Par Myriam Esther
Pour aschkel.info et lessakele
Oublier c'est se choisir complice », disait Elie Wiesel
« Et je leur donnerai un nom impérissable », Isaïe 56.5
« La Mémoire est la racine de la délivrance comme l’oubli est celle de l’exil » Israël Baal Chemtov (1700-1760, fondateur du hassidisme)
« Notre bonne mémoire, c’est le seul lien qui retient hors du néant les voyageurs fantômes des convois de la mort (...) », Vladimir Jankélévitch
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Du décret signé par le maréchal Pétain le 4 octobre 1940, autorisant l'internement dans des camps spéciaux des « ressortissants étrangers de race juive », jusqu'à la circulaire du 13juillet 1942, véritable « plan de guerre » du préfet de police de Paris qui détaille minutieusement la vaste opération d'arrestations et de rassemblement des Juifs étrangers de lacapitale, les actes officiels antisémites et les différentes mesures de restriction se multiplient.
Les 16 et 17 juillet 1942, à Paris et sa banlieue, ce sont 18 884 personnes qui sont arrêtées par la police française. Parmi elles, figurent 4051 enfants de 2 à 16 ans dont 3000 nésen France et de nationalité française.
Au vélodrome d’hiver, jusque-là temple du sport, des milliers d'êtres humains tentent de survivre pendant plusieurs jours dans les pires conditions qui soient : pas de couchage, aucun ravitaillement, absence d'eau, hygiène inexistante... Les juifs se retrouvent pris au piège : une poignée réussira à faire évader des enfants, beaucoup se laisseront mourir et le plus grand nombre sera déporté vers le camp d'extermination
d'Auschwitz.
Le document veldhiv eeif Myriam Esther Aschkeletgad
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Vincennes, 1942 : cent " disparus "
Il avait quatorze ans à peine, sa soeur Jenny, seize, le jour où "ils" sont venus. Témoin"atrocement privilégié", il continue de questionner l'histoire. Elle le renvoie à la sienne propre : Vincennes, 1942, 16 juillet. Si les finances familiales excluaient tout projet de voyageau-delà du bois, c'était quand même les vacances, les enfants mangeaient à leur faim. "Ils sontvenus". Pas les Allemands. Toute la famille portait alors l'étoile jaune depuis "quarante jours",la durée, dit-on, du Déluge.
Cinq heures du matin n'avaient pas sonné quand la police de Pétain s'est mise à cogner du poing sur la porte du logis : vingt-cinq mètres carrés d'une maison des années trente ; non loin du bois d'où, dit-on, parfois sortent les loups. Mais ceux-là venaient de la ville.
Maurice Rajsfus : "Le problème, pour mes parents comme pour tous les Juifs immigrés et une grande
partie des Juifs français, c'est qu'en octobre 1940, après la première ordonnance allemande
obligeant les Juifs de la zone occupée à se déclarer dans les commissariats, ils ont obéi.
Pourquoi ? La réponse est simple : rien n'est pire, pour un étranger, que d'être en rupture avec
la légalité. Ils ne pouvaient se soustraire, parce qu'ils étaient connus et reconnaissables, ne serait-ce qu'à leur accent : mon père avait fui la Pologne en 1923. Ils ont obéi, parce que ne pas se déclarer, cela voulait dire se cacher, avoir de l'argent (mon père travaillait sur un chantier de travaux publics, depuis qu'on lui avait interdit, en tant que Juif, de tenir son commerce sur les marchés) ; se cacher, ça voulait dire changer d'identité, de localité. Ils ont obéi, parce qu'en octobre 1940 tout le monde, à peu près, avait le sentiment qu'on en avait prispour cinquante ans. Le malheur, c'est que cette déclaration a permis de constituer des listes qui, à leur tour, ont permis les arrestations de mai 1941, puis la rafle du Vél' d'Hiv'. Les nazis avaient demandé aux responsables de la collaboration de se saisir de 35 000 Juifs étrangers.
