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18 décembre 2009 5 18 /12 /décembre /2009 11:36
Copenhague, Copenhague !!!!

Pour être dans "l'air" du temps, je vous propose un petit dossier en 4 parties sur le Judaisme et l'environnement 

 par le Dr. Manfred Gerstenfeld

Le judaïsme et l'environnement - Première partieLe judaïsme et l' "environnementalisme" moderne se rejoignent sur beaucoup de problèmes pratiques, mais les systèmes de valeur qui en constituent les fondements théoriques sont très différents. Leurs préoccupations respectives ne sont pas les mêmes; et ils ne tendent pas aux mêmes buts.

La tradition et la loi juives contiennent depuis des milliers d'années un système cohérent de protection de l'environnement. Le nombre de sources se référant à ce que l'on appelle aujourd'hui les problèmes " environnementaux " est considérable. Si l'on avait, il y a deux siècles, réuni toutes les lois juives applicables à l'environnement, on aurait obtenu le code de lois le plus avancé du monde, un code traitant d'une grande variété de domaines.

Le judaïsme et l' " environnementalisme " moderne se rejoignent sur beaucoup de problèmes pratiques, mais les systèmes de valeurs qui en constituent les fondements théoriques sont très différents. Leurs préoccupations respectives ne sont pas les mêmes; et ils ne tendent pas aux mêmes buts.

Plus les préoccupations environnementales s'écartent du pragmatisme pour rejoindre l'idéologie, plus s'éloignent l'un de l'autre ces deux modes de pensée. Le judaïsme est radicalement opposé à un " environnementalisme " pseudo religieux qui met l'accent sur un culte de la nature.
Pour le Juif, c'est là une version moderne du paganisme. L'essentiel pour le judaïsme, c'est la connaissance de D.ieu et l'obéissance à Ses commandements. Cela ne laisse aucune place à d'autres valeurs fondamentales.

COMMENÇONS PAR LE COMMENCEMENT
Le paradis biblique semble être exactement conforme à l'idée que l'on se fait d'une société écologique.

Au commencement, c'est-à-dire au paradis, il n'y avait aucune production ni aucun gaspillage. Un écologiste moderne en conclurait que ce paradis, tel qu'il est décrit par la Torah, représentait une société idéale. Ce qu'il appelle de ses vœux, c'est une société qui " tienne le coup ". Le paradis biblique était exactement cela.

Quand nous nous demandons quelle pollution l'homme et les animaux créaient dans le Jardin d'Eden, quels risques ils faisaient courir à l'écosystème, la réponse semble être : presque aucun. Les besoins humains fondamentaux comme le logement, le transport et la sécurité, devenus si essentiels dans les sociétés ultérieures, n'existaient pas encore dans le paradis. Il n'était même pas besoin de vêtements : l'humanité n'employait ni textiles ni d'autres matériaux. Il n'y avait aucun risque de pénurie. L'homme n'avait besoin ni de produits ni d'outils : il n'y avait aucun résidu de production.

On n'avait pas besoin, pour faire pousser les plantes, d'engrais artificiels ou de pesticides. L'homme et les animaux ne mangeaient que des végétaux. Tout ce que cette humanité utilisait, et qui semble n'avoir été que de la nourriture, était biodégradable. S'il restait des déchets, ils étaient probablement métabolisés en plantes. Il n'y avait pas de voirie. Les animaux ne nécessitaient pas de mesures de protection spéciales, puisqu'ils n'étaient pas attaqués par d'autres créatures. La biodiversité était intégralement préservée.

LA CONSOMMATION DU FRUIT DÉFENDU ET LA FIN DE LA SOCIÉTÉ IDÉALE

Très probablement végétarien, l'homme, qui n'était pas encore violent, ne faisait aucun mal à la nature ni n'avait d'autre impact sur l'écosystème. L'application des outils d'analyse écologique révèle qu'une situation totalement idéale régnait au paradis.

Un petit accroc, toutefois : pour qui se place selon le point de vue moderne d'un écologiste athée, il est difficile de comprendre pourquoi, du seul fait qu'elle avait mangé d'un fruit défendu par D.ieu, cette société humaine idéale est devenue instable et l'humanité a été chassée de l'utopie écologique.
Une situation utopique similaire nous est promise pour la fin des temps, comme annoncé dans les prophéties d'Isaïe (11, 6 et suivants) : " 
Le loup habitera avec l'agneau, le tigre reposera avec le chevreau, veau, lionceau et bélier vivront ensemble, avec un jeune garçon les conduira… Génisse et ourse paîtront côte à côte, ensemble s'ébattront leurs petits ; et le lion, comme le bœuf, se nourrira de paille. "
On nous annonce aussi qu'il n'y aura plus de conflits entre l'homme et l'animal. Ainsi, selon le judaïsme, le début du monde et sa fin sont écologiquement parfaits.

LE DÉLUGE : ALORS ET MAINTENANT
Avec le déluge, la Bible nous place devant la question de l'incidence du comportement humain sur l'écosystème.

Le déluge est le plus grand désastre naturel mentionné dans la Bible.

Selon le point de vue juif, D.ieu emploie la nature comme instrument de punition : de grandes parties de l'écosystème sont détruites par la montée des eaux. À l'exception de la famille de Noé, toute l'humanité est anéantie.

La survie de Noé, cependant, va assurer la continuité avec l'humanité des origines. Sept couples de certains types d'animaux sont sauvés, protégés dans l'Arche ; chez d'autres espèces, un couple seulement est épargné. La biodiversité est ainsi assurée, malgré la catastrophe.
Un écologiste verrait probablement d'un bon œil le geste de Noé emportant dans l'Arche toutes les espèces d'animaux.

D'un point de vue écologique moderne, il n'y a pas grand-chose d'autre à dire sur ce texte, si ce n'est qu'un cataclysme naturel gigantesque a eu lieu, dont nous ne pouvons qu'essayer de deviner la raison. Certains êtres humains et certains animaux en ont réchappé miraculeusement.

