Ce syndrome affecte des pèlerins chétiens qui débarquent en Israël, et qui sont considérés au départ comme normaux. Dans le jargon des spécialistes, on dit qu’ils ne souffrent pas de troubles psychotiques préalables. Le docteur Katz du Centre de Santé Mentale de Guivat Chaoul en décrit les caractéristiques principales: sont sujettes à ce trouble des personnes très croyantes, d’âge moyen, qui ressentent le besoin inextinguible de visiter la ville seules. Ensuite, elles se vêtissent d’une toge et vont prêcher sur un lieu saint. En général, ce choc se produit lors de leur premier voyage. Ce problème dure tout au plus quelques jours et celui qui le subit ne se rappelle plus de rien quand il revient à lui. Le docteur raconte que l’intéressé se prend au passage pour une figure biblique.
Un autre psychiatre de Jérusalem soutient que ce n’est pas Jérusalem qui les rend fous d’un seul coup. Pour lui, les troubles existent au préalable dans un état latent qui ne s’exalte et ne devient saillant qu’avec leur arrivée à Jérusalem.
Ce que les médecins ne disent pas, c’est que plus le sujet est important dans son milieu et ses fonctions, plus son délire est grand. Ainsi, chez certains présidents américains, le personnage biblique qui sert de modèle n’est autre que le Rédempteur en personne, le Machiah décrit dans les prophéties. Bien sûr, le sujet ne l’avoue pas ouvertement, on risquerait à juste titre de ne pas le croire. Il pense pouvoir juger sans voir et sans entendre, mais à vue de nez.
Quand ces sommités sont chez elles, le trouble se présente sous sa phase léthargique et reste modéré. Elles se prononcent sur tous les sujets, et donnent des conseils tous azimuts à touts les chefs d’Etats. Mais, qu’elles arrivent à Jérusalem, elles s’illuminent. Ces personnages s’allument. Ils se mettent à divaguer et à prophétiser, c’est du moins ce dont ils sont persuadés. Je vous avais parlé d’un pseudo-nouveau-prophète répondant au nom de Bush (prononcer bouche), et qui, un an avant la fin de son mandat, disait que des accords de son cru allaient être signés dans l’année ; il tenait un discours incohérent où il était question de la paix des temps messianiques. Le nouveau, qui vient juste de prendre son service, se met à donner des ordres apocalyptiques interdisant aux Juifs, à D. ne plaise, de s’étendre, de croître et de se multiplier. Celui-là, avec les commandements qu’il donne, il vaut mieux ne pas dire pour qui il se prend.
Là où personne ne s’aperçoit de rien, c’est quand on oblige le pays tout entier à se prêter au jeu. Il y a une dizaine d’années, un certain Clinton, (prononcer kleene-tonne) a ressenti cette incontournable pulsion de vouloir visiter la ville seul. Le hic, c’est que son pèlerinage dans la ville est parti de Tel-Aviv. Pour répondre à ses désirs inspirés par le syndrome, le pays a donc été immobilisé pendant plus d’une demi-journée. Les papes, comme les numéros 2 ou 16, plus modestes, n’éveillent pas non plus les soupçons quand le Kotel leur est exclusivement réservé, le temps de leur passage dans la ville, où ils doivent être seuls.
Mais le dernier aspect du syndrome de Jérusalem, qui consiste à vouloir s’en prendre aux Juifs, interpelle une autre problématique qui atteint elle aussi le cerveau de certains chrétiens. Elle concerne le nombre des religions admises pour eux dans la capitale éternelle du peuple d’Israël. Selon les circonstances, il varie de un à trois. Si les chrétiens sont au pouvoir, c’est une: les croisés ont passé au fil de l’épée tous les Juifs vivant entre ses murailles quand ils ont investi la ville. On remarquera en passant que pour les musulmans, c’est une aussi, deux à la rigueur: pendant la période d’occupation jordanienne, aucun Juif n’a pu s’approcher du Mur Occidental du Temple.
Le maximum, c’est trois, et c’est uniquement quand les Juifs sont au pouvoir, car il faut impérativement leur rappeler qu’il y a d’autres religions, que la ville est trois fois sainte, et qu’il faut être tolérant. Ces principes de fortune ne s’appliquent que lorsque les Juifs rentrent dans leur ville.
Mais il y a quand même des limites: elle ne sera pas reconnue comme capitale d’Israël, quand bien même le pays souverain décidait de la rétablir comme telle. Les nations s’agitent et tempêtent contre l’ouverture d’un aéroport international inauguré à Ataroth, menaçant d’empêcher tout atterrissage d’un avion qui en décollerait pour une destination étrangère, quitte à le laisser s’écraser. Des dictionnaires considérés comme sérieux, encyclopédiques, mentionnent que Jérusalem n’est la capitale d’Israël que « d’après la Knesset. », comme si Paris était celle de la France « d’après le parlement ». Est-ce qu’un dictionnaire sérieux s’indignerait en proclamant que la capitale de la France est Lyon, ou que la capitale d’Angleterre est Manchester ? Les capitales seraient donc fixées par une commission internationale qui réfléchirait en fonction de critères arbitraires et bien définis. A moins que cette règle ne s’applique que pour Israël.
Quand le malade s’enlise encore plus profondément dans son syndrome, il en revient à refaire diminuer le nombre de religions d’après la vision déformée que son trouble lui présente. Il cherche alors à interdire aux Juifs de s’établir dans leurs frontières. Le réveil risque d’être brutal. Mais, comme l’a expliqué le docteur Katz, à son réveil, il ne se souviendra plus de rien, comme l’autre, d’ailleurs.
Ce qui fait vraiment peur, ce sont ces Juifs contaminés par la personne sujette aux crises aigües de ce fléau, et qui mettent sur pied des unités spéciales pour taper sur leurs frères. Quatre ans après, force est de reconnaître que ce ne sont pas des chrétiens frappés par le syndrome de Jérusalem qui ont anéanti la communauté juive de Goush Katif, mais des Juifs contaminés par des malades qui ne se souviennent plus de rien. Mais lui, le Juif, il se souvient, doublement, même. Ses textes sacrés, multimillénaires, le lui enjoignent: « Souviens-toi et n’oublie pas. » Le Juif n’oublie pas, ni cette tragédie qui s’est produite il y a quatre ans, ni celle qui à ouvert la route au dernier exil, il y a 1941 ans. Et c’est, avec l’aide de D., cette force du souvenir qui lui permettra de voir se reconstruire ses villes et son Temple en ruines, tout comme son Indépendance a surgi du souvenir des ruines de son glorieux passé.
Yéochoua Sultan sur: http://vusouscetangle.blogs.nouvelobs.com/
[Mercredi 22/07/2009 18:05]