Pour tenir le chiffre, par zèle, ces responsables ont fait embarquer les enfants, ce qui ne figurait pas dans l'ordonnance nazie. "C'est ainsi qu'à Vincennes plus d'une centaine de personnes "disparurent" du jour au lendemain. On les entassa quelques heures dans un petit pavillon, sorte de "camp de concentration miniature", avant de les expédier à Drancy, direction Auschwitz. Pour Maurice Rajsfus, ce fut comme si sa mère avait une seconde fois mis au monde, un autre monde, ses deux enfants : "C'était un centre de regroupement secondaire. Nous y avons passé la journée. Puis un gradé a dit que les enfants de plus de quatorze et de moins de seize ans pouvaient sortir. Ma mère nous fit comprendre qu'il fallait y aller. Son intuition fit que, sur la trentaine d'enfants entassés là, ma soeur et moi nous fûmesles seuls à ressortir. Nous sommes partis comme poussés dehors, avec le pressentiment que mieux valait prendre du champ, et vite... De retour au logement, j'ai voulu récupérer les clés.
La concierge n'y était pas. J'ai grimpé à l'étage, trouvé la porte ouverte, la concierge était chez nous. Elle "faisait" les placards.
C'est ainsi qu'à l'automne 1944, le lycéen Maurice Rajsfus ne retrouva pas les bancs d'une classe. Apprenti joaillier, il passa des billes de verre colorées aux pierres précieuses, ce qui n'était pas précisément sa vocation ; tandis que Jenny, sa soeur, poursuivait des études qui, évidemment, ne rapportaient pas un centime de salaire... Plus tard, en 1980, il se mit à écrire.
Un nombre assez impressionnant d'ouvrages. Dans les trois derniers publiés, il relate des souvenirs, retourne des archives. Au registre des bons souvenirs, citons une belle tranche degruyère reçue en pourboire et une rencontre avec l'acteur Michel Simon.
Parmi ceux qui tiennent du cauchemar, il faut citer le jour où il croisa le chemin d'un diamantaire antisémite (Maurice portait toujours l'étoile jaune), qui finit, en guise de " cadeau de Noël ", par écraser sur le crâne de l'adolescent affamé un oeuf ; et cet autre jour où un " bon Français ", avisant son insigne, lui ordonna de quitter la voiture du métro dans laquelle il s'était engouffré, pressé, pour monter dans la dernière, réservée aux Juifs.
Citons, enfin, le crachat reçu d'un officier allemand inconnu, en pleine rue. Maurice Rajsfus, aujourd'hui : "Celui-là, il était plus dans son rôle que le salaud de lapidaire avec son oeuf !" Il évoque aussi la commande reçue un jour par son patron pour une dizaine de bagues en platine ornée de croix gammées en saphirs... Ça réveille en lui sa colère contre les acteurs économiques et industriels profiteurs de guerre : "Ils faisaient comme si la guerre n'était pas passée par là, comme si les Allemands n'étaient pas là. J'ai retrouvé un document par lequel une célèbre entreprise textile offrait ses services pour la production de 5 000 mètres de tissu destiné à la confection des étoiles jaunes.
J'ai aussi retrouvé trace du fondeur qui prépara la forme, et celle de l'imprimeur. Alors que le travail de nuit était interdit sous l'Occupation, j'ai mis la main sur une demande de dérogation envoyée par ces gens-là, pour cause de " commande urgente " !...
Maurice a une pensée particulière pour les personnes qui, non juives, ont porté l'étoile, en signe de solidarité, et se sont retrouvées à Drancy, avec une véritable étoile jaune cousue sur leur vêtement, assortie de la mention "amis des Juifs" : "C'était un acte véritable de résistance !
L'un d'eux, Michel Reyssat, m'a prêté un portrait de lui réalisé à Drancy, au mois d'août 1942, par un artiste, David Brainin, disparu en déportation". Évidemment, Maurice Rajsfus ne porte pas la police française dans son coeur : "Ils ont volé des années de vie à mes parents.
