Le Tribunal Spécial pour le Liban (TSL) n’a pas encore publié son acte d’accusation dans les assassinats et tentatives d’assassinats politiques commis au Liban depuis 2004 (dont Marwane Hamadé, Rafic Hariri, Bassel Fleyhane, Gebran Tueini, Samir Kassir, Georges Hawi, Walid Eido, Wissam Eid, Samir Chéhadé, Pierre Gemayel, Antoine Ghanem, May Chidiac, François Hage, et une vingtaine de civils...). Mais d’ores et déjà, le Hezbollah s’est auto-condamné en rejetant par avance toute accusation - ce qui serait normal, ayant agi à la demande de ses maîtres à Damas et Téhéran - et en manœuvrant pour intimider l’ensemble des acteurs libanais, les pays voisins et la communauté internationale pour obtenir l’abandon du Tribunal. Il a aussi brandi l’affaire des « faux témoins » alors que le TSL n’a pas encore rendu ses conclusions et de ce fait, on ignore sur la base de quels témoignages les magistrats se sont basés !
Tout a commencé quand, le 8 mars 2005, le Hezbollah et les pro-syriens ont organisé un grand rassemblement à Beyrouth pour « remercier la Syrie » et « pleurer son retrait militaire » au terme de trente ans d’occupation. Face à cette mobilisation, les souverainistes ont répliqué en organisant le rassemblement du 14 mars 2005 qui a marqué un tournant dans la vie politique libanaise. Mais connaissant son rôle dans les assassinats, le parti de Dieu s’est employé à empêcher la création du TSL. De l’aveu même de Hassan Nasrallah - qui s’en est excusé ! - il avait provoqué une guerre dévastatrice avec Israël (juillet-août 2006), détruisant les infrastructures et tuant plus de 1.200 personnes. Quelques semaines après l’arrêt des hostilités, les ministres de l’opposition ont quitté le gouvernement pour provoquer la chute du cabinet de Fouad Siniora, bloquant le centre-ville de Beyrouth pendant 18 mois. Pendant ce temps, Hassan Nasrallah a contribué à fragiliser l’armée avec ses fameuses« lignes rouges » dressées contre l’Etat libanais dans l’objectif de défendre le Fatah Al-Islam, un groupe terroriste islamo-palestinien fabriqué de toutes pièces par la Syrie. Le Hezbollah a également employé ses relais en Occident pour dénoncer Siniora, l’accusant de vouloir naturaliser les Palestiniens au Liban (ce que les câbles diplomatiques américains révélés par WikiLeaks ont formellement démenti) ; accusant Hariri de financer Fatah Al-Islam (accusations formulées par Fida Itani, journaliste au quotidien du Hezbollah, « Al-Akhbar », et reprises par le « Monde diplomatique version arabe », dirigé par le syrien Samir Aïta)... Le tout pour discréditer les souverainistes.
En mai 2008, après plusieurs tentatives de déstabilisation du Liban, le Hezbollah a réalisé le coup de force contre Beyrouth et la Montagne pour soumettre les Sunnites et les Druzes, ou du moins les intimider. En dépit de sa défaite électorale aux législatives de juin 2009, l’opposition menée par le Hezbollah a obtenu le tiers de blocage au gouvernement, un blocage dont elle se sert actuellement pour prendre le pays en otage. Le gouvernement ne se réunit plus, les nominations aux postes clés sont reportées de semaine en semaine... Parallèlement, l’opposition multiplie les offensives médiatiques pour invalider le TSL, l’accusant d’être politisé à la solde d’Israël et des Etats-Unis. Pour y parvenir, le Hezbollah et ses parrains syriens ont exploité des journalistes européens (Der Spiegel, Voltaire.net...) et canadiens (CBC) pour dévoiler certains volets de l’enquête ou inventer de nouvelles pistes jusque-là inexplorées. Il tente d’accuser Israël du meurtre de Hariri dans l’objectif de discréditer la justice internationale.