La raison que la Torah donne à ce désastre écologique est incompréhensible à l'écologiste moderne : l'homme a péché contre D.ieu, aussi décide-t-Il de détruire une grande partie de l'écosystème.

Une version séculière de cet épisode biblique circule actuellement, en ce début du 21ème siècle. Elle affirme : l'homme a péché contre la nature. Les installations de refroidissement et de chauffage, la production industrielle, et l'intensification de la circulation automobile conduisent les unes et les autres à des émissions de gaz qui aggravent l'effet de serre, et probablement à un réchauffement de la planète.
Ce que disent les écologistes, c'est que l'homme pèche contre la nature et que la nature est en train de prendre sa revanche. " El Nino " n'en est que le premier signe. Il sera suivi par la fonte des glaces polaires et par une amplification des inondations.

Ces deux exemples, qui se réfèrent aux premiers chapitres de la Genèse, nous donnent déjà deux indications significatives quant à l'attitude juive par rapport à l'environnement. La première est, comme déjà mentionné, que les considérations écologiques occupent une place considérable dans la Bible. La seconde est qu'il existe des différences considérables entre les jugements de valeur du judaïsme à l'égard de l'environnement et l'idéologie du mouvement écologique contemporain.

LES DIX PLAIES
En envoyant les Dix Plaies sur les Egyptiens, D.ieu utilise la nature comme instrument de punition.

Il y a beaucoup d'autres récits dans la Bible qui comportent des aspects écologiques.

Un des plus importants est celui des Dix Plaies d'Égypte, qui nous offre beaucoup d'exemples de modification de la nature en tant qu'instrument divin de punition.
Un grand nombre de désastres écologiques vont tuer une partie de la population égyptienne, ses esclaves, ses animaux et ses récoltes, mais ils ne concernent pas les Hébreux, installés dans la terre voisine de Gochène. Plusieurs des plaies conduisent à une pollution dramatique de l'eau et de l'air. Cela est évident dès la première plaie, quand l'eau du Nil se transforme en sang. Le fleuve est si pollué que tous les poissons meurent. Il y a aussi une pollution de l'air : "
 Le Nil fut nauséabond, et les Égyptiens ne purent boire des eaux depuis le fleuve… " (Exode 7, 21).

Nous découvrons ici un autre message transmis par le judaïsme au sujet de l'environnement et de la nature. D.ieu a créé la nature ; comme Créateur Il est aussi son Propriétaire, et comme tel, Il peut la changer à volonté. C'est précisément ce qu'Il fait dans le récit des Dix Plaies : Il utilise la nature pour enseigner une leçon à certains hommes à la nuque raide, et en particulier à Pharaon.

Cette histoire contient beaucoup d'autres messages écologiques. Aujourd'hui, l'un des objectifs principaux de la science environnementale consiste à prouver que certaines maladies sont causées par la pollution. Le motif du caractère épidémiologique de la pollution est énoncé explicitement dans le récit d'une des plaies. Moïse et Aaron ont pris des poignées de suie de fournaise, laquelle est devenue de la poussière fine " Et il se développa un ulcère éruptif, des pustules, sur l'homme et sur l'animal. " (Exode 9, 8 et suivants). Les magiciens furent incapables de se confronter à Moïse à cause de l'inflammation, " car l'ulcère était dans les devins et dans toute l'Égypte ". Si nous analysons ce texte d'un point de vue écologique moderne, il semble qu'une pollution industrielle aérienne a causé une épidémie.

D.IEU, L'HOMME ET LA NATURE
Le judaïsme affirme clairement que la préservation de la nature n'est pas le but principal de l'humanité.

Cette série de désastres naturels prend une autre dimension dans le contexte religieux.

Les plaies sont un exemple du rapport entre D.ieu, l'homme et la nature. 
Rares sont les autres récits contenus dans la Bible qui présentent avec un tel luxe de détails la position de ces trois éléments dans le judaïsme. L'humanité doit obéir à D.ieu, et sinon la nature peut être employée de manière extraordinaire pour le punir.

La protection de la nature est importante dans la tradition juive.
Cependant, le judaïsme affirme clairement que la préservation de la nature n'est pas le but principal de l'humanité. Cette présentation est diamétralement opposée aux vues de certains écologistes extrêmes. Selon la pensée juive, D.ieu peut faire avec la nature et les animaux ce que bon lui semble selon Ses plans propres. Le fleuve peut être rendu inhabitable aux poissons afin de punir les hommes. Dans le même dessein, les grenouilles peuvent se multiplier puis, une fois exécutée la mission que leur a assignée D.ieu, mourir dans les maisons, les cours et les champs.

Plusieurs de ces plaies constituent des punitions pour l'homme comme pour l'animal. 
L'essence du message religieux est parfaitement claire et est répétée plusieurs fois : D.ieu peut punir l'homme qui a désobéi en utilisant la nature contre lui. D.ieu peut changer les règles de la nature comme Il le désire et de beaucoup de manières. Par exemple, l'obscurité frappe les Égyptiens à certains endroits tandis qu'elle est absente ailleurs en Égypte, dans les régions où vivent les Hébreux.

Le monde animal peut aussi être lancé de diverses manières contre l'homme. Les grenouilles envahissent les maisons, la vermine les infeste, les insectes envahissent le palais et ruinent les récoltes, les sauterelles dévorent l'herbe des champs. De nombreuses parties de l'écosystème sont endommagées. La plupart des plaies sont extrêmement difficiles à expliquer d'un point de vue écologique.

Il est clair, tant du point de vue des écologistes que de celui du judaïsme, qu'un désastre majeur s'est abattu sur les Égyptiens, leurs animaux et le monde inanimé. Si les motifs de ce cataclysme sont clairs pour les croyants, ils ne le sont pas pour ceux qui partagent la thèse " environnementaliste ".

