration d'un régime islamiste dans ce pays a bouleversé l'équilibre des forces politiques et religieuses dans la région et au-delà.
2/ L'Iran a de la mémoire: la tentative de domination russe, puis britannique au XIXéme siècle; le renversement de Mossadegh au début des années cinquante; l'aide accordée par les Occidentaux à Saddam Hussein lors de la guerre Irak- Iran (si les troupes américaines ne sont pas allées jusqu'à Bagdad pour renverser Saddam en 1991, c'est pour ne pas trop affaiblir le régime irakien face au danger que représentait le régime des mollahs); la décision de George W. Bush de classer l'Iran dans l'Axe du mal et sa volonté de favoriser un changement de régime à Téhéran.
3/ Le régime islamiste iranien a bénéficié de deux divines surprises de la part du Grand Satan américain: en moins de deux ans (2001-2003), les Etats-Unis ont éliminé deux ennemis de l'Iran: à l'ouest, les Talibans en Afghanistan; à l'est, le régime de Saddam Hussein en Irak. Ces deux cadeaux ont permis, par-dessus le marché, à l'Iran de se rendre utile pour assurer la stabilité (ou au contraire pour entretenir l'instabilité) de ces deux pays, objectif premier de la diplomatie américaine. Plus encore, via le Hamas en Palestine et le Hezbollah au Liban, l'Iran est désormais partie prenante à la solution du problème israelo-palestinien, israélo-libanais, voire israélo-syrien.
4/ Le programme nucléaire iranien ne date pas du régime islamiste. Il a commencé sous le Shah, avec l'aide des Occidentaux, Américains, Allemands (qui ont commencé à construire la centrale de Bushehr) et Français (c'est Valéry Giscard d'Estaing qui a fait entrer l'Iran dans le capital d'Eurodif- enrichissement de l'uranium!- en 1974). S'il y a la volonté de l'Iran de détenir l'arme nucléaire, c'est donc pour des raisons de fond : suprématie régionale, statut international, insécurité (l'Iran n'a pas d'alliances pemanentes dans une région particulièrement agitée).
5/ Les Trois Européens (Allemagne, France et Royaume-Uni) ont eu le grand mérite, en 2003, de prendre seuls l'initiative d'une politique audacieuse et courageuse à l'égard de l'Iran, après la découverte des mensonges iraniens sur leur programme nucléaire: proposer une négociation fondée sur un principe simple: l'Iran doit rétablir la confiance sur les objectifs de son programme nucléaire et geler ses activités d'enrichissement de l'uranium. En contrepartie, une coopération (économique, nucléaire, politique, stratégique) sera engagée permettant à l'Iran de jouer un rôle majeur sur la scène internationale. Cette politique a été par la suite endossée par l'Union européenne, les Russes, les Chinois puis, in fine, par les Américains.
6/ Cette politique a souffert de deux éléments majeurs: d'abord le refus américain de se joindre aux discussions de 2003 à 2008, donnant ainsi aux Iraniens le prétexte pour ne pas négocier sérieusement avec les Européens; puis l'élection d'Ahmadinejad qui a aggravé ce qui est peut être le plus grand obstacle à l'ouverture d'une négociation sérieuse avec l'Iran, à savoir l'incapacité du régime iranien à décider s'il veut ou non renouer avec les Etats-Unis. C'est une question majeure, existentielle même, puisque l'hostilité à l'égard des Américains et des Occidentaux («les Juifs et les Croisés») est le fondement et la raison d'être du régime des Mollahs.
7/L'élection de Barack Obama a changé la donne puisqu'il a dès le départ tourné le dos à la politique de Bush et a exprimé très clairement sa volonté d'ouvrir le dialogue avec l'Iran, dialogue interrompu depuis trente ans. Du coup, on assiste depuis un an à un curieux chassé-croisé: les Européens, considérés d'habitude par les Américains comme des poules mouillées, incitent Washington à la prudence et à la fermeté et craignent qu'Obama fasse de la négociation avec l'Iran une fin en soi. Les Américains donnent le sentiment de vouloir dialoguer à tout prix et commencent à sérieusement s'agacer de l'obstruction et de l'intransigeance des Européens, Français en tête.