C’est ainsi que le « Der Spiegel » avait pointé un doigt accusateur, en 2009, vers le Hezbollah. Thierry Meyssan, rendu célèbre par ses activités pornographiques et qui vient d’être ridiculisé par les révélations de WikiLeaks, a récidivé en développant la piste de l’assassinat de Hariri par un missile Air-Sol de fabrication allemande ; une thèse reprise par la presse du Hezbollah et attribuée à un spécialiste militaire russe ! Pourtant, il n’échappe à personne que l’auteur de l’« Effroyable imposture » est financé par le Téhéran et le Hezbollah. Meyssan a mis à leur disposition son réseau Voltaire, s’appuyant également sur certaines personnes autoproclamées intellectuelles, sur d’anciens journalistes convertis dans le travail universitaire et sur un nombre incalculable de blogs et de sites internet qui lui sont proches. Il a également créé une agence de presse, la « New Orient News » qui prône le « Grand Moyen-Orient résistant » ! Rappelons que le même Meyssan, qualifié effroyable imposteur, avait accusé l’Egypte, l’Arabie et l’Autorité palestinienne de financer la guerre israélienne contre Gaza, au service de l’axe syro-iranien. Or, selon WikiLeaks, Israël s’est plaint du refus du Caire et de Ramallah de l’aider contre le Hamas !
Ces manœuvres, visant à gagner l’opinion publique comme l’ont récemment reconnu les responsables du Hezbollah Naïm Qassem, Nabil Kaouk et Mohammed Raad, sont accompagnées et complétées par un travail politique visant à dissuader les pays occidentaux d’abandonner le TSL (sans oublier les intimidations et les menaces à peine voilées qui pèsent sur la FINUL au Sud Liban). La récente visite de Michel Aoun à Paris, suivi de Bachar Al-Assad, font partie de cette entreprise, tout comme les rencontres quémandées par des pro-syriens aux fonctionnaires de l’administration Obama. En effet, à Washington, des membres du Parti National Syrien, habitués au lobbying en faveur de l’ancien président libanais Emile Lahoud, ont repris du service sous les ordres de l’ambassadeur syrien Imad Mustapha et en étroite collaboration avec James Zoghbi.
Mais cette tentative a été étouffée dans l’œuf grâce au lobby libanais mené par Tom Harb et le « Comité libanais international pour l’application de la résolution 1559 » (THE INTERNATIONAL LEBANESE COMMITTEE FOR UNSCR 1559) auprès du « Council on Foreign Relations », du nouveau Congrès, du Conseil national de sécurité et des Nations Unies. Dans un communiqué publié le 12 décembre dernier, le Comité libanais a réitéré ses appels au Conseil de sécurité, à travers Terje Road-Larsen, pour que « les décisions du TSL soient appliquées au Liban sous le Chapitre VII », et invité les dirigeants Libanais à « faire face aux pressions diverses et variées exercées par la Syrie et l’Iran, et aux menaces du Hezbollah ».
Les souverainistes libanais, très actifs à Washington, affirment que la manœuvre du Hezbollah aux Etats-Unis a échoué, mais estiment que « cette victoire pacifique ne suffira pas tant que les institutions libanaises ne se ressaisissent pas et tant que les sympathisants de la Révolution du Cèdre ne se mobilisent pas sur le terrain ». Car, « la multiplication des concessions faites par le premier ministre au Hezbollah, soit pour satisfaire l’Arabie saoudite, soit pour éviter la colère de la Syrie, soit encore sous l’intimidation du Hezbollah, ne fait que fragiliser la majorité et renforcer l’opposition ». Nos interlocuteurs estiment que « si l’alliance du 14 mars espère garder une majorité parlementaire, elle doit remobiliser ses troupes et cesser de reculer devant les milices ». C’est exactement le sens de notre « lettre ouverte à Saad Hariri », publiée le 26 septembre 2008.
Le Hezbollah, armé jusqu’aux dents, n’entend pas se laisser abattre pour des crimes qu’il n’a pas commis seul, mais à la demande de la Syrie et de l’Iran. Il met tout en œuvre pour empêcher la justice de progresser et prend plus de 4 millions de Libanais en otage. En promettant que « le Liban ne sera plus le même si le TSL osait publier ses accusations », le parti chiite s’est auto-condamné. A présent, le Liban attend un discours musclé que Hassan Nasrallah s’apprête à prononcer à l’occasion de la fête de Ashoura, le 16 décembre. La veille, le gouvernement risque de voler en éclat en raison du dossier des « faux témoins ».
Khaled Asmar
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