On trouve dans l'histoire des plaies d'autres idées religieuses qui sont inaccessibles à l'analyse écologique. Par exemple, la prière adressée au Ciel par les innocents peut réussir à éliminer les plaies. Le remords est important pour mettre fin aux désastres. Pharaon aurait pu empêcher les catastrophes naturelles s'il avait permis aux Hébreux de s'en aller.

LA MANNE

Un quatrième récit significativement écologique dans la Torah est celui de la manne.
Il comporte plusieurs caractéristiques évidentes de prévention du gaspillage. C'est ainsi qu'il aurait été parfaitement stupide pour un Hébreu d'en recueillir plus qu'il ne pouvait en manger, parce que le seul résultat qu'il en aurait obtenu aurait été un produit nauséabond pullulant de vers. On peut raisonnablement supposer que les enfants d'Israël ont rapidement appris la leçon et n'ont pas recueilli plus que nécessaire.

Une seconde caractéristique explicitement écologique réside dans le fait que la manne restante ne polluait pas le désert.
Il est écrit à son propos que, "
 quand le soleil devenait chaud, elle fondait ". En langage écologique contemporain, cela s'appelle la photo-dégradation, c'est-à-dire la décomposition du surplus par les rayons du soleil.
Au début de ma recherche sur les rapports du judaïsme avec l'environnement, je me suis demandé si les Hébreux, quand ils partaient, laissaient le désert propre derrière eux. Il semble résulter de ce récit que oui.

Un autre aspect écologique important dans le récit de la manne est que l'homme peut mener une vie complète avec une seule nourriture.
La manne n'est pas la seule référence dans la Bible relative aux déchets dans le désert. Une autre résulte du verset : " 
Ton vêtement ne s'est pas usé de sur toi, et ton pied ne s'est pas enflé, ces quarante années. " (Deutéronome 8, 4).

Traduit de l'anglais par Jacques KOHN

 http://www.lamed.fr/

 
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3 décembre 2009 4 03 /12 /décembre /2009 05:30
Par le Rav Meir HAZAN
http://www.universtorah.com/ns2_dossier-309-sciences-et-talmud-troisieme-partie.htm

 


      Comme le remarquent de nombreux auteurs et Rabbi Yéhouda Halévy en particulier, le calendrier des fêtes, les lois de la pureté familiale, celles de l'abattage des animaux en vue de leur consommation, exigent pour être comprises maintes connaissances d'astronomie, d'anatomie ou de médecine. 

      Il n'est pratiquement aucun domaine de la loi qui soit indépendant de l'expérience du monde réel. De même, l'utilité d'une formation générale pour le développement de l'esprit n'a guère été contestée. 

      C'est surtout dans les circonstances historiques du début de l'Emancipation, et face à un danger d'assimilation inhabituel, qu'une méfiance poussée à l'extrême à l'égard de la culture générale a pu se manifester. Mais ce phénomène a un caractère marginal et contingent. 


      En revanche, l'aspect théorique de la question est plus délicat et a fait l'objet de controverses. La connaissance des sciences extérieures est-elle nécessaire pour une juste compréhension de la Tora sous son angle métaphysique ? 

      On ne saurait prétendre qu'il y a consensus à cet égard. Il me semble toutefois qu'en dernier ressort, une fois éliminés les craintes circonstancielles, il faut répondre positivement à cette question. Voici en tout cas comment s'exprime Rambam (Guide des égarés, Première partie, chapitre 34): 

      Et tu sais que toutes ces choses(le ciel, les anges, le monde, l'âme) sont reliées les unes aux autres. Il n'y a rien dans l'existant, sinon l'Eternel et toutes ses créatures. Ces dernières constituent la totalité de l'existant en dehors de lui et il n'y a aucune voie pour l'atteindre si ce n'est par leur intermédiaire. Ce sont elles qui indiquent son existence et ce qu'il convient de penser à son sujet, je veux dire ce qui doit être affirmé ou nié de lui. Il est donc indispensable d'examiner l'ensemble de l'existant tel qu'il est afin retirer de chaque chose des principes vrais et certains qui nous seront utiles dans nos recherches métaphysiques. Combien nombreux sont les principes extraits de la nature des nombres et des propriétés des figures géométriques dont on peut induire ce qu'il convient de nier de Lui, qu'il soit élevé. Et cette négation nous conduit à divers sujets. Quant aux choses de l'astronomie et des sciences de la nature, je ne pense pas que tu auras le moindre doute qu'il s'agit là de choses indispensables pour saisir la relation du monde au gouvernement divin telle qu'elle est en vérité et non selon l'imagination. Il y a aussi beaucoup de sujets théoriques qui, sans fournir des principes pour la connaissance métaphysique, exercent néanmoins l'esprit et lui donnent l'habitude d'effectuer des démonstrations et de connaître la vérité dans ce qu'elle a d'essentiel... Il faut donc nécessairement que celui qui veut atteindre la perfection humaine s'instruise d'abord dans la logique, puis graduellement dans les mathématiques, ensuite dans les sciences de la nature et après cela dans la métaphysique. 


 
Le Gaone de Vilna
      Plus près de nous, le Gaone de Vilna a encouragé un de ses élèves, Rabbi Baroukh, à traduire en hébreu les livres de géométrie d'Euclide, et cet élève a rapporté au nom du Gaone de Vilna la phrase suivante (Introduction, Rabbi Baroukh au nom du Gaone de Vilna.):A chaque manque dans la connaissance des autres sciences correspond une mesure centuple dans la connaissance de la Tora, car la Tora et la science sont attachées ensemble

      On ne peut tirer d'une telle phrase des conséquences excessives et définitives. C'est précisément l'incertitude qui l'entoure qui est significative. 

      Le fait qu'elle ne soit que rapportée et non écrite par le Gaone de Vilna lui-même, et inversement que par la suite elle ait été acceptée comme authentique, que notamment le Rav Kook en ait développé certaines implications, montre à la fois l'importance et le danger des principes qu'elle révèle. Il y a là affirmation de l'unité dernière de la vraie connaissance. La Tora et la science sont deux manifestations distinctes mais indissociables d'une même vérité. 

