Comment nous pouvons gagner en Afghanistan
2 ème PARTIE :
Par Max Boot
Traduit de l’anglais par Gilles Raphel
Pour : aschkel.over-blog.com et lessakele.over-blog.fr
1ère partie :
http://aschkel.over-blog.com/article-comment-nous-pouvons-gagner-en-afghanistan-gal-mcchrystal-1-2-38292111.html
Cette présentation de la doctrine de Mc Chrystal nous semble très précise et parfaitement pertinente. Elle nous aide à mieux comprendre le fil de l’information au sujet de la guerre en Afghanistan, à mieux entendre le rôle et la place de nos troupes là-bas. Il est vrai qu’à la lecture de l’actualité, encore 8 soldats US tués ce jour, nous avons des réticences à envisager dans le court terme l’entière doctrine de contre-insurrection même si nous savons qu’elle est nécessaire et que, devant l’horreur, surtout devant l’horreur, l’analyse à froid est sensiblement supérieure à la réaction immédiate.
Nous ne partageons pas deux points dans l’analyse de Boot :
Le premier concerne l’approche semble-t-il lente de la doctrine de contre-insurrection par les troupes alliées des US. Les informations qui nous reviennent d’Afghanistan nous disent au contraire que la technique de guerre essentiellement de contre-terrorisme menée jusqu’à là par l’US Army n’était pas partagée, loin s’en faut, par les troupes alliées. Tout comme ce que fut le cas en Irak durant de trop nombreuses années.
Le second porte sur la lutte que mène Israël contre les groupes terroriste du hezbollah et du hamas, Tsahal n’étant pas présente à Gaza ni au sud Liban, on voit mal comment une technique de contre-insurrection pourrait être mise en œuvre.
Enfin, nous ne pouvons que rendre hommage à Mc Chrystal et à l’ensemble des troupes présentes en Afghanistan. Les gars se battent et sont trop souvent tués en terre étrangère pour que nos valeurs intemporelles de liberté et de démocratie brillent à la face du monde. Qu’ils soient du fond de notre cœur remerciés. Nous prions pour eux et pour la victoire finale.
Gilles RAPHEL.
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Pendant ce temps, une Combined Joint Interagency Task Force est mis en place pour «transformer l’approche carcérale et proposer les opérations de corrections dans ce cadre », de manière identique celle effectuée en Irak après le scandale d'Abou Ghraib en 2004. C'est une nécessité en retard en Afghanistan où les Etats-Unis détiennent uniquement 600 détenus de Bagram contre 24.000 en Irak au moment le plus fort. Le gouvernement afghan détient plus de 2500 insurgés dans ses propres prisons, mais elles sont si mal gérées que, comme le note le rapport de Mc Chrystal, « les islamistes endurcis » sont autorisés à «radicaliser et endoctriner les petits délinquants. Les insurgés utilisent effectivement les prisons comme un refuge et une base.»
Cette constatation donne à réfléchir sur le fait «il y a plus d'insurgés au mètre carré dans les établissements pénitentiaires que partout ailleurs en Afghanistan »et que « plusieurs de ces installations nationales sont totalement sous le contrôle des taliban. » La nouvelle force de détention, placée sous le commandement du Vice-amiral américain Robert Harward, sera chargée de la formation des gardiens de prison afghans et l'application "de bonnes techniques de gestion des services correctionnels et de la règle des principes de droit dans tous les systèmes de détention en Afghanistan." . Ces techniques, développées en Irak, comprendront la séparation des « insurgés endurcis d’avec les combattants de bas niveau » et permettra aux enseignants islamiques modérés de « dé-radicaliser » les rebelles capturés tout en leur donnant une formation professionnelle afin qu'ils puissent trouver un emploi après leur libération.
Une priorité urgente est de faire mieux dans les «communications stratégiques»autrement dit dans la propagande. Le rapport note que le gouvernement de l'Afghanistan et la communauté internationale «ont besoin d'arracher l'initiatived'information" de l'insurrection qui est devenu maîtresse pour exploiter les faux pas de la coalition comme les erreurs de tir tout en n'étant pas tenue de rendre compte au public de ses propres excès brutaux. Contrairement aux opérations de détention ou de formation cette responsabilité ne dépendra pas exclusivement d’une nouvelle organisation. L'évaluation estime que la communication stratégique devrait être « une partie intégrante et pleinement ancrée dans l'élaboration des politiques, des processus de planification et de l'exécution des opérations. »
La modification des diagrammes d'organisation est relativement facile. Tout comme le redéploiement des troupes des zones rurales peu peuplées vers les zones où la population est concentrée, un autre pilier de «l’approche populationnelle » de la contre-insurrection. Beaucoup plus difficile sera l'évolution des mentalités, en particulier celles des alliés des américains qui ont peu de familiarité avec ce concept ou une faible approche de ce type de pratiques intensives de contre-insurrection que les forces américaines ont appris à utiliser en Irak.
