Le conte moral de la Turquie
Par CAROLINE B. GLICK
Jerusalem Post 15/04/2011
http://www.jpost.com/Opinion/Columnists/Article.aspx?id=216704
Adaptation française de Sentinelle 5771 ©
L’AKP en Turquie a utilisé la démocratie pour s’emparer du pouvoir. Maintenant qu’ils ont le pouvoir, ils détruisent systématiquement la liberté dans leur pays.
La Turquie est aujourd’hui un conte moral pour l’Occident. Mais les dirigeants occidentaux se refusent à comprendre ses leçons.
Depuis que le Parti islamiste AKP en Turquie de ‘la Justice et du Développement’ a gagné les élections en novembre 2002 sous la conduite de Recip Tayyip Erdogan, les officiels occidentaux ont tenu l’AKP, Erdogan et ses collègues comme une preuve que l’islam politique est miscible dans les valeurs démocratiques. Pendant la visite d’Erdogan à la Maison Blanche en juin 2005 par exemple, le président d’alors, George W. Bush fit l’éloge de la démocratie turque comme « un important exemple pour les gens plus largement au Moyen Orient ».
Hélas, après neuf ans du régime « démocratique » de l’AKP, il est clair que l’adoption par Erdogan et ses collègues du langage et des outils de la démocratie était fort large mais dans un sens étroit. Ils ont utilisé la démocratie pour s’emparer du pouvoir. Maintenant qu’ils le détiennent, ils détruisent systématiquement la liberté dans leur pays.
La Turquie se place au 138ème rang pour la liberté de la presse internationale selon l’index du groupe ‘Reporters Sans Frontières’. 68 journalistes moisissent dans les geôles turques pour le crime d’avoir fait leur travail. La plus récente rafle de journalistes est survenue au début mars. Et elle démontre l’utilisation par les dirigeants islamistes de Turquie de l’exploitation des libertés démocratiques au service de leurs fins tyranniques.
Comme le journal ‘Der Spiegel’ l’a rapporté la semaine dernière, les journalistes chevronnés Ahmet Sik du journal d’extrême-Gauche ‘Radikal’ et Nedim Sener du journal de réflexion ‘Milliyet’ faisaient partie de cette rafle. Appartenant à la Gauche radicale, les deux hommes s’opposent à la politique islamiste de l’AKP. Mais ils partageaient son intérêt dans l’affaiblissement de l’armée turque.
La Gauche s’opposait au rôle constitutionnel de l’armée en tant que superviseur de la démocratie turque parce que l’armée usait de ce rôle pour persécuter les Gauchistes. Le Parti AKP s’opposait à l’armée parce qu’elle bloquait la voie du Parti vers l’islamisation de la société et de la politique turques. Quand l’AKP se retourna contre l’armée, elle utilisa les journalistes de Gauche pour soutenir ses actions.
Cette collusion prit tournure en 2007. Dans une tentative pour détruire la légitimité de l’armée, le régime de l’AKP avait engagé des mesures sans précédents d’enregistrement des communications sans fil des généraux en activité et de ceux en 2ème réserve.
L’opération d’enregistrement des communications a précédé la mise en avant en 2007 de la soi-disant conspiration ‘Ergenekon’ dans laquelle des généraux, des journalistes, des personnalités de la télévision, du monde du spectacle et des affaires ont été impliquées dans une tentative présumée de renverser le gouvernement de l’AKP. Faisant partie de l’enquête ‘Ergenekon’, au cours des quatre années passées, des centaines de dirigeants non islamistes, depuis des généraux et des journalistes, ont été arrêtés et détenus sans procès.
Ironiquement, Sik accusé maintenant d’être membre du complot ‘Ergenekon’, était rédacteur dans le magazine hebdomadaire gauchiste ‘Nokta’ qui « dévoila » l’affaire de la conspiration.
Comme le note ‘Der Spiegel’, l’arrestation de Sik et Sener démontre que l’adoption précoce par l’AKP de journalistes d’investigation champions de la liberté de la presse était purement opportuniste. Lorsque Sik et Sener et les 66 autres journalistes emprisonnés eurent fini de discréditer l’armée, le régime n’avait plus besoin d’eux. De fait, ils devenaient une menace.
De plus Sik et Sener ont récemment écrit des livres documentant comment la version turque des ‘Frères Musulmans’, le réseau ‘Fetulah Gulen’ s’est emparée des forces de sécurité du pays.
Dans un entretien ce mois-ci avec le quotidien d’informations et revue économique ‘Hurriyet’, l’ancien président Souleyman Demirel a prévenu que l’AKP avait établi « un empire de la peur » en Turquie.
