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Les Druzes
Kamal Mansour – Fonctionnaire extraordinaire
Par GREER FAY CASHMAN
Adaptation française de Sentinelle 5770 ©
Le lauréat du Prix Israël pense que « la haine et l’hostilité entre les gens ou entre les nations ne doivent pas être éternelles ».
Le personnage génial, aux manières douces, de Kamal Mansour est discret sur l’énorme influence qu’il exerce. Mansour, qui célèbre ce mois-ci le 40ème anniversaire de sa nomination par le troisième président d’Israël, Zalman Shazar, comme conseiller pour les communautés minoritaires, a continué de servir sous les présidents Ephraim Katzir, Yitzhak Navon, Chaim Herzog, Ezer Weizman, Moshe Katsav et Shimon Peres.
En reconnaissance des immenses services qu’il a rendus à l’Etat d’Israël, il a été désigné comme l’un des récipiendaires de la récompense d’une vie entière de réalisations, attribué à la Cérémonie du Prix Israël, évènement traditionnel de clôture à Jérusalem des célébrations du Jour de l’Indépendance.
Bien qu’il ait marqué de nombreuses réalisations, telles que avoir été le premier Druze à siéger au conseil d’administration de la Corporation d’Electricité d’Israël, le premier Druze à siéger au bureau des gouverneurs de l’Université de Haïfa et à l’Université Ben Gourion du Negev, et le premier Druze à être membre de l’Autorité de Télédiffusion d’Israël, voilà une occasion où il n’inaugurera pas un précédent comme le premier non juif à être honoré.
D’autres lauréats non juifs comprennent Zubin Mehta, le chef de l’Orchestre Philharmonique d’Israël, pour qui une exception spécifique fut faite, parce qu’il n’est pas citoyen d’Israël ; l’acteur Makram Khouri, le dirigeant circassien Aladin Haukai, le dirigeant druze Sheikh Amin Tarif (avec qui Mansour a travaillé de façon très proche pendant 20 ans), le théologien, le père Patrick Dubois, et le poète arabe controversé Emile Habibi.
Et puis encore, si l’on considère la petite taille de la communauté druze en Israël, avec moins de 120.000 âmes, avoir deux membres de la communauté choisis pour le Prix Israël est une remarquable contribution.
De même, les Druzes ont une représentation élevée disproportionnée – quatre membres – à la Knesset actuelle, chacun d’entre eux représentant un Parti différent. Ayoub Kara, ministre adjoint du développement du Negev et de la Galilée, et un membre du Likoud. L’ancien ministre adjoint des affaires étrangères Majallie Whbee est un membre de Kadima, Hamed Amer est sur la liste ‘Israel Beteinou’, et Said Safa est un membre du Parti Balad.
Quand Shazar lui a proposé un poste pour la première fois, Mansour, qui est né et vit dans le village druze de Usfiya, a décliné, expliquant qu’il devait s’occuper d’une grande famille et que la distance était trop importante. Le voyage d’Usfiya à Jérusalem et retour prenait plus de cinq heures à l’époque.
« Vous refusez une demande du Président ? » dit Shazar.
Mansour, élevé dans le respect de l’autorité, n’avait pas d’autre choix que d’accepter l’offre de Shazar, mais stipula qu’il ne le ferait qu’à la condition de ne pas être obligé de déménager à Jérusalem, ni de faire le voyage d’Usfiya chaque jour. Shazar accepta – et le reste est de l’histoire.
Quand Katzir devint président, il dit à Mansour qu’il avait entendu tant de choses positives à son sujet qu’il voulait le garder. Navon, qui connaissait Mansour et lui avait rendu visite dans sa maison, voulut aussi le retenir, comme Herzog et Weizmann, qui l’avaient visité dans leurs précédentes fonctions.
Mansour et Peres se connaissent aussi depuis des années, et le maintien traditionnel de Mansour ne posait pas de question. En fait, il alla un peu plus loin, avec le gendre de Mansour, le Brigadier Général Hasson Hasson, qui est le premier Druze nommé auxiliaire militaire du Président de l’Etat.