Plus difficile encore sera d'améliorer la qualité de la gouvernance afghane, afin que, selon les termes du rapport de Mc Chrystal « un gouvernement afghan plus fort... sera considéré par le peuple afghan comme travaillant pour son intérêt ».L'élection présidentielle qui s'est déroulée le 20 Août 2009, a été entachée par une fraude massive ce qui ne rend pas la tâche plus facile, mais pas impossible non plus. Même si l'actuel président, Hamid Karzai, émerge finalement victorieux, cela ne signifie pas que le peuple afghan devra rester à l’écart de son gouvernement. Karzaï reste assez populaire, surtout dans les zones pachtounes où l'insurrection s’est fondée, il aurait probablement été gagant lors d’une élection tout à fait propre, bien qu'il pourrait ne pas avoir obtenu les 50 pour cent nécessaires pour éviter un second tour.
Pour finir, les forces de l'OTAN devront travailler avec les Nations Unies, diverses organisations non gouvernementales et agences gouvernementales civiles telles que le Département d'État pour lutter contre la corruption, améliorer la prestation des services de base comme l'eau potable, les voies de communication, l'électricité, l'éducation, et un système juridique qui fonctionne. En fin de compte, le peuple de l'Afghanistan jugera de la qualité de son gouvernement en ce qu'il produit et non comment il a été mis en place. En outre, aux fins de l'effort global dans le pays, le gouvernement afghan ne nécessite pas d'être parfait, il n'a besoin que d'être meilleur que le « gouvernement de l’ombre » des talibans.
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En essayant de réaliser ces tâches, Mc Chrystal sera confronté à un défi auquel le commandement américain en Irak n’est pas soumis à un même niveau vis-à-vis de la porosité transfrontalière. Elle a permis de faciliter la réussite des insurgés tant dans la lutte des moudjahidines contre les Russes dans les années 1980 que dans la lutte des Vietcong contre les Français dans les années 1950 et contre les Américains dans les années 1960, elle est capable de mettre en place en toute sécurité des sanctuaires de recrutement, formation, et l'équipement. Il s’agit d’un problème mineur mais significatif en Irak où les insurgés continuent de recevoir le soutien de la Syrie et l'Iran. Le problème est beaucoup plus aigu en Afghanistan qui partage une frontière poreuse de 1.600 miles avec le Pakistan. Comme le note le rapport d'évaluation : «l'insurrection en Afghanistan est clairement soutenue par le Pakistan. Les principaux cadres dirigeants des insurgés afghans sont basés au Pakistan, sont liés à Al Qaïda et d'autres groupes extrémistes violents et seraient aidés par des éléments du service de renseignement pakistanais, l'ISI.»
Certains ont suggéré que la participation du Pakistan donnerait une issue favorable en Afghanistan à long terme. Mon collègue du Council on Foreign Relations (CFR) Daniel Markey, ancien responsable du département d'Etat, a écrit: «Aussi longtemps que les zones tribales du Pakistan sont en plein bouleversement la mission de bâtir un Afghanistan nouveau, démocratique et stable ne peut pas réussir." Mc Chrystal est en désaccord. Il écrit que « l'Afghanistan ne nécessite la coopération du Pakistan contre l‘insurrection et l'action violente »et il note de plus que l'insurrection « en Afghanistan est majoritairement afghane ». Il porte l'espoir que par l'application des principes de base de la contre-insurrection en Afghanistan, le gouvernement afghan et ses partenaires de la coalition peuvent reprendre le contrôle de son territoire.
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Il aurait pu ajouter, mais n'a pas fait, que ceux qui disent que le Pakistan est le "vrai problème" ne proposent pas la moindre idée sur la façon d'améliorer la situation au Pakistan si nous quittons l’Afghanistan. Un recul américain d’Afghanistan (dans le cadre d’une mise en place d’une stratégie essentiellement contre-terroriste) ne ferait qu'encourager le Pakistan à revenir à son ancienne stratégie consistant à s'allier avec des groupes djihadistes parce qu'il serait convaincu que le partenariat avec les Etats-Unis n'est pas fiable. Les Etats-Unis pourraient ainsi perdre leurs accès aux bases en Afghanistan qui servent à cibler les terroristes au Pakistan.