La chute de la Turquie dans la tyrannie islamiste n’a pas seulement détruit la liberté en Turquie. Elle a transformé la posture stratégique de la Turquie d’une manière désastreuse pour l’Occident. Et pourtant, dans ce domaine aussi, l’Occident refuse de noter ce qui arrive.
Au début de cette semaine, l’ambassadeur des USA à Ankara, Francis Ricciardone a donné un entretien au media turc dans lequel il a soutenu avec romantisme le partenariat américano-turc. Comme il l’a formulé : « Nos intérêts sont similaires. Même si nous avons des méthodes et des objectifs différents, notre vision stratégique est la même ».
Hélas, on ne peut aucunement faire correspondre cette déclaration avec la politique turque.
Cette semaine, on a rapporté que la Turquie, membre de l’OTAN, ouvre quelque chose qui ressemble à une mission diplomatique des Taliban à Ankara. La Turquie soutient le Hamas et le Hezbollah. Elle a commencé à former l’armée syrienne. Elle soutient le programme d’armement nucléaire de l’Iran. Elle est devenue la ligne économique vitale du régime iranien autorisant les mollahs à user des marchés turcs pour transgresser le régime des sanctions de l’ONU.
En moins de 10 ans, le régime de l’AKP a démantelé l’alliance stratégique de la Turquie avec Israël. Elle a inculqué au public turc autrefois tolérant, voire pro-Israël, un antisémitisme virulent. Cet endoctrinement systématique de la haine antijuive a enhardi les dirigeants turcs à annoncer publiquement qu’ils soutiennent l’option de faire la guerre à Israël.
Le gouvernement turc se tient derrière al Qaïda - et le Hamas – lié au groupe IHH. L’IHH a organisé l’an dernier la flottille pro-Hamas vers Gaza au cours de laquelle des membres d’IHH ont brutalement attaqué des commandos navals engagés dans une mission légale de maintien légal du blocus maritime de la côte de Gaza. Avec le soutien du gouvernement turc, IHH planifie maintenant une flottille encore plus vaste pour s’attaquer au blocus de Gaza par Israël le mois prochain.
En réalité, démontrant l’intimité de ses liens avec le régime de l’AKP, cette semaine IHH a annoncé qu’elle envisage de retarder la prochaine flottille pro-Hamas de façon a assurer que sa campagne pro-terroriste illégale ne nuira pas aux perspectives électorales de l’AKP lors des élections nationales en Turquie prévues en juin.
Des officiels américains et d’autres occidentaux ont mis en avant que leurs gouvernements auraient tort de prendre leurs distances avec la Turquie ou de censurer en aucune manière ce membre de l’OTAN parce que, ce faisant, on ne ferait que renforcer les forces anti - occidentales dans ce gouvernement anti occidental. Au lieu de cela, les dirigeants occidentaux ont tout fait pour apaiser Erdogan.
Les USA l’ont même autorisé à envahir le Kurdistan irakien.
Hélas, cette politique d’apaisement n’a fait que nuire à l’Occident et à l’OTAN. Prenez le comportement du secrétaire général de l’OTAN et ancien Premier ministre danois Anders Fogh Rasmussen. Comme Premier ministre du Danemark, Rasmussen tint bravement face aux islamistes quand ils exigèrent qu’il présente des excuses pour la publication de caricatures de Mahomet en 2005 dans le journal ‘Jyllands Posten’. Pourtant quand la Turquie menaça de mettre son veto à sa nomination comme secrétaire général de l’OTAN en 2009 sur le rejet par les islamistes de la liberté d’expression, Rasmussen abandonna sa forte défense des valeurs libérales de l’Occident pour complaire aux Turcs.
Dans un discours où il s’humiliait, Rasmussen déclara : « J’ai ressenti une profonde détresse que les caricatures aient été considérées par de nombreux musulmans comme une tentative du Danemark de manifester ou d’insulter ou de se comporter irrespectueusement envers l’islam ou le prophète Mahomet… Je respecte l’islam comme l’une des religions majeures dans le monde ainsi que ses symboles religieux ».
Rasmussen a ensuite procédé à la nomination de Turcs à des postes clés dans l’alliance.
Loin de maîtriser la politique anti -occidentale de la Turquie, en maintenant la Turquie dans l’OTAN, les puissances occidentales ont été obligées d’entraver la défense de leurs intérêts.
La mission incohérente de l’OTAN en Libye en est un exemple. On peut arguer qu’en Allemagne, l’importante minorité turque de plus en plus radicalisée a joué un rôle dans la décision de la chancelière allemande Angela Merckel de mettre en péril ses bonnes relations avec la Grande Bretagne et la France, et de refuser de soutenir la mission libyenne. De même, on devrait à la déférence du président Barack Obama envers la Turquie la défaillance des USA dans le soutien aux forces opposées au régime de Khaddafi, jusqu’à ce que celui-ci ait organisé une contre-offensive contre elles. Ainsi, si comme cela semble de plus en plus probable, Khaddafi est capable de survivre à la tentative de le renverser par les insurgés soutenus par l’OTAN, il devra sa survie à Erdogan dans une large mesure.