Les Druzes sont réputés pour leur hospitalité, et l’utilisent souvent comme moyen de soulager des tensions. Mansour ne fait pas exception, et sa maison sur le Mont carmel est presque devenue un lieu de pèlerinage. Des chefs d’Etat, d’importantes personnalités politiques, des universitaires, des animateurs, des hommes d’affaires, des officiers de l’armée et d’autres d’Israël et de l’étranger sont venus chez lui. Tous les visiteurs signent un livre d’or, qui contient jusqu’à ce jour plus de 40.000 signatures.
Mansour, fils de Sheikh Najeeb Mansour, le premier maire d’Usfiya pendant le mandat britannique, dit qu’il a été nourri d’hospitalité. Son père dirigeait une maison ouverte et il fait de même. Il se souvient qu’à l’âge de sept ans, son père lui faisait réciter un poème arabe aux invités expliquant le bonheur qu’a le café à étancher leur soif.
Avant l’établissement de l’Etat, les Druzes s’abstinrent de prendre parti dans le conflit entre Arabes et Juifs, bien qu’ils aidèrent les Juifs à venir dans le pays illégalement.
« Nous avons vu les survivants de l’Holocauste se frayant un chemin dans l’eau vers la rive d’Atlit, et nous les avons amenés à pied sec pour leur donner nourriture et abri » dit Mansour.
Historiquement, les Druzes n’ont aucune querelle avec les Juifs.
Mansour cite le Rabbi Benjamin de Tudela, qui voyagea vers la période 1165-67 et écrivit dans sa chronique que les Druzes étaient les habitants monothéistes des montagnes, qui croyaient en la réincarnation et dans l’éternité de l’âme, et partageaient de l’amitié avec les Juifs.
Mais la bonne volonté des Druzes envers les Juifs précède cela. Jethro, le beau-père et mentor de Moïse, est l’un des prophètes druzes les plus révérés.
Le 18ème chapitre du livre de l’Exode déclare que Jethro se réjouit pour tout le bien que le Seigneur avait fait pour Israël, qu’Il avait délivré des mains des Egyptiens. Plus loin dans le chapitre, Jethro conseille à Moïse la manière d’établir un système de juges, et le fondement de ce conseil est devenu une base universelle pour tous les systèmes judiciaires.
Ainsi, il n’est pas surprenant que les Druzes soient bien disposés à l’égard de Juifs.
Cela s’est manifesté dans une certaine mesure pendant la Guerre d’Indépendance de1948, où des Druzes ont combattu sur la base du volontariat avec les Forces de Défense d’Israël (Tsahal). Les Druzes n’étaient pas incorporés dans l’armée, mais s’ils l’étaient, ils se montraient de bons et courageux soldats. Beaucoup devinrent des officiers de haut rang, et payèrent même le sacrifice suprême dans les guerres d’Israël.
Mansour n’a pas fait son service dans Tsahal. « J’étais trop âgé à l’époque où cela devint obligatoire pour les Druzes de faire le service dans l’armée » explique-t-il. « Mais j’ai servi dans la réserve pendant 26 ans et 6 jours ».
Dans la suite immédiate de la Guerre d’Indépendance, il y eut beaucoup de confusion dans le pays, en particulier au sein de la population arabe. Beaucoup craignaient une espèce de vendetta israélienne. Tous étaient incertains de l’avenir.
Mansour réalisa vite que si rien n’était fait pour étouffer la peur, la situation serait hors de contrôle et pourrait allumer une autre guerre.
Aussi il entama une campagne d’information à lui tout seul, s’adressant à des groupes d’Arabes dans leurs villages et leur assurant que tout irait bien quand la poussière serait retombée.
Ses efforts pour soulager les craintes, apaiser les tensions et promouvoir la politique d’Israël parvint à l’attention du ministre des affaires étrangères, qui l’envoya en 1957 faire un tour d’interventions aux Etats-Unis, au Canada et en Europe. C’était le premier envoyé non juif du ministre. Plus tard, il fit une tournée de discours pour les obligations d’Israël. Ayant grandi sous le Mandat britannique, il avait appris l’anglais à l’école, et en plus de l’Arabe, il parle couramment l’hébreu. C’est un orateur éloquent, qui peut tenir un discours spontané d’une heure dans ces trois langues, sans notes.
