LE SIONISME A L'EPREUVE DU STATUT DES MINORITES EN ISRAEL
par Haïm Ouizemann
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«A l'Etat d'Israël d'être un Etat exemplaire… l'Etat d'Israël sera jugé non point sur sa richesse, son armée et sa technique mais sur l'éthique de son régime et ses valeurs humanistes» (David Ben Gourion)
Trois cent rabbins influents ont apposé leur signature au bas d'une lettre-pétition prohibant la location et la vente d'appartements aux Arabes. Cette initiative ne contredit-elle point l'éthique hébraïque de tolérance face à l'étranger (Guer toshav), le non-Juif qui habite en Israël?
Constitue-elle une violation des valeurs sionistes ou bien au contraire leur renforcement?
La légitimité, voire même la légalité d'une telle lettre se pose aux Juifs israéliens alors que la Déclaration d'Indépendance rappelle l'importance du respect du droit des minorités: «il (l'Etat d'Israël) assurera une complète égalité de droits sociaux et politiques à tous ses citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe; il garantira la pleine liberté de conscience, de culte, d'éducation et de culture».
Cette lettre suscite une très vive opposition dès sa publication, d'une part en renforçant l'opinion de certains Arabes selon laquelle la présence juive en Israël constitue un illogisme historique et moral et d'autre part en provoquant au sein du peuple juif en Israël une grave division, remettant ainsi en question l'entreprise héroïque du Sionisme.
Deux figures emblématiques du sionisme révisionniste se déclarent pour le plein respect des droits des minorités en Israël: Menahem Begin, alors commandant du Etzel prononce ces paroles historiques:
«Le gouvernement aura le devoir de sauvegarder les droits de l'homme et du citoyen, sans discrimination ni partialité; il respectera les principes de justice et de liberté et notre foyer sera illuminé par la lumière de l'amour fraternel et la fraternité en Israël» (1).
Avec lui, Jabotinsky, le père du sionisme révisionniste, écrit, au sujet du Programme Helsingfors (2):
«Nous l'avons rédigé non point uniquement pour les Juifs, mais aussi pour tous les peuples; son fondement est l'égalité des droits pour les peuples. Comme tous les Juifs, je suis disposé à prêter serment en notre nom et au nom de nos descendants que jamais nous n'annulerons cette égalité de droits et que nous ne ferons rien pour les expulser ou les opprimer (Les Arabes)…Cela est mon credo» (Article «le Mur de fer»).
Israël, un Etat de Droit
Shimon Peres et Benyamin Netanyahou expriment chacun à leur manière leur vive désapprobation au sujet de la lettre des rabbins. Shimon Peres, Président de l'Etat d'Israël, explique que celle-ci «crée une crise morale fondamentale dans l'Etat d'Israël qui touche à son essence et à sa nature en tant qu'Etat juif et démocratique… Je ne vois aucune contradiction entre démocratie et judaïsme.
Chaque homme a été créé à l'image de D.ieu, c'est un des principes du Judaïsme et la base de la démocratie… J'appelle à respecter le véritable caractère, démocratique, juif et égalitaire de l'Etat d'Israël. Cela touche à notre vie».
Dans le même ordre d'esprit, le Premier ministre Benyamin Netanyahou déclare: «Qu'aurions-nous ressenti si l'interdit de vente d'appartement s'était appliqué aux Juifs ? Nous nous serions révoltés… Il est donc interdit que de tels propos soient énoncés dans un Etat démocratique et tout particulièrement dans un Etat juif et démocratique respectueux de la morale tirée de la tradition d'Israël et de la Bible».
Quant à l'Institut Yad VaShem, le Mémorial de la Shoah, il déclare: «l'expérience du passé nous enseigne combien les valeurs fondamentales de coexistence et de respect d'Autrui sont importantes et fragiles. Nous savons que le peuple juif a souffert de pogroms, de rejet et du déni de droits».
Ce sont ces mêmes droits que la Haute Cour de Justice, en Israël, entend sauvegarder, réaffirmant ainsi, les termes de la Déclaration Balfour (1917) stipulant que «rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine».