La Turquie est un conte moral pour l’Occident, qui est aujourd’hui confronté à la perspective de régimes à l’imitation de l’AKP, de l’Egypte à la Tunisie, de la Jordanie jusqu’au Golfe persique. Et la vraie question à laquelle les dirigeants occidentaux doivent répondre c’est : « Comment a-t-on permis que les affaires en Turquie se détériorent à ce point sans qu’un officiel américain ou européen ne lève le petit doigt pour arrêter la vague islamiste ? La réponse, semble-t-il, est une combinaison de paresse professionnelle et de faiblesse culturelle. Ce mélange de facteurs est aussi démontré dans le comportement des USA envers les forces révolutionnaires actives à travers la plus grande partie du monde arabe.
La paresse professionnelle se trouve à la racine de la décision de l’Occident de ne pas faire face à la vérité déplaisante que l’AKP est un parti islamiste dont l’idéologie fondamentale a plus en commun avec les valeurs d’Oussama ben Laden qu’avec celles de George Washington. Cette vérité était toujours accessible. Erdogan et ses collègues n’ont fait aucun effort particulier pour cacher ce pour quoi ils optaient.
L’Occident a choisi de ne pas y prêter attention parce que ses officiels de haut rang savaient que s’ils le faisaient, ils devraient faire quelque chose. Ils auraient dû prendre leurs distances avec la Turquie, retirer la Turquie de l’OTAN et chercher à contenir la puissance du régime Erdogan. Et cela aurait été difficile et déplaisant.
De même, ils savaient que s’ils faisaient mention de la nature de l’AKP, ils auraient dû se plonger en profondeur dans la société turque et défendre la supériorité des valeurs occidentales contres les valeurs islamistes. Ils auraient dû rechercher et soutenir des dirigeants turcs ayant la volonté d’adopter les valeurs occidentales et ensuite, les cultiver, les financer et les mettre en responsabilité. Cela aussi aurait été dur et déplaisant.
De même, dans l’Egypte post-Moubarak, il est plus facile de croire à des contes de fées sur des révolutions sur ‘Facebook’ et des dirigeants étudiants occidentalisés que de faire face à la sévère vérité que de Amr Moussa àMohamed el Baradeï jusqu’à Youssouf al Qaradawi, il n’y a pas de dirigeant égyptien qui soutienne la paix avec Israël ou croie que l’Egypte ait des intérêts communs avec Israël et les USA. Il n’y a pas de dirigeant potentiel en Egypte qui partage les valeurs occidentales de liberté individuelle et des droits de l’homme.
Et comme en Turquie, le prix de la reconnaissance de ces faits incommodes est de prendre des mesures efficaces pour s’y opposer. Comme en Turquie, l’Occident sera obligé de faire des choses difficiles comme de développer une politique de contention plutôt que de pourparlers avec l’Egypte, et d’identifier et cultiver des forces dans la société égyptienne ayant la volonté d’adhérer à John Locke, John Stuart Mill et Adam Smith plutôt qu’à Hassan al Banna et Qaradawi.
Plutôt que de faire l’une de ces choses difficiles, les dirigeants occidentaux se sont menti à eux-mêmes sur la nature de ces forces et de ces régimes. Ils se sont dit qu’il n’y a aucun problème avec les émules d’Erdogan et ses imitations égyptiennes, et ont choisi de limiter leur ingérence dans les affaires intérieures des autres dans des tentatives sans fin pour saper et renverser les gouvernements pro-occidentaux successifs, démocratiques, non gauchistes en Israël. Ces gouvernements, ont-ils prétendu, doivent être remplacés par des Partis de Gauche de manière à alimenter le fantasme de l’Occident que tous les problèmes de la région, tous ses Qaradawi et Erdogan, deviendront par magie des Thomas Jefferson et des John Adams si Israël voulait bien passer un accord avec l’OLP.
Ce fantasme est commode pour les lâches de la culture occidentale. Ils savent qu’il n’y aura pas de repoussoir à leur politique. Israël ne les attaquera pas. Et en prétendant que les islamistes partagent leurs valeurs et intérêts stratégiques, ils sont libres de ne prendre aucune mesure pour se défendre contre l’agression islamiste.
Mais alors que cette stratégie a été commode pour les décideurs politiques, elle a provoqué un grave dommage dans leurs pays. La menace grandissante de la Turquie islamiste nous enseigne que la paresse professionnelle et la sensibilité culturelle excessive sont des recettes de désastres stratégiques.
caroline@carolineglick.com