Après la Tunisie et l'Egypte, la Jordanie ? Selon de nombreux observateurs, le Royaume hachémite devait être le premier Etat arabe du Moyen-Orient à subir de profonds bouleversements. Cela n'a pourtant pas été le cas. Beaucoup ont même été surpris du calme qui règne encore dans le pays, alors que la tempête fait rage dans la région. Et pourtant, une crise couve. Les forces islamistes jordaniennes semblent être de moins en moins effrayées par le pouvoir en place et prennent même une place de plus en plus imposante dans le pays.
Des manifestants islamistes et des proches de détenus politiques défilent à Amman.
PHOTO: REUTERS , JPOST
Les Djihadistes appellent désormais ouvertement à un changement de régime. L'objectif : en faire un Etat fondamentaliste, régi selon les plus strictes interprétations des lois islamiques. Une politique qui inclurait une hostilité exacerbée envers Israël et l'Occident.
"La colère du Djihad"
Dans de nombreux domaines, la Jordanie, qui partage une frontière de 500 km avec Israël, a toujours été le voisin le plus important de l'Etat hébreu. Notamment pour la stabilité qu'il apporte à l'Est, dans une région qui brille précisément par son imprévisibilité. L'ancien leader jordanien, le roi Hussein, a toujours maintenu des relations secrètes et une coopération régulière avec Israël. Cette situation dure depuis des années, et a commencé bien avant que les deux pays n'officialisent leurs liens et ne signent le traité de paix en 1994.
Pourtant, le royaume n'a rien de stable. La Jordanie est un pays de six millions d'habitants : 60 % de Palestiniens, entre 700 000 et un million d'Irakiens - surtout des réfugiés fuyant la violence de leur pays - et des tribus bédouines. Une population hétéroclite. Mais, jusqu'à présent, la monarchie hachémite et ses forces de sécurité surentraînées sont toujours parvenues à apaiser les tensions internes et à maintenir le calme. Un numéro d'équilibriste difficile auquel doivent sans cesse se prêter les monarques du pays.
Et le roi Abdallah II ne fait pas exception. En partie, grâce à ses réformes économiques et politiques. Ce qui lui a également permis de garder l'opposition islamique sous contrôle.
Mais à l'heure des changements au Moyen-Orient, le calme de la Jordanie semble plus précaire que jamais. Les forces djihadistes et salafistes reprennent peu à peu leur indépendance.
Et la crainte du pouvoir n'est plus présente chez les leaders de ces mouvements. Pour preuve, la semaine dernière, des chefs du mouvement djihadiste ont ouvertement menacé le pouvoir. Une première. Plus encore, ils ont menacé de mener des actions violentes dans le pays si le gouvernement ne libérait pas quatre de ses membres, détenus depuis quelques semaines. Sans quoi "la colère du Djihad" frapperait le pays.
"Mourir pour la grande Syrie"
La semaine dernière, le roi Abdallah II a choisi d'éviter la confrontation avec les Salafistes et ordonné à ses forces de sécurité de libérer les quatre prisonniers en question. Jarrah
al-Rahahla, un important idéologue du camp radical, raconte : "Je leur ai dit que nous avions dans nos rangs, un nombre important de frères prêts à mourir en martyrs en l'honneur d'Allah. Ces frères ne veulent pas mourir en martyrs à Kaboul ou à Bagdad, mais pour la Grande Syrie [qui inclut la Jordanie] et à Amman [...].
J'ai dit [aux officiels] : 'N'y a-t-il pas un seul homme raisonnable parmi vous ?' Après la réunion, ils m'ont appelé et m'ont dit : 'Venez récupérer vos quatre frères emprisonnés'. Ils m'ont demandé de venir les chercher aussitôt que possible. J'ai envoyé deux hommes, et ils les ont ramenés. Notre patience et notre persévérance ont payé."
Al-Rahahla condamne, par ailleurs, les procès d'activistes djihadistes, et estime que "recruter des jeunes en Irak pour mener le Djihad n'est pas un crime, car Allah, le tout-puissant, nous a ordonné de mener le Djihad".
"Nous croyons à la mise en place de la Charia. Elle assurera le bien-être du peuple et mettra un terme à la corruption, à l'oppression et à la collaboration de la Jordanie avec les Américains et les Sionistes", ajoute un autre leader du mouvement, Sad al-Hunaiti. Après la libération des prisonniers, les Salafistes ont annulé la manifestation qu'ils avaient prévue. Le régime n'a toutefois pris aucun risque et de nombreux agents des forces de l'ordre ont été déployés à travers la capitale.
Présence religieuse
Ce ne sera pas la première fois que les Djihadistes font régner la terreur en Jordanie. En novembre 2005, 63 personnes avaient été tuées dans des attentats visant trois hôtels du pays. Une attaque revendiquée par l'ancien commandant d'Al-Qaïda en Irak, Abou Moussab al-Zarqawi. Ce genre d'opérations est encouragé par de nombreux idéologues islamistes, comme Sayid Qutb, qui considèrent Amman comme une "marionnette de l'Occident" et comme un pays qui a échoué à mettre en place une politique respectueuse des lois islamiques. Les idéologues djihadistes ont toujours clamé leur volonté de renverser les Hachémites.
Dans ce but, en 1952, Taqi Nabhani, juriste jordano-palestinien, avait voulu fonder le parti Hizb ut-Tahrir. Son idée était simple : la fin des Etats politiques arabes et la naissance de Califats islamistes. Mais comprenant le danger pour sa souveraineté, le ministère jordanien de l'Intérieur avait alors refusé la création de tels partis et banni Hizb ut-Tahrir.
Depuis quelque temps, l'idéologie islamiste revient sur le devant de la scène. Selon le
Dr Boaz Ganor, directeur du bureau antiterroriste au Centre interdisciplinaire d'Herzliya, le camp djihadiste en Jordanie a récemment accueilli de nombreux volontaires. Notamment grâce à l'afflux de réfugiés irakiens. Une menace qu'il ne faut pas prendre à la légère, selon Ganor. Pour lui, les avertissements "d'attaques de martyrs" représentent un véritable danger, même si "les forces de sécurité restent efficaces et fidèles au roi Abdallah".
La situation est désormais très délicate. Notamment du côté de la population palestinienne du pays. Car si aucun soutien massif pour les djihadistes n'a encore été observé, les groupes palestiniens présents en Jordanie ont toujours affirmé que "le chemin pour la libération de la Palestine passe par Amman". Une doctrine partagée par les Salafistes.
Les manifestants de l'opposition jordanienne semblaient beaucoup plus religieux que leurs homologues égyptiens. Très peu de femmes dans les protestations jordaniennes, et la plupart étaient voilées. Si certains défilaient clairement en faveur de la démocratie, la présence de nombreux hommes barbus, religieux, a été remarquée parmi les protestataires. Dynamique religieuse ou démocratique ? Tel est le dilemme de la Jordanie. Les mois qui viennent seront capitaux pour la monarchie. Une question subsiste : sera-t-elle capable de contenir les forces djihadistes du pays ?