Fidèles à cette promesse, les fondateurs de l'Etat d'Israël se sont inquiétés de créer une entité juive souveraine en Israël sans pour autant nier les droits des minorités. Bien que non inscrit explicitement au cœur de la loi fondamentale «Dignité et Liberté de l'homme» (1992), le principe d'égalité en constitue, toutefois, d'après la jurisprudence israélienne, le prolongement naturel.
.L'arrêt Kahana:
Le 18 octobre 1988, le Comité électoral central de la Knesset décide, par un arrêt historique, d'évincer la liste «Kach» dirigée, alors, par le Rav Kahana. Elu député à la onzième Knesset, il se voit cependant contraint de rendre son mandat après le vote de la loi contre le racisme en 1984. La raison majeure de l'éviction de la liste réside dans l'incitation à la haine raciale: «le motif d'ériger l'Etat d'Israël comme l'Etat du peuple juif» ne peut en rien justifier «l'incitation à la haine… et permettre le racisme». Citant le juge Menahem Elon, Meïr Shamgar, juge de la Cour Suprême de Justice, s'inspire largement de la tradition hébraïque: «La minorité nationale … est définie d'après la Halacha (jurisprudence juive) qui lui reconnaît le statut de Guer Toshav (non-Juif habitant Israël)» et à ce titre «doit jouir de tous les droits civiques et politiques identiquement au reste de la population du pays: «Si ton frère vient à déchoir, si tu vois chanceler sa fortune, soutiens-le, fût-il étranger et nouveau venu, et qu'il vive avec toi» (Lév. 25, 35); les principes fondamentaux directeurs au sujet du rapport de l'Etat hébreu à l'égard de tous ses citoyens se rattachent au monde de la Halacha: «Ses voies sont des voies harmonieuses, et tous ses sentiers sont paix. L’Eternel est bon pour tous, sa pitié s’étend à toutes ses créatures» (Psaumes 145,9)» (Maïmonide, Melakhim 10, 12 d'après Proverbes 3,17)».
Si cet arrêt protège, certes, les droits des minorités, ces dernières ont à honorer un devoir de fidélité à l'égard de l'Etat hébreu sioniste et, donc, d'être soumises à la loi.
Israël, un Etat hébreu et sioniste
. Le village de Péki'in: une présence juive bimillénaire
Une petite dizaine de familles juives, ayant essayé de cohabiter pacifiquement parmi les Arabes musulmans (2%), chrétiens (28%) et Druzes (70%), dans le respect des traditions de chacun, se voit contrainte d'abandonner le village, après l'incendie de ses maisons en octobre 2007, précédé par des attaques incessantes et sauvages de bandes d'Arabes, des vols multiples, la destruction de ses biens et véhicules, sans compter trois attaques à la grenade.
Lors de ces émeutes, ces Juifs furent sauvagement expulsés de leurs propres habitations.
Seule, Margalit Zinati reste l'unique habitante juive de Péki'in, comme un tison sous la cendre prêt à s'éteindre. La violence de ces émeutes n'est pas sans rappeler les pires moments de l'histoire juive et particulièrement les pogroms de Hébron et de Safed en 1929 (3). I
nutile de rappeler qu'aucun des responsables n'a comparu devant la justice israélienne, bénéficiant d'une inique impunité.
Où sont donc passés les donneurs de leçons d'éthique?
Existerait-il une double morale ?
Si l'on estime que le mouvement «Kach» fut très justement, alors, écarté de la vie politique pour cause de racisme, pourquoi les autorités israéliennes officielles, la presse et la Cour Suprême, ne dénoncent-elles point, respectivement, cet ostracisme arabe à l'encontre de Juifs pacifiques?
Le village de Péki'in, perdu en Haute Galilée, non loin de Ma'alot, constitue avec ses cinq mille habitants, un symbole de la continuité de la présence juive en Israël depuis l'époque du Second Temple.
Les familles juives, toutes chassées de Péki'in, lors de la Grande Révolte arabe (1936), n'y seront réintégrées qu'après l'Opération 'Hiram (Octobre 1948) libérant la Galilée de l'occupation arabe.