      Le risque inhérent à une telle conception est clair : elle pourrait en effet mener à une réduction simpliste, à confondre la Tora avec un livre de médecine, à lui retirer sa dimension d'intériorité et de transcendance, à aboutir à une sorte de scientisme, la Tora n'étant plus la "science du qui" mais une "science du quoi" parmi d'autres. L'unité de la Tora et de la science postulée ici n'est pas l'unité d'un mélange ou celle d'une synthèse. C'est en quelque sorte une unité par correspondance, l'unité qui relie la face interne et la face externe d'un même récipient. 


      Dernière question.Dans les deux derniers siècles, un développement scientifique sans précédent s'est produit. Ce développement a également entraîné des modifications d'approche ou d'attitude relativement à de nombreux problèmes. Doit-on comme conséquence de cette évolution prévoir un approfondissement de la tradition ? 

      Au fur et à mesureque la recherche scientifique trouve des lois précises au milieu du désordre des phénomènes, la science de "l'oeuvre de la création" est de plus en plus à découvert, expliquée en public, nourrissant de nombreux esprits ? Parallèlement, les vérités supérieures, qui ont toujours constitué la force des Sages et éclairé Israël dans son ensemble, deviennent progressivement à la portée de tous. Il est impossible d'expliquer désormais même les notions les plus simples de la foi sans faire appel pour leur présentation aux notions les plus cachées qui se tiennent au sommet du monde. 

      Ainsi, avec le développement scientifique, ce sont à la fois l'exigence et l'aptitude de l'esprit humain à recevoir des vérités autrefois trop subtiles qui se sont accrues. Ces exigences nouvelles ne constituent pas une remise en cause de la vérité de la tradition, encore moins une contestation. 

      Elles impliquent cependant un effort de purification de la formulation, écartant certaines représentations confuses ou erronées qui se sont introduites par suite d'influences extérieures. D'autre part, les catégories et les énoncés de la théologie scolastique du moyen âge, en tout cas dans leur littéralité, ne suffisent plus pour l'exposé des doctrines fondamentales du judaïsme. 


      Les "sciences du quoi" ne sauraient se substituer à la "science du qui". Le centre de la vérité reste la Tora, Séfèr Toldote Adam, le livre des engendrements de l'homme.
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3 décembre 2009 4 03 /12 /décembre /2009 05:27
Par le Rav Meir HAZAN
http://www.universtorah.com/ns2_dossier-308-sciences-et-talmud-seconde-partie.htm

 



Quelle est l'attitude des talmudistes vis-à-vis du phénomène de la sorcellerie ? Elle se résume en trois termes indiqués dans notre texte : apprendre, comprendre, légiférer. 

On ne préconise pas vis-à-vis de la sorcellerie une attitude de rejet systématique et a priori. La lutte contre la sorcellerie passe par la connaissance approfondie de ses manifestations, par la distinction minutieuse entre ce qui est connaissance vraie et ce qui est mystification, enfin éventuellement par l'utilisation de moyens juridiques appropriés pour son élimination. Ce point sera éclairé sous un autre jour ultérieurement. 


La deuxième perversion de la vérité signalée par notre texte est l'idolâtrie. Il ne s'agit pas ici de l'idolâtrie en tant que pratique mais en tant que conception. La doctrine essentiellement visée par le texte est le dualisme qui était répandu en Babylonie où enseignait Rav mais ce n'est là qu'un exemple. 

D'une manière générale, vis-à-vis de toute idéologie dont les principes sont en contradiction nette avec ceux de la pensée juive, les Sages du Talmud et leurs successeurs adoptent une attitude de rejet. Commentant notre texte, Rachi énonce : Même apprendre un enseignement de la Tora de la bouche d'un idolâtre est interdit

Ce principe dévoile tout d'abord une méfiance à l'égard de la séduction que peuvent exercer toutes sortes de personnalités dotées d'un pouvoir charismatique. Mais cela signifie aussi le refus du syncrétisme. Que le judaïsme puisse se développer en intégrant en son sein des idées puisées dans des idéologies ou des religions étrangères est une conception absente de la littérature traditionnelle. Il est possible que des spécialistes de l'histoire des idées montrent que dans tel ou tel cas des doctrines extérieures ont influé sur le développement de la pensée juive. Mais il ne peut s'agir que d'un cas d'exception, d'une sorte d'effraction. Cela est contraire à la volonté explicitement formulée et constamment rappelée par les autorités traditionnelles de s'opposer à l'intrusion d'idéologies extérieures au sein du judaïsme. Alors que vis-à-vis de la sorcellerie, les Sages préconisent une attitude de connaissance et d'analyse, au contraire dans le domaine idéologique et religieux, ils penchent nettement pour un rejet systématique. 


On peut ajouter deux remarques à ce sujet. La première est que les considérations qui précèdent ne s'appliquent pas à la philosophie. L'attitude de la tradition juive envers la philosophie se caractérise par son ambiguïté. 

Tantôt l'étude de la philosophie est condamnée, tantôt elle est prônée. En fait, on peut montrer que l'ambiguïté de la position des Sages envers la philosophie provient de l'ambiguïté de la nature de la philosophie elle-même. Est-elle constituée par une recherche de vérités objectives, démontrables ou vérifiables ? Ou, au contraire, est-elle inévitablement entachée d'idéologie et d'affirmations dogmatiques échappant par nature à tout examen possible ? 

C'est ce caractère équivoque de la philosophie qui a empêché les Sages de prendre une position nette à son sujet. Deuxième remarque : l'attitude négative de notre tradition envers les idéologies étrangères est essentiellement à usage interne. Que objectivement, ces idéologies aient une part, même dans leurs erreurs, au progrès de l'humanité, n'est pas nié. L'expérimentation de l'erreur et son rejet progressif constituent une voie d'accès possible vers la vérité. Ce thème a en particulier été développé par Juda Halévy dans son ouvrage le Kuzari. 