En plus de son travail de conseiller de sept des neuf présidents d’Israël, Mansour est un écrivain prolifique, ayant écrit des livres et des articles, et il a aussi donné souvent des émissions radiophoniques et télévisées en Arabe.
C’est un auteur de discours doué, et son entretien avec le ‘Jerusalem Post’ a révélé qu’il avait écrit trois discours en Arabe pour l’un des plus grands et des plus fameux orateurs d’Israël, Abba Eban, en des occasions où ce dernier se rendait en Egypte. En dépit du don reconnu d’Eban pour les langues, Mansour avait une meilleure compréhension de la façon de parler aux Egyptiens et de ce qu’ils voulaient entendre, et il écrivit les discours de cette façon.
De même, il écrivit des discours en Arabe, ou il traduisit de l’Hébreu en Arabe pour le 5ème président d’Israël, Yitzhak Navon, même si Navon parlait couramment l’Arabe.
L’une des occasions remarquables dans ce domaine, ce fut quand Saad Mortada, le premier ambassadeur d’Egypte en Israël, présenta ses lettres de créance. Navon choisit de parler en Hébreu à Mortada, rappelle Mansour, qui était chargé de traduire les remarques du président en Arabe avec seulement la bonne dose de langage fleuri et de respect qui font partie du tissu de la tradition socio-culturelle arabe.
Navon était en accord avec les besoins des groupes minoritaires d’Israël, dont les dirigeants avaient l’habitude de venir au début de leurs fêtes pour recevoir la bénédiction du président. Mansour, qui avait dès le début amené des chefs arabes au jour d’ouverture annuel du président pendant la fête de Soukkoth [fête des cabanes], suggéra à Navon que si le procédé devait être inversé, ce serait perçu comme un geste très significatif. Navon n’avait pas besoin d’être convaincu et commença de rendre visite aux communautés druzes et arabes dans le pays.
Quand Mansour suggéra à Katsav, qui avait une relation de qualité avec les chefs des communautés arabes, qu’il devrait offrir un repas ‘d’Iftar’ pour briser le jeûne pendant le Ramadan, Katsav donna immédiatement son accord, et depuis lors, c’est devenu une tradition annuelle pour les dirigeants spirituels et laïcs des communautés arabes musulmanes de venir à Beit Hanassi pour un dîner d’Iftar. De plus, mais on prend soin de s’assurer que le menu comprend des mets familiers au palais arabe.
Mansour a non seulement conseillé les présidents sur les communautés minoritaires, mais il est aussi le représentant du président auprès de ces communautés, en particulier dans les époques troublées où des querelles sont survenues dans les juridictions religieuses ou civiles.
Au cours de la dernière décennie environ, Mansour s’est aussi consacré aux besoins des membres de l’Armée du Liban Sud (ALS) venus vivre en Israël avec leur famille proche après la guerre civile libanaise au cours de laquelle ils ont combattu à la fois l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et le Hezbollah. Au début, les personnels de l’ALS étaient traités comme de vrais héros, mais beaucoup eurent des difficultés à s’adapter et à trouver du travail en Israël.
Mansour était en mesure de s’identifier à cette situation difficile parce que tant de jeunes Druzes qui avaient achevé leur service militaire étaient restés au chômage des années. Le problème de l’emploi de l’ALS a été partiellement résolu par sa fille, Maha Mansour, juriste, qui parvint à obtenir du travail pour 150 d’entre eux dans la Compagnie Electrique d’Israël.
L’ancien Premier ministre Ariel Sharon, qui dans sa position de ministre de la Défense, avait eu une relation très étroite avec l’ALS, dit plus tard à Mansour que la capacité de persuasion de Maha Mansour avait grandement contribué la dette d’Israël envers l’ALS.
Quand le ministre de l’éducation Gidéon Sa’ar appela Mansour pour l’informer qu’il était le récipiendaire du Prix d’Israël, Mansour fut stupéfait. Il avait été engagé dans l’intégration communautaire et la construction de liens depuis si longtemps qu’il ne lui était jamais venu à l’esprit qu’il faisait quelque chose d’extraordinaire.