Aujourd'hui, les autorités arabes de Péki'in se refusent encore obstinément à réintégrer les familles juives après leur expulsion en 2007.
Une lutte politique
Il semble que cette lettre maladroite (4) soit contraire au rêve sioniste de Ben Gourion et Zeev Jabotinsky d'une possible entente avec les minorités, à l'éthique juive et au droit israélien.
Le principe de la démocratie défensive
Tout d'abord, il s'agit de poursuivre les efforts sur le plan politique pour démontrer combien l'idéologie des partis arabes au sein de la Knesset représente un réel danger pour la démocratie israélienne.
En 1965, le parti arabe israélien «la liste des Socialistes» fondé à partir du mouvement «Al-Ard» (en arabe: «la terre») tente d'obtenir le droit de se présenter aux élections de la sixième Knesset. «L'arrêt Yardour» permet de reconnaître l'illégalité de ce parti qui n'admet pas l'existence de l'Etat d'Israël (5).
Le Président du Comité central électoral de la Knesset et ancien juge de la Cour Suprême, Moshe Landau crée, alors, le principe de démocratie défensive. Ce principe fondamental, reconnu dans nombre de pays européens (Loi Gayssot en France-1990) admet la limitation d'un certain nombre de droits liés à la liberté d'expression et de réunion lorsque celles-ci menacent directement ou indirectement les fondements démocratiques du dit pays.
Mohammed Miari, ex-membre du mouvement de «la jeunesse arabe pionnière» fondé par deux mouvements sionistes socialistes, le Mapam et le Mouvement du Shomer HaTsaïr afin de combler le fossé entre communautés, et candidat de la «liste progressive pour la paix», tente sa chance à la députation, après avoir échoué aux élections de 1965. Mohamed Miari est élu en 1984 (onzième Knesset) et en 1988 (douzième Knesset).
Le Comité central électoral déclare majoritairement à deux reprises l'illégalité du parti antisioniste. Cependant, la Cour Suprême se prononce, en contradiction avec la loi votée à la Knesset, en faveur du racisme antisémite sous couvert d'anti-israélisme de ce parti.
Celui-ci, fidèle à ces mêmes principes, soutiendra haut et fort l'Irak lors de la première guerre du Golfe, alors qu'au même moment, invoquant ce même principe de racisme, elle déboute le Rav Kahana de tout droit à l'éligibilité, le racisme étant interprété semble-t-il unilatéralement. Il faut rappeler à cette occasion que l'idéologie du parti arabe Balad, représenté à la Knesset par trois députés, prône un Etat d'Israël pan-arabique, le retour de tous les réfugiés palestiniens et le démantèlement de tous les organes sionistes fondateurs de l'Etat hébreu.
Quant au parti Ra'am-Ta'al, intrinsèquement antisioniste et antisémite, son enracinement et son affiliation historique au «Mouvement islamique» fondamentaliste ne peuvent être niés. Le «Mouvement islamique» connaît un franc succès grâce sa double collaboration: tout d'abord, celle conclue avec le «Grand Mufti de Jérusalem» Hadj Amin al-Husseini qui se lie d'amitié, dès 1941, avec Hitler dans le but avoué d'exterminer les Juifs d'Erets-Israël et freiner le dessein sioniste d'un foyer en Palestine; celle ensuite conclue avec le Haut Comité arabe qui, fondé en 1936, lors de la Grande Révolte arabe, s'empresse d'imposer l'arrêt de l'Alya juive et de toute vente de terres aux Juifs.
C'est ce même comité représentant officiel des Arabes du Mandat britannique radicalement opposé à tout compromis qui rejette en bloc le Plan de partage de la Palestine (1947).
Comment la Cour Suprême de Justice autorise-t-elle donc deux partis antisionistes niant aussi clairement les fondements de l'Etat hébreu à se présenter à la Knesset malgré l'avis diamétralement contraire à celui du Comité central électoral? La question reste posée.