Tous ont participé aux rafles quand ils étaient requis. Pratiquement pas un seul n'a démissionné. Si la police française ne s'était pas mise aux ordres, jamais il n'y aurait eu autant de dégâts. Il y a eu 250 000 déportés de France, dont 76 000 Juifs, les autres étant, pour l'essentiel, des communistes et des gaullistes... Et que dire de ce policier qui, rendant compte àla préfecture de sa mission, ose écrire, le 22 juillet : "Le Vel' d'Hiv' est évacué. Il restait 50Juifs malades et des objets perdus, le tout a été transféré à Drancy. "Maurice Rajsfus a aussi des colères présentes". On commémore, certains à tour de bras, mais on oublie. Surtout, on évite de tirer les leçons, de voir ce qui se passe aujourd'hui. Il y en a, ce qui les intéresse, c'est un certain passé, mais pas le présent. Cela dit sans nier les spécificités". Maurice Rajsfus continue de questionner l'histoire. Passionnément. Depuis 1942. Ses questions peuvent se résumer en une seule : " M'man, p'pa, pourquoi ?". Elle a des tas de réponses. Aucune n'épuise la question.
Maurice Rajsfus, historien
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Le train fantôme
Ce train qui nous balance
Hors du temps
Hors de nos existences
Ce train qui fait des kilomètres
Sur place
Voyage sur nos nerfs.
Ce train qui nous assoiffe
Dans un désert réduit
Où s’égouttent des vies.
Ce train qui roule
Sur des rails
Qui nous raillent.
Ce train d’odeurs de peur
Qui sue l’urine
Comme des larmes sans yeux.
Ce train dans un cerveau
Ces cerveaux dans un train
Sans station et sans fin
Ce train pour rejoindre
Le nombre des silences
Après arrêt complet.
Train fou d’où vont descendre
A quai
Les morts.
Ce train enfin s’arrête
Au bout du monde
Pour disparaître avec nous. André MIGDAL (Compiègne, 1944)
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Si c’est un homme
N’oubliez pas que cela fut
Non, ne l’oubliez pas ;
Gravez ces mots dans votre coeur
Pensez-y chez vous, dans la rue,
En vous couchant, en vous levant
Répétez-les à vos enfants
Ou que votre maison s’écroule
Que la maladie vous accable
Que vos enfants se détournent de vous.
Primo Lévi
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Je trahirai demain
Je trahirai demain pas aujourd’hui
Aujourd’hui arrachez-moi les ongles,
Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage.
Moi je sais.
Vous êtes cinq mains dures avec des bagues.
Vous avez aux pieds des chaussures
Avec des clous.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
Demain.
Il me faut la nuit pour me résoudre,
Il ne me faut pas moins d’une nuit
Pour renier, pour abjurer, pour trahir.
Pour renier mes amis,
Pour abjurer le pain et le vin,
Pour trahir la vie,
Pour mourir.
Je trahirai demain, pas aujourd’hui,
La lime est sous le carreau,
La lime n’est pas pour le barreau,
La lime n’est pas pour le bourreau,
La lime est pour mon poignet.
Aujourd’hui je n’ai rien à dire,
Je trahirai demain.
Marianne Cohn (novembre 1943)
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Le violon de ma mère depuis la guerre s’est tu
Est-ce le signe d’un deuil ? Je ne l’ai jamais su.
Si ce n’est d’un parent la trop sinistre mort
Que ses cordes à jamais en se taisant déplorent
C’est qu’un amour abstrait pour toujours s’est éteint
C’est tout celui d’un peuple aux malheurs lointains
Et ce violon célèbre six millions de fois
L’éternel silence de six millions de voix.
Francis Lesten
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Tout homme a un nom
Tout homme a un nom
Que lui a donné Dieu
Et que lui ont donné son père et sa mère
Tout homme a un nom
Que lui ont donné sa stature et le dessin de son sourire
Et que lui a donné le désir
Tout homme a un nom
Que lui ont donné les montagnes
Et que lui ont donné les murs de sa maison
Tout homme a un nom
Que lui ont donné les constellations
Et que lui ont donné ses voisins
Tout homme a un nom
Que lui ont donné ses fautes
Et que lui a donné sa nostalgie
Tout homme a un nom
Que lui ont donné ses ennemis
Et que lui a donné son amour
Tout homme a un nom
Que lui ont donné ses fêtes
Et que lui a donné son oeuvre
Tout homme a un nom
Que lui a donné les quatre saisons
Et que lui a donné son aveuglement
Tout homme a un nom
Que lui a donné la mer
Que lui a donné
Sa mort...
Zelda (poétesse israélienne)