La reprise du dialogue israélo-palestinien est attendue dans les prochains jours, après des mois de blocage. Ces pourparlers indirects, qui prendront la forme de navettes de l'émissaire américain pour le Moyen-Orient, George Mitchell, entre Jérusalem, Ramallah et Washington, devraient durer quatre mois. "Les négociations indirectes ne mèneront à rien", prédit pourtant le ministre Dan Meridor, du parti Likoud du Premier ministre Binyamin Netanyahou.
Le roi Abdallah II de Jordanie, à droite, a rencontré le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, à Amman en Jordanie, le 5 mai dernier.
PHOTO: AP/NADER DAOUD , JPOST
La stagnation des pourparlers ne semblait pas déranger outre mesure les intéressés, ni Mahmoud Abbas qui, selon des sources bien informées, se trouve plus souvent en Jordanie qu'à Ramallah, ni le gouvernement Netanyahou, ennuyé par le tollé suscité par les constructions à Jérusalem-Est. Le seul à avoir réagi avec véhémence, et même avec une virulence inattendue, à cet enlisement, est le souverain hachémite Abdallah II. Cet "ami d'Israël dans la région", comme il se qualifie lui-même, a eu des mots pour le moins non amicaux et étonnamment alarmistes.
Dans une interview au Wall Street Journal du 5 avril dernier, en pleine phase d'arrêt du processus de paix, le roi Abdallah II évoquait l'urgence d'une solution au conflit. Et pour soutenir son propos, il n'était pas avare de menaces : une nouvelle guerre avec le Liban, une troisième Intifada, un isolement absolu d'Israël en perspective : "Si vous discutez avec (certains Libanais) aujourd'hui, ils sentent qu'il va y avoir une autre guerre. Il semblerait que certains groupes cherchent à promouvoir une troisième Intifada, ce qui serait catastrophique.
Jérusalem... est une poudrière qui peut exploser à n'importe quel moment... Je pense que la Corée du Nord a de meilleures relations internationales qu'Israël." L'inclusion d'Israël dans l'OCDE, le 10 mai 2010, à l'unanimité des 31 pays qui la composent, semble toutefois infirmer quelque peu ces sinistres prévisions... Mais Abdallah II ne veut pas être pris à la légère : "Depuis que mon père a fait la paix avec Israël, notre relation avec l'Etat juif est au plus bas. Elle n'a jamais été aussi mauvaise et aussi tendue qu'aujourd'hui..." Tout cela pour en venir où ? "Le statu quo actuel est inacceptable", déclarait-il en substance.
Jordaniens et Palestiniens : une histoire commune
Pourquoi cette soudaine nervosité ? La Jordanie, où Mahmoud Abbas semble avoir posé officieusement ses valises, et où bien d'autres Palestiniens en visite affirment en privé se sentir "chez eux", est composée d'au moins 60 % de Palestiniens. Certes, le souverain hachémite n'est pas, lui, palestinien : né du mariage entre le roi Hussein et la Britannique Antoinette Avril Gardiner, il n'est par ailleurs qu'à moitié arabe. Mais face à l'enlisement du processus de paix, la Jordanie est le pays vers lequel les Palestiniens tournent naturellement leurs regards : là, vit une grande partie des leurs, là, règne une charismatique reine palestinienne.
La Jordanie a longtemps considéré que c'était à elle seule d'assumer la représentation des Palestiniens, ce qui explique la délivrance d'un passeport jordanien à tous les Palestiniens (réfugiés de 1948 et déplacés de 1967) et aussi l'expulsion de l'OLP après les événements de "Septembre noir" en 1970. Toutefois, le retrait jordanien de Cisjordanie en 1988 a marqué la perte d'influence de la Jordanie sur les Palestiniens hors du royaume.
A l'origine, il n'y avait pas de différence nette entre Palestiniens et Jordaniens, puisque la Jordanie a été établie sur une partie de ce qu'était la Palestine. La distinction est venue avec l'histoire récente : d'un côté un royaume avec les Palestiniens de Jordanie et de l'autre, les Palestiniens de l'Autorité palestinienne et de Gaza. Jordanie, 1952. Les camps s'ouvrent pour accueillir les réfugiés palestiniens, dont 80 à 90 % se dirigent vers Amman, entraînant une explosion de la population de la capitale et du pays en général. Les réfugiés s'installent dans des camps, mais restent libres de se déplacer et reçoivent même la citoyenneté jordanienne. Aujourd'hui, on les trouve à tous les niveaux de l'Etat, hormis dans les secteurs très protégés de la Défense et de la sécurité intérieure. Ils contribuent à l'économie du pays, ont accès à la propriété foncière et jouent un rôle clé dans le secteur privé, au moyen d'une bourgeoisie aisée.
Une solution à deux ou trois Etats ?
La solution des deux Etats, dont le souverain hachémite est un fervent adepte, ne pourrait être qu'une solution de douloureux compromis, aussi bien pour Israël que pour les Palestiniens : elle ferait place à deux minuscules Etats fractionnés et difficilement viables : un Etat israélien entouré de voisins hostiles (pour peu qu'on y inclue le retour de réfugiés palestiniens, rien ne garantit plus sa pérennité) et un Etat palestinien déjà divisé, avant même sa proclamation officielle, entre Gaza et Ramallah, le gouvernement du Hamas et la présidence d'Abbas.
Donc, même si la logique voudrait qu'Israéliens et Palestiniens résolvent leur problème territorial en se départageant équitablement les territoires disputés, force est de constater qu'ils ne disposent pas de toutes les clés du problème, qu'il manque quelques pièces au puzzle.
Là encore, les regards se tournent vers ce Royaume hachémite inquiet et soudain menaçant, qui se défend : "En Amérique en particulier, on entend les gens demander pourquoi la Jordanie n'accueillerait pas les Palestiniens... Cela créerait une immense instabilité... et cela ne réglerait pas le problème [israélien] à long terme, vu que la population arabe israélienne en Israël-même sera de 50 % dans huit ou dix ans." Le roi Abdallah II, par ces déclarations faites au Wall Street Journal, est trop bon de se préoccuper du sort d'Israël. Il est surtout, comme il le formule lui-même, inquiet de la
stabilité de son pays.
En l'absence de solution diplomatique, l'afflux de deux millions de réfugiés palestiniens est effectivement à craindre. Or la Jordanie n'a ni l'envie, ni les structures capables de supporter le réveil de vieux démons ayant conduit à l'abandon de la souveraineté jordanienne en Judée-Samarie par le roi Hussein. "Le Royaume ne veut aucune partie de la Cisjordanie", avait déclaré Abdallah II, on ne peut plus clairement, au Forum économique mondial de Davos de janvier 2010. Pour lui, "la seule solution crédible est la solution des deux Etats. Il n'y a pas de solution jordanienne."