Venons en maintenant à la deuxième partie de cette étude : comment la tradition juive perçoit-elle sa relation avec la science ? Comment se situe-t-elle par rapport à elle ? Nous avons déjà observé qu'un même terme, le terme 'Hokhma, englobe simultanément la vérité qui se révèle dans la Tora et ses développements et celle qui apparaît dans les sciences. Autrement dit, pour la tradition juive, la Tora et la science sont deux modalités ou deux domaines relevant d'un horizon commun, l'horizon de la connaissance. 

La distinction faite habituellement entre le domaine de la foi et des croyances d'un côté, le domaine des connaissances rationnelles de l'autre, cette opposition est étrangère à la manière dont la tradition juive se pense elle-même. Pour elle, Tora et science sont deux domaines appartenant à un même plan, celui du dévoilement de la vérité. Cette manière de voir se confirme encore avec l'expression 'Hokhmote 'Hitsoniote (sciences extérieures) par laquelle on désigne couramment les sciences en général, à l'exclusion de la connaissance de la Tora. 

 
Le Maharal
Mais à l'intérieur de leur horizon commun, la Tora et la science sont-elles des voies parallèles et d'égale importance ou bien au contraire sont-elles hiérarchisées ? 

Un texte du traité Avote (III, 18) éclaire ce problème : Rabbi Eli'ézèr Bèn 'Hassma dit : " Les nids et les débuts de l'impureté sont dans le corps même de la loi ; l'astronomie et la géométrie sont les périphériques de la 'Hokhma" (La traduction du mot Guématriote par géométrie est donnée par le Maharal de Prague dans son ouvrage le Chemin de la vie(Dérèkh 'Haïm) ; les lignes qui suivent s'inspirent largement de son commentaire). 

D'abord quelques remarques sur ce texte. Le terme de "nids" est générique : il désigne l'ensemble des lois concernant les sacrifices d'oiseaux qu'une femme apportait au temple après un accouchement. L'expression "les débuts de l'impureté" est également générique. Elle renvoie à l'ensemble, très complexe à l'époque, des lois concernant le calcul des périodes de pureté et d'impureté de la femme. Enfin le mot hébreu "Parparaote" que j'ai rendu par "périphériques" a pour sens concret, soit le dessert d'un repas, soit l'apéritif qui le précède. Il provient effectivement du mot grec qui a donné en français le mot périphérique


Les nids et les débuts de l'impureté constituent dans l'esprit des talmudistes l'exemple type de lois très sophistiquées, soulevant de nombreux problèmes, mais éloignées dans leur acception première des principes moraux universels. 

Un texte Notre texte leur oppose l'astronomie et la géométrie, sciences prestigieuses, exactes, universellement respectées. Ainsi, les aspects les plus bizarres de la loi de la Tora sont mis en regard des aspects les plus brillants des sciences extérieures. La relation que le texte établit entre ces deux domaines est précise : la loi constitue la partie centrale de la 'Hokhma; l'astronomie et la géométrie en sont la partie périphérique, l'apéritif ou le dessert, au choix. 

Pourquoi cette hiérarchie ?Comme nous l'avons vu précédemment, elle n'est pas fondée sur une différence dans le degré de vérité auquel parviennent respectivement la Tora et la science. Elle n'est pas non plus fondée sur une considération de théologie dogmatique : la Tora serait obtenue par révélation prophétique, tandis que la science résulterait de l'effort de la seule raison humaine. Là n'est pas l'essentiel du problème. 


Ce qui distingue la Tora de la science, c'est le contenu. La Tora a pour objet premier de définir ce que doit être le comportement humain.

Autrement dit, elle se conçoit comme science de l'homme en tant qu'homme, ce qui pour elle signifie tout à la fois libre, conscient, responsable, soumis à des obligations encadrant le faisceau des liaisons multiples dans lesquelles il est inséré. Toutes les relations que l'homme entretient, relations avec autrui en premier lieu, mais aussi avec la nature, avec soi-même, toutes les aspirations de l'homme à la valeur, à la perfection, à la transcendance, y sont considérées, analysées et jugées. Recherche que l'on peut à bon droit qualifier d'infinie aboutissant à la Halakha, à la loi, juste règle d'action ou de comportement. Recherche jamais achevée, toujours approfondie ou complétée à mesure qu'apparaissent dans l'histoire de nouvelles situations ou de nouvelles relations. 


En d'autres termes, la Tora vise à répondre à la question : qui est l'homme ? Mais non pas l'homme en tant que substance ou en tant qu'objet dont on détaillerait les propriétés. Il ne s'agit pas de répondre à la question "qu'est l'homme ?", mais bien à la question "qui est l'homme ?", en tant que sujet, en tant que personne. 

Il résulte immédiatement de cette définition que la Tora s'adresse à la fois à la volonté de l'homme et à sa pensée (Orote Hakodech), que son contenu se présente d'emblée et d'une manière indiscernable comme connaissance et comme norme, car dans la réponse à la question "qui est l'homme ?", il est impossible de distinguer ce qui est et ce qui doit ou devra être. 

L'idéal et l'avenir, le projet à réaliser et l'être qu'il faut engendrer, font autant partie de la définition de l'homme que son passé et l'identité déjà constituée. Or les sciences extérieuresscrutent chacune un contenu particulier, un aspect de la réalité, et visent à répondre à la question "qu'y a-t-il ?", "qu'est-ce ?". Non plus à la question "qui ?" mais à la question "quoi ?" Qu'il s'agisse des sciences de la nature physique ou biologique, des sciences sociales ou même des sciences de l'esprit, telles la psychologie ou la psychanalyse, chacune, avec son approche et dans son domaine, vise à décrire et comprendre un aspect particulier de la réalité objective. 

Elles ne sauraient atteindre l'étude de l'homme en tant qu'homme, en tant que personne, en tant qu'être moral en donnant à cette expression l'acception la plus large. Le domaine ainsi exploré transcende tous les autres, même ceux auxquels il est le plus directement lié, tels la politique, l'économie etc. 