8/ Le débat sur les intentions iraniennes dans le domaine nucléaire, notamment vis-à-vis d'Israël, n'a pas de sens s'il n'est pas assorti d'une analyse rigoureuse des conséquences qu'aurait un Iran nucléaire sur le plan régional et international. On connait la thèse selon laquelle la possession de l'arme nucléaire par l'Iran ne constituerait pas une menace existentielle pour Israël car Ia supériorité militaire israelienne (et d'abord dans le domaine nucléaire) est telle que les dommages que Israël pourrait infliger à l'Iran sont sans commune mesure avec ceux que l'Iran pourrait infliger à Israêl. Même si on admet cette thèse discutable), il reste que la possession de l'arme atomique par l'Iran -et, surtout par le régime islamiste- serait une incitation immédiate et générale à la prolifération puisque beaucoup de pays arabes (Arabie Saoudite, Egypte, Turquie en tête) se considéreraient comme menacés et en droit de se lancer, eux aussi ,dans la course à la bombe pour se prémunir contre la domination iranienne.
9/ Il faut rejeter l'alternative simpliste et dangereuse inventée par Bush: «ou la bombe iranienne ou le bombardement de l'Iran». Le manichéisme est toujours mauvais conseiller. Soyons sérieux: une action militaire contre l'Iran n'est pas réaliste, ni d'ailleurs acceptable, en dehors d'une riposte internationale, autorisée par le Conseil de Sécurité, à une agression iranienne du type invasion du Koweit par l'Irak en 1990. Inversement, rien ne serait pire que de multiplier, sans contrepartie, les offres et les concessions à l'Iran qui seraient empochées par un régime qui s'en servirait pour démontrer que l'Occident n'est qu'un tigre de papier et qu'il suffit de gagner du temps et de continuer le programme nucléaire en donnant, de temps à autre, un gage de bonne volonté sans suite.
10/ La voie est étroite mais elle existe. Le pire pour l'Iran, c'est la conjonction de l'unité de la communauté internationale autour d'une politique raisonnable et réaliste et de la contestation interne au régime. D'où la nécessité de maintenir la cohésion entre Américains, Européens, Russes et Chinois et de l'étendre si possiblesaux grands pays émergents, à commencer par l'Inde, qui exporte beaucoup de produits pétroliers raffinés vers l'Iran. D'où la nécessité aussi de montrer à la société iranienne en mouvement qu'elle n'est pas seule. C'est tout le problème des sanctions, dont il ne faut ni surestimer, ni sous-estimer l'impact sur l'évolution intérieure du pays
Depuis six ans, Les Trois Européens ont été à la hauteur sur la question iranienne. C'est la première fois que, sur la question internationale la plus difficile à résoudre, ils ont pris le leadership et proposé une politique cohérente. Nous voulions que les Etats-Unis changent de politique et acceptent d'être partie prenante aux négociations. C'est fait. On ne va pas le leur reprocher.
L'urgence aujourd'hui, ce n'est pas d'inventer une autre politique à l'égard de l'Iran. Face à des dirigeants iraniens qui ne veulent pas négocier, il n'ya pas d'alternative à la politique actuelle. Ce n'est pas non plus de faire de la surenchère entre Occidentaux. C'est de renforcer la cohésion entre les principaux acteurs: Etats-Unis, Europe, Russie, Chine, Inde, Israel, Turquie, Arabie Saoudite.
Le pire ennemi de l'Iran c'est l'unité de la Communauté internationale. C'est la raison pour laquelle les Iraniens ont toujours essayé de diviser pour régner et d'enfoncer un coin entre les Européens, entre les Européens et les Américains, entre les Occidentaux et les Russes et les Chinois. Les dirigeants iraniens veulent faire croire qu'ils sont le fer de lance d'un combat contre l'impérialisme américain alors qu'il s'agit en fait de la volonté de puissance d'un pays soucieux d'étendre son influence dans la région et au-delà en combinant le nationalisme perse et le prosélytisme islamique.
Ils ont jusqu'ici échoué grâce à la persévérance des Européens qui ont su rejeter à la fois la tentation guerrière et l'esprit munichois.Raison de plus pour garder la main
Il ya quelques années, une grande marque de voitures automobiles avait pour slogan: «c'est pourtant pas difficile de ne pas se tromper». Avec l'Iran, c'est plus sorcier.
G. Le Hardy
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Image de Une: Vue par satellite de l'emplacement de l'usine secrète d'enrichissement uranium près de Qom Reuters