Le 6 septembre 2007, peu après minuit. Dix avions de chasse F-15I décollent d'une base militaire en Israël. Direction : la Syrie. Objectif : un réacteur nucléaire le long de l'Euphrate, en train d'être construit sur le modèle nord-coréen de Yongbyon et financé avec l'aide de l'Iran. Quelques minutes après le décollage, les commandes arrivent du centre de Tel-Aviv : sept avions quittent alors la formation pour plonger dans l'espace aérien syrien. Une poignée de secondes plus tard, une première bombe est larguée sur les installations radar. Très vite, les avions survolent le réacteur nucléaire, et lâchent leurs bombes, des AGM-65, de près d'une demi-tonne. Alors que les avions israéliens commencent à sortir de l'espace aérien ennemi, l'armée syrienne se réveille et tire des missiles de défense en l'air. Trop peu, et trop tard.
Cinq officiers de l’Escadron des Corbeaux du Ciel au QG de l’unité, à la base de l’armée de l’air de Tel Nof. Même s’ils ne sont pas pilotes, les membres de l’unité portent des combinaisons de saut.
PHOTO: PORTE-PAROLE DE TSAHAL , JPOST
C'est, du moins, ce qui a été rapporté de l'opération Pardess (verger) : le bombardement de l'embryon d'un réacteur nucléaire que le président Bachar El-Assad construisait illicitement pour tenter de contrebalancer la puissance d'Israël. De son côté, Jérusalem n'a jamais confirmé avoir attaqué le site. Mais ce qu'on sait moins à propos de ce raid : le - supposé - recours par Israël de la guerre électronique pour neutraliser les systèmes de défense aérienne de la Syrie qui constituent une ligne de sécurité le long de sa frontière contre les raids israéliens.
Deux mois après l'opération, Aviation Week publie une histoire intitulée "Les prouesses électroniques d'Israël". Selon l'article, le système de guerre électronique de Tsahal était parvenu à désactiver toute la défense aérienne syrienne, le temps que les avions de chasse israéliens s'infiltrent au cœur du pays, bombardent leur cible et repartent. Bien évidemment, Israël n'a jamais confirmé l'utilisation de guerre électronique ou de réseaux lors de la frappe de 2007, tout comme il n'a jamais publiquement confirmé que sa propre force aérienne était derrière le bombardement. Dans l'article cependant, Pinchas Buhris, ancien directeur général au ministère de la Défense à ce moment-là, admet qu'Israël a beaucoup investi dans le développement de ce type de capacités dernier-cri. "Vous avez besoin de telles potentialités", déclarait Buhris à l'époque.
"C'est irresponsable de ne pas y avoir recours. Et si vous êtes capables de les mettre en œuvre, il n'y a plus de limites". Pour le Lt.-Col. Oren, commandant de l'Escadron des Corbeaux du Ciel de Tsahal, unité responsable du développement et des opérations de la guerre électronique pour Israël, cette affirmation est plus que vraie.
"Perturber et neutraliser les défenses ennemies"
Dans une interview et une visite exclusives au cœur de l'escadron, la toute première pour un reporter civil, Oren offre un aperçu unique et rare des coulisses de l'action des forces aériennes. Les pilotes et les avions de chasse font bien souvent la une des journaux. Pendant que la guerre électronique fait office de grand oublié des médias. Alors que ces derniers temps elle est impliquée dans la plupart des opérations, ne serait-ce que pour aider les avions à se rendre où ils le doivent sans être détectés.
La mission de l'escadron est assez simple, selon Oren. "Aujourd'hui, le principal théâtre des opérations de l'aviation, c'est la menace que constituent les systèmes avancés de missiles sol-air en territoire ennemi", explique-t-il. "Notre objectif est d'activer nos propres systèmes pour perturber et neutraliser ceux de l'ennemi". L'Escadron des Corbeaux du Ciel se situe de l'autre côté de la base aérienne de Tel Nof, non loin de Rehovot. Le quartier général est bâti sur le modèle de la plupart des quartiers généraux de Tsahal, en forme de U, avec des bureaux alignés de chaque côté. Tous les membres du personnel portent des combinaisons de saut. Même s'ils ne sont pas pilotes. Certains d'entre eux ont aussi commencé, sans finir, l'école des pilotes d'élite de l'armée.
L'importance des systèmes de guerre électronique au sein de l'armée de l'air a considérablement augmenté ces dernières années, les ennemis d'Israël développant des appareils de défense aérienne de plus en plus sophistiqués. L'Iran a essayé de convaincre la Russie de lui fournir des S-300, l'un des systèmes sol-air les plus avancés au monde. La Syrie a récemment reçu de nouveaux systèmes russes et il semblerait que le Hezbollah et le Hamas possèdent un nombre significatif de missiles portables sol-air de courte portée.
N'importe quelle future opération de Tsahal en Syrie, au Liban, à Gaza ou en Iran nécessitera l'activation des systèmes de guerre électronique pour s'assurer que les avions de Tsahal arrivent indemnes à destination, larguent leurs bombes sur l'objectif désigné et retournent à leurs bases.
Les capacités de ces systèmes se divisent en deux catégories. D'un côté, le blocage des communications. De l'autre, l'interruption des systèmes radar pour éviter qu'ils détectent puis suivent les avions. La devise de l'escadron : "Ils ne doivent pas nous entendre ; ils ne doivent pas nous voir."
Selon Oren, l'escadron se base sur trois composantes essentielles : le renseignement, la technologie et les ressources humaines, les hommes et les femmes qui font fonctionner les systèmes.
Des capacités technologiques "top secret"
C'est le Centre des Renseignements de l'armée de l'air qui fournit les informations. Il étudie la défense aérienne et les systèmes radar de l'ennemi, puis transmet les données à l'escadron. Ensuite, les industries de défense d'Israël entrent en jeu et, en coordination avec l'escadron et le Commandement de l'Equipement, développent les systèmes nécessaires.
Les capacités technologiques sont décrites comme "top secret" et seules quelques personnes triées sur le volet au sein des industries et de l'armée de l'air connaissent leur fonctionnement. Comme l'explique Oren, même les plus proches alliés n'échangent pas d'informations sur leurs systèmes de guerre électronique respectifs. Un exemple : la récente décision d'Israël d'acquérir le F-35 Joint Strike (JSF), un avion de chasse furtif de la cinquième génération. Malgré des années de négociations, Israël n'a pas reçu l'accord du Pentagone d'installer son propre système de guerre électronique sur l'avion, en lieu et place du système américain. Résultat, il est simplement "greffé" comme une sorte de supplément au système déjà existant