Pour mieux explicitercette distinction, prenons un exemple. Il est bien connu que l'un des dix commandements reçus au Sinaï est l'interdit de l'assassinat (Lo Tirtsa'h). La nécessité d'un tel interdit fait partie des évidences premières. 

Une société dans laquelle l'assassinat serait autorisé ne pourrait subsister, sa légalisation étant parfaitement incompatible avec toute vie politique et toute organisation économique. Mais est-ce là la signification intrinsèque de cet interdit ? On se convainc vite qu'il ne s'agit là que de considérations pratiques, quasiment techniques, qui ne justifieraient pas la présence de l'interdit au sein d'unerévélation. Son fondement véritable réside en l'humanité même de l'homme, laquelle implique par définition reconnaissance et respect de l'autre homme en tant que tel et donc en premier lieu conscience de la valeur de sa vie et de son unicité. 

Chaque commandement, interdiction ou obligation, a cette double nature à des degrés divers, est nécessaire ou souhaitable en vertu de considérations pragmatiques d'un côté, est fondé sur tel ou tel aspect de l'humanité de l'homme de l'autre. 


L'homme a aussi une histoire et cela est spécialement vrai du Juif pour qui l'histoire tend paradoxalement à se faire immémoriale. Que faut-il en assumer, en rappeler, enréactualiser ? A chaque génération, chacun doit considérer que c'est lui-même qui est sorti d'Egypte (Péssa'him, 116b). 

La multiplicité et l'enchevêtrement des problèmes posés deviennent parfois vertigineux et aucun effort individuel ne pourrait suffire pour les délimiter et à plus forte raison les résoudre. Ce travail ne peut être effectué que par une collectivité se vouant à sa tâche avec acharnement, héritant des conclusions du passé, les approfondissant et transmettant les nouveaux résultats aux générations ultérieures. Le caractère central attribué à la Tora ne réside pas dans des caractéristiques formelles mais dans la conception que la tradition a de son propre contenu. La Tora est la science du qui, les autres sciences étant celles du quoi

Cela étant établi, une question importante se pose : la connaissance des sciences extérieures est-elle utile, voire nécessaire, à l'approfondissement de la Tora elle-même ? Cette question a deux aspects, l'un technique ou pédagogique, l'autre théorique. 



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3 décembre 2009 4 03 /12 /décembre /2009 05:24
Par Rav Meir HAZAN
http://www.universtorah.com/ns2_dossier-307-sciences-et-talmud-premiere-partie.htm








      Dans le Choul'hane 'Aroukh (Ora'h 'Haïm, 224), code législatif qui régit la vie juive, parmi les lois relatives aux bénédictions, nous lisons: Celui qui voit un 'Hakham Juif (Sage Juif) dit: "Béni soit Celui qui a distribué de sa'Hokhma, (de sa sagesse), à ceux qui le craignent". 


      Celui qui voit un 'Hakham non Juif, savant dans la connaissance du monde, dit: "Béni soit Celui qui a donné de sa 'Hokhma à un être de chair et de sang". Nous observons qu'un même mot hébreu, le mot'Hakham, désigne indifféremment celui qui s'adonne aux sciences de la nature, le savant, et celui que l'on a coutume d'appeler le Sage, celui qui s'adonne à l'étude et à l'approfondissement de la Tora. 


      De même, la connaissance acquise par l'étude de la Tora et les connaissances sur le monde, les sciences, sont désignées par le même terme 'Hokhma. L'objet de cette étude est d'éclairer cette analogie. Pour la commodité, elle est divisée en deux parties. Dans un premier temps, la tradition juive par rapport à la science ; puis, dans une seconde partie, en quel sens la connaissance issue de la Tora s'appelle également science et quelle est alors sa place, en tant que science, dans l'ensemble de toutes les connaissances. 




      Les talmudistes avaient devant eux l'exemple d'une science exacte, l'astronomie, portée dès l'antiquité à un haut degré de perfectionnement. Les Grecs ou les Chaldéens observaient avec minutie le mouvement des astres et savaient effectuer des prévisions précises. Il est donc naturel que ce soit à propos de l'astronomie que la position des talmudistes ait été formulée en premier lieu. 


      Première question : la connaissance scientifique a-t-elle une valeur en soi ? Ou bien au contraire, sa valeur et son importance résultent-elles seulement de ses applications pratiques ? 


      Une réponse sans ambiguïté est donnée dans le traité Chabbate (75a) : Rabbi Chim'one Bèn Pazi affirme : "celui qui est capable de faire des calculs d'astronomie et ne le fait pas, sur lui le verset dit: l'oeuvre de l'Eternel, ils ne la regardent pas, et le travail de ses mains, ils ne le voient pas"(Isaïe, V, 12). 

      Le sens premier du texte d'Isaïe cité n'a aucun rapport avec l'astronomie. Pour s'en convaincre, il suffit de replacer le verset dans son contexte (Isaïe, V, 11) : Malheur à ceux qui se lèvent de bon matin pour courir aux liqueurs fortes et s'attardent dans la nuit, échauffés par le vin, qui mêlent la harpe et la lyre, le tambourin, la flûte et le vin à leurs repas. L'oeuvre de l'Eternel, ils ne la regardent pas, le travail de ses mains, ils ne le voient pas


      Le prophète Isaïe ne traite pas d'astronomie mais décrit la vie de jouissance des hommes de son temps et leur reproche de s'abrutir dans le vin sans réfléchir à la signification dernière des choses. 

      Rabbi Chim'one ne cherche pas à expliquer ce sens premier et évident mais veut lui ajouter une autre dimension. Dans son sens coutumier, lacontemplation de l'oeuvre de l'Eternelest une notion religieuse. Rabbi Chim'one lui donne un sens nouveau : "contempler l'oeuvre de l'Eternel" devient par définition accéder à la vision scientifique du monde, vision de lois rigoureuses, de lois mathématiques cachées derrière l'apparence sensible. 