. Le modèle sioniste:
- Achat de terres et implantations:
Alerté par le soutien du Fonds National Juif (KKL) au projet de la nouvelle ville palestinienne Rawabi prévue au nord de Ramallah, Arié King décide de créer, en 2008, le Fonds israélien d'achat des terres (Israël Land Fund).
Cette initiative, alternative au KKL, a pour but, dans le respect de la légalité, de racheter les terres et les habitations aux Arabes à Jérusalem, en Galilée et dans la région du Néguev. Arié King, fidèle à l'esprit de l'entreprise sioniste de Yéhoshoua Henkine (1864-1945) qui voua sa vie entière à la délivrance des terres («Gueoulat admot Israël»), ne peut tolérer que cette vision initiale, principe directeur du Fonds National Juif, soit aujourd'hui bafouée: «Les buts historiques du KKL sont le développement des terres d'Israël, l'amélioration de l'environnement et l'épanouissement des valeurs sionistes au nom et en faveur du peuple juif».
La ville palestinienne de Rawabi devrait s'étendre sur près de 6300 hectares et compter environ 40 000 habitants. Rappelons tout de même que le KKL, en 2005, décide de planter une forêt dans une des zones désertiques de Beer Sheva, revendiquée par les Bédouins du Néguev.
Ceux-ci, originaires du village d'Al-Araqib, ne pouvant accepter l'action du KKL «dans le but de sauvegarder les terres nationales», symbole de l'implantation juive, déboutés de leur requête, vont recevoir en mars 2010 le soutien du Haut Comité chargé des citoyens arabes israéliens, connu pour nier le caractère juif de L'Etat d'Israël.
L'application de la décision juridique de détruire les habitations illégales d'Al-Araqib, devrait prendre valeur d'exemple pour les dizaines d'autres implantations bédouines illégales où vivent près de 70 000 Bédouins.
L'achat de terres et d'habitation est une stricte affaire intérieure à Israël: l'acquisition en toute légalité de l'Hôtel Shepherd où dans les années 1920 séjourna al-Husseini, le Mufti de Jérusalem, par Irving Moskowitz, au grand dam des nations, s'inscrit dans la logique de la libération des terres par le peuple juif: «Nous ne croyons pas au droit de la force mais à la force du droit» (M. Begin). Il en va de la souveraineté d'Israël et de son respect par les minorités.
Certes, la lettre des rabbins a fait couler beaucoup d'encre, mais n'oublions point que le contexte historique et le silence de certaines organisations «bien pensantes» de la gauche post-sioniste si promptes à soutenir des mouvements et partis antisionistes y ont grandement contribué.
(1) Discours lu après la signature de la Déclaration d'Indépendance de l'Etat d'Israël en 1948.
(2) Ce programme, conçu lors la Conférence d'Helsinki (4-10-1906) développe l'idée de «Sionisme synthétique» associant sionisme politique et pratique. On y débat également du droit civique des minorités juives particulièrement en Europe orientale. En 1936, le Congrès Juif Mondial est chargé de sauvegarder ces droits à travers le monde.
(3) L'antique communauté juive de Hébron fut totalement décimée par les Arabes encouragés par la totale indifférence des forces britanniques. De même, le 28 août 1929, le quartier juif de la ville de Safed fut mis à feu et à sang par la foule arabe.
(4) Sur l'avis du Rav Haïm Druckman et du Rav Ya'akov Ariel de Peta'h Tikva, le Rav Schmouel Eliahou se trouve contraint de publier une seconde lettre modérant ses propos en déclarant: «nous nous démarquons de ce qui a pu être compris dans la dernière lettre, à savoir qu'il y aurait lieu de discriminer des citoyens non Juifs… l'Etat d'Israël doit considérer chacun de ses citoyens comme égaux. Cette approche est ancrée dans la torah d'Israël et les lois de l'Etat».
(5) Loi fondamentale de la Knesset: «la liste des candidats ne pourra pas participer aux élections législatives à la Knesset, si ses buts ou ses actes, explicitement ou implicitement, nient d'une part l'existence de l'Etat d'Israël en tant qu'Etat du peuple juif et d'autre part son caractère démocratique» (alinéa 7 a)