Pour le monde arabo musulman, c’est l’information de ce début 2010 sur laquelle il convient de revenir : la proclamation par le président Obama d’un nouveau front de lutte contre le terrorisme islamique, le front du Yémen. Encore une fois, ce n’est pas une grosse surprise pour les lecteurs du Reporter, alertés sur la gravité de la situation dans ce pays.
On notera cependant que c’est l’attentat raté du jour de Noël qui a été le fait déclencheur de l’officialisation de l’engagement américain aux côtés du pouvoir de Sanaa.
Or, cet engagement, au départ en soutien à l’Arabie Saoudite, date comme l’a révélé la presse américaine de plus d’un an. Le présumé terroriste nigérian est donc tombé à pic pour justifier auprès de l’opinion américaine cette nouvelle extension de la lutte contre Al Qaïda. Il convient donc d’être très prudent sur le rôle de la CIA mis en cause dans cet attentat. Les trous dans la sécurité paraissent surréalistes au niveau des informations récoltés sur le jeune homme, dénoncé comme dangereux par ses propres parents. Mais, quoi qu’il en soit sur la réalité de l’attentat de Noël et sur ses conditions, le résultat est là : Obama pratique une politique à nouveau ultra sécuritaire et s’engage dans un nouveau pays musulman dans la guerre contre le terrorisme.
Le Yemen n’est pas un pays arabe comme les autres. Il ressemble étrangement par ses divisions tribales et ses traditions guerrières à l’Afghanistan.
Le Yémen a une unité très fragile composée du Yémen du nord et de celui du sud, l’ancien Aden des Britanniques.
Yémen nord
L'imam des zaïdites, Yahya Muhammad Hamid ed-Din, qui dirigeait de fait le nord du pays depuis 1904, créa le royaume mutawakkilite du Yémen. Il affirma l'indépendance du pays en signant des traités avec l'Italie et parvint à maintenir les frontières malgré une défaite militaire contre l'Arabie Saoudite. Après son assassinat en 1948, son fils Ahmad bin Yahya devint roi et se rapprocha du bloc soviétique. En 1949, une importante émigration desjuifs du Yémen vers Israël se produisit. Après l'assassinat de Ahmad bin Yahya, l'arrivée de son fils Muhammad al-Badr en 1962 sur le trône marqua le début de la guerre civile. La monarchie chiite (imamat) y fut abolie le 27 septembre 1962, date à laquelle le pays prit le nom de République arabe du Yémen (communément nommée "Yémen du Nord"), dirigée par des sunnites et soutenue par les forces armées égyptiennes qui employèrent, entre autres, l'arme chimique contre les royalistes. La guerre s'arrêta de fait avec la reconnaissance du gouvernement rebelle en 1970 par l'Arabie Saoudite, embrayée ensuite par les puissances occidentales.
Yémen sud
La partie méridionale correspond à l'ancien hinterland britannique et fut formée progressivement à partir de 1839 autour du port d'Aden. Après le départ des troupes britanniques, la Fédération d'Arabie du Sud et le Protectorat d'Arabie du Sud se regroupèrent le 30 novembre 1967 pour former un nouvel État indépendant, la République populaire du Yémen du sud (communément nommée "Yémen du Sud"). Trois ans plus tard, celle-ci adopta le nom de République démocratique populaire du Yémen.
Le 22 mai 1990, la République arabe du Yémen (Yémen du Nord) et la République démocratique populaire du Yémen (Yémen du Sud) ont fusionné pour former un seul État, la République du Yémen.
Cette unité est menacée et son éclatement menace l’Arabie Saoudite et la sécurité de toute la région, Mer Rouge et Golfe arabo-persique.
Ce n’est certes pas la première fois cependant.
Le Nord a toujours été fragilisé par la rivalité sunnite-chiite. La monarchie chiite y fut abolie le 27 septembre 1962, date à laquelle le pays prit le nom de République arabe du Yémen (communément nommée "Yémen du Nord"), dirigée par des sunnites et soutenue par les forces armées égyptiennes qui employèrent entre autres l'arme chimique contre les royalistes. La guerre s'arrêta de fait avec la reconnaissance du gouvernement rebelle en 1970 par l’Arabie Saoudite opposé à Nasser dans ce conflit, suivie ensuite par les puissances occidentales.