      Et inversement, la réèlle connaissance des lois du monde, le calcul auquel l'homme est capable de soumettre les phénomènes, prennent une valeur intrinsèque qui dépasse celle de leur seule utilité : l'approche scientifique est une vision véritable de la réalité, vision de l'oeuvre de l'Eternel

      Cette première conclusion soulève une nouvelle question : la science est-elle seulement juste vision, juste approche du monde sensible ? Ou bien au contraire, a-t-elle également une valeur théorique ? Est-elle aussi un modèle de pensée ? La suite du texte nous éclaire sur ce point : Rabbi Chémouèl Bèn Na'hmani a dit au nom de Rabbi Yo'hanane : "d'où savons-nous que c'est une obligation de faire des calculs d'astronomie ? C'est qu'il est dit: Vous les garderez et vous les accomplirez, car c'est votre sagesse et votre intelligence aux yeux des peuples ; qu'est-ce qui est sagesse ('Hokhma) et intelligence (Bina) aux yeux des peuples ? C'est l'astronomie" (Deutéronome, IV, 6). 


      Ici encore, le verset cité est pris dans un sens différent de son sens premier indiqué par le contexte. 

      En effet, il s'agit dans ce passage des lois de la Tora et non d'astronomie (Idem): "Voyez, je vous ai enseigné des lois et des statuts, selon ce que m'a ordonné l'Eternel mon Dieu, afin que vous vous y conformiez dans le pays où vous allez entrer pour le posséder". Vous les garderez et les accomplirez... La distorsion que Rabbi Chémouèl Bèn Na'hmani fait subir à ce sens premier nous montre que, à ses yeux, l'astronomie relève, comme les lois de la Tora, des concepts de 'Hokhma et Bina, science et intelligence. 

      Une importance dans l'ordre de la pensée est reconnue à l'astronomie. La science ne constitue pas seulement une relation éminente avec le monde sensible comme nous l'avons déjà établi. Sa valeur en tant qu'activité théorique est également reconnue. L'astronomie est une 'Hokhma, un savoir qui prolonge celui qui nous est donné dans la Tora.


      Dans le même mouvement, Rabbi Chémouèl Bèn Na'hmani énonce que le peuple juif ne saurait limiter son horizon intellectuel à la seule connaissance de la Tora. Cette connaissance doit impérativement être complétée par une activité scientifique. Il y a là une condition nécessaire au rayonnement du peuple juif dans le monde. 

      Croire que l'étude et la pratique de la Tora puissent à elles seules valoir au peuple juif l'estime des autres peuples est une illusion. Remarquons incidemment que, d'une manière générale, le commandement dont il est question a été mis en pratique et que le rôle du peuple juif dans le développement des sciences est tout à fait honorable. Venons-en maintenant à une question de nature épistémologique. Doit-on accorder à la vérité qui apparaît dans la science une valeur absolue ou seulement une valeur relative ? Est-elle entachée par définition d'un doute provenant de son origine non révélée ? La raison et l'expérience humaine convenablement dirigées permettent-elles d'atteindre dans le domaine où elles s'exercent une vérité indiscutable ? 



Edition du Michné Tora (1550)
      Les passages déjà cités laissent plus ou moins entendre que la réponse à cette question épistémologique est positive mais un texte important du Rambam lève toute ambiguïté à ce sujet. 

      Dans le Michné Tora (Lois de la fixation des mois, XVII, 24), Rambam, après avoir établi les règles du calcul du calendrier juif, conclut ainsi: "La raison de tous ces calculs, la manière dont tout cela a été connu et peut se prouver, constitue la science de l'astronomie et de la géométrie. Les savants grecs ont écrit à ce sujet de nombreux livres qui se trouvent à présent entre les mains de nos sages. Les livres qu'avaient écrit les savants de la tribu d'Issakhar au temps des prophètes ne nous sont pas parvenus ; mais étant donné que toutes ces choses se démontrent par des preuves sans défaut qu'il est impossible à quiconque de contester, on ne tient pas compte de l'auteur, qu'il s'agisse d'un prophète ou d'un savant étranger. Plus généralement, pour toute chose dont la raison est évidente et dont la vérité se démontre par des preuves sans défaut, nous nous appuyons sur l'homme qui l'a dite ou enseignée". 

      Pour le Rambam, la raison humaine et l'expérience constituent donc des sources de vérité authentiques, sous réserve qu'elles soient utilisées avec précaution. Si la raison des phénomènes apparaît de manière claire et si les preuves théoriques ou expérimentales sont sans défaut, on doit accorder foi aux affirmations du savant. Il n'y a pas lieu de se retrancher derrière un quelconque scepticisme pour en minimiser la valeur. L'évidence et la démonstration sont les critères d'une vérité authentique. 


 
Le Rambam
      On doit cependantremarquer que le Rambam laisse percer entre les lignes une certaine inquiétude. Une raison alléguée peut ne pas être évidente, une preuve peut être truquée ou insuffisante. 

      Cela nous conduit à une nouvelle interrogation. N'y aurait-il pas des perversions de la science ? Ce qui est présenté comme vérité objective ne peut-il pas être parfois une illusion ? N'y a-t-il pas même lieu éventuellement de s'imposer une autocensure relativement à certains enseignements ou certaines recherches ? 

      La suite du texte de la Guémara de Chabbate déjà cité va nous éclairer sur ce point en introduisant une distinction essentielle : "Qu'est-ce qu'unMagouch ? Rav et Samuel en discutaient. L'un disait : "c'est un sorcier". L'autre disait : "c'est un blasphémateur" (Rachi explique : un militant d'une doctrine idolâtre). On peut démontrer que c'est Rav qui disait : "c'est un blasphémateur". En effet Rav Zoutra a dit au nom de Rav : "celui qui apprend quelque chose d'un Magouch mérite la mort". 

      Or, à propos des sorciers il est dit (Deutéronome, XVIII, 9) : "Tu n'apprendras pas à pratiquer les abominations de ces peuples". Ce qui sous-entend: "tu ne peux apprendre pour pratiquer mais tu peux apprendre pour comprendre et légiférer". Donc puisque Rav interdit d'apprendre d'un Magouch, cela ne peut s'appliquer à un sorcier et par conséquent c'est lui pour qui Magouch signifie blasphémateur. 