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Le problème le plus pressant pour Mc Chrystal ne réside pas en Afghanistan ni au Pakistan, mais à l'intérieur des États-Unis. Pour mener à bien sa stratégie Mc Chrystal doit avoir plus de ressources, surtout plus de troupes. Dans son évaluation, il écrit : «Les ressources ne feront pas gagner pas cette guerre, mais un sous-financement pourrait la faire perdre. » L’effort de guerre de l'OTAN a en fait été sous-financé depuis des années « dans le cadre d’un fonctionnement de type culture de la pauvreté», comme le dit Mc Chrystal. Cela a rendu impossible de mener des opérations de contre-insurrection classiques parce qu’elles nécessitent généralement un ratio d'environ 1 membre de contre-insurrection pour 50 civils. Compte tenu d’une population afghane s’élevant à 30 millions, 600.000 contre-insurgés seraient nécessaires. À l'heure actuelle, le total est d'environ 270.000 (170.000 Afghans, 64.000 Américains et 35.000 d'autres nations). La planification des forces réelles, cependant, est trop complexe pour être réduite à un simple calcul de quota. Les caractéristiques locales particulières doivent être prises en compte, comme le fait que l'insurrection est largement confinée aux Pachtounes, un groupe ethnique qui compose 42 pour cent de la population.
Mc Chrystal et son équipe ont élaboré une série de recommandations sur le niveau des troupes supplémentaires. Les analystes militaires respectés et Kimberly Frederick Kagan, qui ont été consultés par Mc Chrystal, ont achevé leur propre analyse qui suggère un besoin de 40.000 à 45.000 soldats supplémentaires, nécessitant d’être concentrés dans l'est et le sud de l'Afghanistan. Un tel nombre représente apparemment la limite supérieure de ce que Mc Chrystal a recommandé mais à la guerre il est toujours préférable d'avoir trop de troupes que trop peu.
Trop peu, toutefois, est ce qu'il risque d’arriver. Après s'être engagé à plusieurs reprises sur le fait qu'il allait «faire de la lutte contre Al-Qaida et les Taliban la priorité absolue » le Président Obama semblait avoir reculé début septembre. Avec un nombre croissant de victimes et un soutien public en baisse, il a retardé l'action suivant l'évaluation initiale de Mc Chrystal et a dit au général de ne pas transmettre sa demande des ressources nécessaires jusqu'à ce qu'une nouvelle réflexion stratégique ait été achevée. Cet examen est arrivé six mois après le dernier examen de l'administration achevé en mars qui a conduit à l'envoi de 21.000 soldats en Afghanistan dans le cadre de ce qu'Obama décrit comme une"stratégie globale pour l'Afghanistan et le Pakistan."
Ceux qui s'opposent à l'envoi de troupes supplémentaires suggèrent que tenter de combattre et gagner dans le supposé «cimetière des empires» est une entreprise sans espoir. Les sceptiques affirment que l'Afghanistan est tellement rétrograde, féodal et combattant qu'aucune armée étrangère n'a de chance de l'emporter, qu’elle que soit la stratégie qu'elle utilise. Certains vont même jusqu'à affirmer que l'Afghanistan n'est pas un «vrai» pays, qu'il a toujours été gouverné par les seigneurs de guerre féodaux et que la guerre brutale est son état naturel. Il s'agit d'une mauvaise lecture brute de l'histoire. Il est certainement vrai que l'Afghanistan est organisé en une société tribale et qu'il a toujours été assez décentralisé. Mais il est aussi un Etat depuis le 18ème siècle (depuis plus longtemps que l'Allemagne et l'Italie) et a été gouverné par des souverains puissants tels que Dost Mohammad, qui a régné de 1826 à 1863.
L'Afghanistan a fait des progrès sociaux, politiques et économiques considérables durant le long règne de Mohammad Zahir Shah, de 1933 à 1973. Le pays était en réalité relativement paisible et prospère avant un coup d'Etat marxiste en 1978, suivi de l’invasion soviétique l’année suivante, qui a déclenché la tourmente toujours existante. Quiconque a lu (les Cerfs volants de Kaboul, ndlr), le roman à succès de Khaled Hosseini de 2003 sur la vie à Kaboul avant et après l'invasion soviétique et le triomphe du régime taliban, sait que l'Afghanistan n'a pas toujours été aussi instable et violent qu'il ne l’est aujourd'hui.