Lors de la première guerre contre Saddam Hussein, le Yémen réunifié est très dépendant du commerce et de l'aide irakienne, de plus l'opinion populaire est majoritairement favorable à Saddam Hussein. Mais le pays reçoit aussi beaucoup d'aide de l'Arabie Saoudite. Il fait son choix lorsqu'en août, au Caire, lors d'un sommet des dirigeants des pays membres de la Ligue arabe, il vote contre l'envoi de troupes militaires arabes au sein d'une coalition multinationale pour protéger l'Arabie Saoudite face à l'Irak. À la fin de la guerre, en guise de représailles, les États-Unis attaquent la monnaie yéménite -la dévaluant fortement- et réduisent considérablement leur aide au développement. Comme punition, l'Arabie Saoudite expulse, en quelques semaines, entre 500.000[2] et plus de 800.000 travailleurs yéménites de son territoire[3], suspend son aide au développement de 600 millions USD et impose désormais l'obligation aux ressortissants du Yémen d'avoir un visa pour effectuer le hajj. Du 21 mai au 7 juillet 1994, le Yémen du Sud a vainement tenté de faire sécession sous le nom de "République démocratique du Yémen", avant de retomber sous le contrôle du gouvernement deSanaa.
En 2004, les affrontements près de la frontière avec l'Arabie saoudite ont fait environ 400 morts. Depuis 2004, le Yémen est aussi confronté à une rébellion armée de la minorité chiite zaïdite dans la province de Sa'dah (nord-ouest), qui ne reconnaît pas le régime du président Ali Abdullah Saleh, au pouvoir depuis 1990. Au début du mois d'avril 2005, les forces du gouvernement ont attaqué la position des rebelles islamistes dans les montagnes du nord-ouest du pays ; trois semaines de combats dans la province de Sa'dah ont provoqué la mort d'environ 200 personnes. En 2009, la guerre civile continue toujours et l'ONU compte 150.000 déplacés. Depuis le 4 novembre 2009, l'Arabie Saoudite intervient militairement contre la rébellion. La hantise de Riyad est d’être prise dans une tenaille chiite - retour de ces derniers au pouvoir dans le nord dans une union de fait avec Téhéran.
Il est bien évident que cette situation explosive, car les rebelles sont plus ou moins soutenus par Téhéran, devienne encore plus dangereuse avec le facteur Al Qaïda. Il ne faut pas oublier que Ben Laden appartient à une famille originaire du Yémen. Ce qui explique sans doute le retard avec lequel le régime du président Saleh au pouvoir depuis 1990 a pris en compte ce danger. Le Yémen a accueilli des éléments en fuites d’Afghanistan notamment et qui, de retour au pays, se sont intégrés aux tribus locales. Leur influence ne cesse de progresser : ils sont dans le sud dominants financièrement et idéologiquement.
Une rébellion chiite au nord, une subversion d’Al Qaïda au sud, les 20 ans de l’unification du pays n’empêcheront pas de faire de 2010 l’année de tous les dangers. On comprend l’inquiétude de Ryad devant la situation de ce pays où il y a une alliance objective anti wahhabite entre les Iraniens et Ben Laden.
On peut cependant se demander si la spécificité yéménite est révélatrice d’un retour en force d’Al Qaïda. Y a-t-il une stratégie de multiplications de fonds indépendants pour obliger les USA à se disperser dans des efforts militaires ruineux. On ne peut pas l’exclure.
Face au Yémen, il y a bien sûr la Somalie qui rend la Mer rouge aussi dangereuse que le Golfe arabique. Il y a l’Afghanistan, le Pakistan et Al Qaïda Maghreb. Cela oblige Washington à ne pas se laisser prendre dans des efforts disproportionnés en coûts.
Certains estiment donc que la stratégie d’Al Qaïda n’est pas de détruire l’Amérique par la violence, mais de la ruiner par la multiplication des lieux de danger et par la psychose terroriste. Le Yémen s’inscrirait alors parfaitement dans cette stratégie, tout comme le vrai-faux attentat de Noël. Sauf a considérer que ce sont les USA qui décident de multiplier les fronts dans une guerre quasi mondiale contre un terrorisme islamique incluant l’Iran d’Ahmadinejab. Cela inscrirait Obama, après Bush, dans le piège d’une guerre de l’Amérique à l islam pour des raisons d’intérêts énergétiques, sans véritable rupture donc. Il ne servirait à rien en effet d’occuper l’Irak si Riyad était déstabilisé par le Yémen et si le front de la «droite» -traduction du mot Yémen- se révélait plus dangereux pour le principal partenaire pétrolier des USA que le front du nord.