“Je n’ai jamais rien fait dans l’idée de gagner un prix, dit-il. Ce n’est pas comme si j’avais fait quelque chose de spécial ».
Le jury, présidé par l’ancien président de la Cour Suprême Meïr Shamgar, en décida autrement.
Il était tout naturel que Peres adresse à Mansour un lettre de félicitations, mais Mansour reçut aussi un appel téléphonique de congratulations de Navon, d’Aura Herzog (la veuve du sixième président d’Israël), et de Katsav. Mansour avait maintenu le contact avec les anciens présidents et leurs familles, les invitant chez lui et leur rendant visite.
Dans sa lettre à Mansour, Peres le félicitait pour sa compréhension en profondeur de la culture, des valeurs et des attitudes du monde arabe en général et des minorités vivant en Israël en particulier. Cette connaissance, écrivait Peres, avait permis à Mansour de contribuer au renforcement des relations entre l’Etat et ces communautés. Peres a félicité aussi Mansour comme « ambassadeur de premier ordre de l’Etat d’Israël » au cours de ses voyages à l’étranger pour expliquer les actions d’Israël et sa stratégie politique dans le monde dans son ensemble.
Au long des années, la question la plus fréquemment posée à Mansour par des personnes de diverses affiliations politiques, croyances et nationalités, c’est : « qu’est-ce qui motive cette loyauté passionnée et cet engagement à intégrer des communautés minoritaires dans le principal courant israélien ? »
Mansour en réfère bien sûr à Jethro, mais aussi qu’il d’autres similitudes entre les Druzes et les Juifs. Les Druzes n’acceptent pas de convertis dans leur religion, et alors que si les Juifs acceptent des convertis, les lois de conversion sont extrêmement contraignantes. Les Druzes découragent les mariages mixtes et la polygamie, comme les Juifs, et les deux religions interdisent la consommation de porc. Les Druzes croient dans la réalisation d’un monde meilleur, une terre plus humaine, et les Juifs croient dans le ‘Tikkun Olam’ – la réparation du monde. Les points communs dépassent de loin les différences.
En Janvier 2004, le chef spirituel druze Sheikh Mowfak Tarif a signé une déclaration appelant tous les non juifs à observer les Sept Lois Noachides de la Bible : prohibition de l’idolâtrie, du meurtre, du vol, de la promiscuité sexuelle, de se nourrir de la viande d’un animal vivant, et l’établissement d’un système légal équitable. Tout ces points et davantage font partie de la vision du monde personnelle de Mansour, et sont intégrés dans un livre qu’il a écrit en arabe sur ses pensées et perspectives personnelles. Il a présenté des exemplaires du livre à l’ancien président égyptien Anouar Sadate et au président actuel de ce pays Hosni Moubarak, chacun d’eux le considérant comme une source valable d’information et d’idées, et comme une importante contribution à toute bibliothèque.
« La haine et l’hostilité entre les gens ou entre les nations ne doivent pas être éternelles » dit Mansour, citant des exemples de pays qui ont aujourd’hui des relations cordiales après des décennies et même des siècles d’inimitié et de guerre. La chose importante, souligne-t-il, est d’apprendre comment observer, peser et absorber.
« Nous avons deux oreilles, pour entendre deux fois. Nous avons deux yeux, pour voir deux fois. Mais nous n’avons qu’une bouche. Le hic dans cette ère extraordinaire de communication, alors que nous pouvons avoir un contact instantané avec des gens partout dans le monde, c’est que beaucoup parlent, mais peu écoutent vraiment ».
L’importance de l’écoute ne peut être surestimée dit-il. « Si vous écoutez quelqu’un, vous pouvez ne pas résoudre le problème, mais vous apaiserez la tension et les soucis.
Mansour attribue une grande part du succès dans ses contacts avec les gens à son tempérament calme et à sa capacité d’écoute.
« Je n’ai jamais couru après l’argent, dit-il. Faire cela, c’est comme courir après son ombre. Vous ne l’attrapez jamais ».
A l’occasion, ses petits enfants demandent : « Qu’as-tu fait dans ta vie ? Où est l’argent ? ».
Réponse de Mansour : « J’ai fait quelque chose de plus important que de gagner de l’argent. J’ai bâti une bonne réputation ».