Mais n'est-ce pas vrai que les Afghans ont toujours rejeté toute intervention militaire venue de l'extérieur ? Les deux exemples les plus fréquemment cités à l'appui de cette proposition sont celui des Britanniques au 19ème siècle et celui des Russes dans les années 1980. Cette histoire sélective omet commodément le succès militaire dont ont bénéficié les anciens vainqueurs, d'Alexandre le Grand au 4ème siècle avant le temps présent à Babur (le fondateur de l'Empire mongol) au 16ème siècle. En tout cas, ni les Britanniques ni les Russes n’avaient employé des tactiques de contre-insurrection appropriée. Les Britanniques ont occupé brièvement Kaboul, à deux reprises (1839 et 1879), puis se sont retirés et ont transformé l'Afghanistan en une zone tampon entre l'Empire russe et le leur. Dans les années 1980, les Russes ont employé la politique de la terre brûlée, tuant un grand nombre de civils et retournant une grande partie du pays contre eux.
Aucun empire n’a eu le soutien populaire de son côté comme l’ont les forces étrangères aujourd'hui. Selon de récents sondages, seulement 4 pour cent des Afghans expriment le désir de voir les talibans revenir au pouvoir. Soixante-deux pour cent ont une impression positive des États-Unis et 82 pour cent ont une opinion favorable de notre action auprès l'armée nationale afghane. Le rapport d’évaluation initiale de Mc Chrystal cite le ministre de la Défense afghan, Abdul Rahim Wardak: «Les Afghans ne vous ont jamais vus comme des occupants même si cela a été le principal objet de la campagne de propagande de l'ennemi. Contrairement aux Russes, qui ont imposé un gouvernement avec une idéologie étrangère, vous nous avez permis de rédiger une constitution démocratique et de choisir notre propre gouvernement. Contrairement aux Russes, qui ont détruit notre pays, vous êtes venu le reconstruire. » C'est une idée communément répandue, malgré la perception populaire, que les Afghans sont par nature xénophobes. Les forces étrangères seraient plus populaires encore si elles faisaient plus pour repousser les talibans et rétablir la loi et l'ordre.
Peut-être, malgré tout, les sceptiques ont raison, peut-être qu'il est impossible de déployer une stratégie de contre-insurrection réussie en Afghanistan. Mais il est difficile de savoir pourquoi l'Afghanistan serait plus particulièrement résistant à des méthodes et des tactiques qui ont réussi dans des pays aussi différents que la Malaisie, le Salvador et l'Irak. En effet, après une étude de 66 insurrections du 20ème siècle où une puissance étrangère avait engagé des ressources importantes dans la lutte, des politologues Andrew J. Enterline et Joseph Magagnoli ont constaté que les stratégies axées sur la population ont réussi 75 pour cent des fois (dont 66 pour cent durant la période depuis 1945). Les chances existent pour que cette stratégie réussisse en Afghanistan aussi, mais nous ne le saurons pas avec certitude tant nous ne l’essaierons pas et nous ne l'avons pas encore essayée.
Ce que nous avons essayé est l'autre stratégie, la stratégie de lutte contre le terrorisme et elle a été prise en défaut. Cela ne doit pas être une surprise car il est difficile de trouver un exemple où le contre-terrorisme pur a battu un groupe déterminé ou un groupe terroriste de guérilla. C'est la stratégie qu’Israël a utilisée contre le Hamas et le Hezbollah. Le résultat est que le Hamas contrôle Gaza et le Hezbollah contrôle le sud du Liban. C'est la stratégie que les Etats-Unis ont employé en Somalie depuis que nos forces se sont retirées en 1994. Le résultat est que le pays est totalement chaotique et sans loi et un groupe fondamentaliste islamique appelé le Shabab, qui a des liens étroits avec Al-Qaïda, gagne en puissance. De façon plus pertinente, c’est également la stratégie que des Etats-Unis ont utilisé pendant des années en Afghanistan et au Pakistan. Le résultat est que les talibans contrôlent les zones tribales du Pakistan et étendent leur influence dans de larges zones de l'Afghanistan.
Le Vice Président Biden semble penser que quelques tirs de longue portée pourront prévenir que des sanctuaires terroristes ne fassent leur apparition en Afghanistan. Le Général Mc Chrystal, qui connait une chose ou deux au sujet du contre-terrorisme, a conclu le contraire. Quel homme, nous demandons-nous, sera entendu par le Président ? Il ne faudrait pas décider trop tard, parce que, comme Mc Chrystal l’écrit: «Le manque d'initiative fera inverser l'élan des insurgés dans le court terme (12 prochains mois)…les risques d'un tel résultat sont que vaincre l'insurrection ne sera plus possible» avec pour conséquence que les États-Unis se trouveraient dans la situation d'une défaite dévastatrice et inutile au sein d’un conflit que le président Obama a lui-même décrit comme une «guerre de nécessité».
[Mardi 27/10/2009 21:58]