      Ainsi, le Talmud distingue deux aspects dans la perversion de la vérité. Le premier se définit par le concept de sorcellerie

      Il s'agit de l'exploitation sous des formes infiniment variées de la crédulité populaire ; toutes les pratiques de charlatans, nécromanciens, devins..., relèvent évidemment et directement de cette notion de sorcellerie. L'analyse de ces pratiques commence dans la Tora, puis est développée par le Talmud et les décisionnaires. Mais l'on peut également rattacher à ce concept toute forme d'escroquerie intellectuelle, ancienne ou nouvelle. Longue est la liste des illusions, mensonges et escroqueries qui ont accompagné le progrès scientifique. Tout se passe comme si, spécialement dans ses débuts, chaque science sécrétait sa propre sorcellerie. 

      L'astrologie, l'alchimie, les potions magiques et les cures de jouvence en sont quelques exemples. Plus près de nous, la psychanalyse, bien que science véritable dans son principe, a donné et peut-être donne encore lieu à de multiples abus, que ce soit dans la pratique psychanalytique elle-même ou surtout dans les conclusions idéologiques et morales auxquelles elle conduit parfois. 


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2 décembre 2009 3 02 /12 /décembre /2009 05:23
Suite de notre triptyque.

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Comment étudier le TalmudLe Talmud n'est pas comme n'importe quel corps de savoir. Apprendre le Talmud n'est pas identique à la manière d'apprendre n'importe quelle autre discipline, mais c'est:
apprendre à apprendre se remettre en question faire parler la parole
Par Emeric DEUTCH
http://www.lamed.fr/


1. APPRENDRE À APPRENDRE


La pédagogie est seulement en train de découvrir que l'enseignement ou l'éducation, tels qu'on les pratiquait traditionnellement, sont à la fois une aliénation pour l'enseigné et une illusion, tant pour l'enseignant que pour l'élève. Aliénation par le fait qu'enseigner c'est transmettre une idéologie qui, généralement, n'ose pas dire son nom; c'est endoctriner des individus, jeunes ou âgés, qui n'ont pas les moyens de se défendre contre cette manipulation.

Un second aspect de l'aliénation est la fabrication de castes, la constitution d'un mandarinat du savoir, de confréries de diplômés de telle ou telle grande école ou académie, transformant ainsi la science, l'intelligence, en moyen de pouvoir, en outil de domination.

C'est exactement le contraire que nous enseignent nos Sages (1): "Ne fais pas de l'étude un diadème pour t'en glorifier, ni une bêche pour retourner la terre ".

Enfin, chacun s'accorde à dire aujourd'hui que notre système scolaire inhibe, sinon mutile, le pouvoir créatif de l'enfant.

Illusion que l'enseignement qui croit transmettre un savoir de celui qui sait à celui qui ne sait pas. Les psychanalystes expliqueront cette illusion par le fantasme d'allaitement: la mère fait ingurgiter au nourrisson son lait maternel. Illusion de l'enseignant qui croit transmettre quelque chose d'inerte à l'élève qui "boirait" sa parole. Illusion de l'étudiant qui pense pouvoir "assimiler" passivement un savoir, "puiser" aux sources un objet tout fait, à l'élaboration duquel il n'aurait pas contribué par son propre effort.

II n'en est pas ainsi de l'étude du Talmud.

Qu'est ce qu'un savant? C'est un talmid 'ha'hame: un "élève sage", celui qui sait étudier

Qu'est ce qu'un savant? C'est un talmid 'ha'hame: un "élève sage ", celui qui sait étudier. En yidiche on dit: "Er kenn lernen ", il sait apprendre; à l'opposé du mandarin, qui sait tout court.

Quant à la hiérarchie du savoir, nous lisons, quelques paragraphes plus loin: "Rabbi Eliézère ben Chamoua dit: Que l'honneur de ton élève te soit plus cher que le tien propre, l'honneur de ton camarade comme la crainte de ton maître, et la crainte de ton maître comme celle du ciel ". En d'autres termes, toi, le maître (M), tu dois respecter ton élève (E) plus que toi même (E > M), ton camarade comme ton maître (El = M) et ton maître (M) comme l'Eternel. La boucle est donc ainsi bouclée:

E > M
E ->El = M 
M = comme l'Eternel

En fait, on n'apprend pas pour savoir, mais pour enseigner et accomplir. II ne s'agit pas d'une transmission aliénante, mais d'une quête en commun d'une vérité qui se découvre, se fait, s'accomplit par son étude. Car (ha Torah Lo bachamaime hi), la loi n'est pas au ciel (4). Elle est la parole vivante que nous faisons parler en l'étudiant et en l'accomplissant.

 

2. SE DÉPOUILLER, SE REMETTRE EN QUESTION

Apprendre le Talmud ce n'est pas accumuler, mémoriser, stocker un savoir. C'est une quête, une exploration et une construction, qui n'est possible que par une action continuelle sur soi même.

Ainsi Réche Lakiche enseigne (5): "Les paroles de la Torah ne peuvent s'accomplir (exister, se perpétuer) que par celui qui se mortifie (ou se met à mort) pour elle. Car il est écrit (6): "Voici la Torah: un homme meurt dans une tente . .. ".

Nous savons que la Torah dans sa totalité Loi écrite et Loi orale a été donnée en un endroit aride, que personne n'a cultivé, une terre vierge. "Un homme meurt dans une tente ". Juste un bout de toile pour le protéger du soleil, pas de palais ni même de maison confortable.

Ben Zoma enseigne (2): "Qui est le sage? Celui qui apprend de chaque homme". Car il est écrit (3): "De tous mes enseignants j'ai appris", Le vrai sage apprend de chaque homme, et l'expression "tous mes enseignants" des Psaumes a bien cette signification: tous les hommes peuvent m'enseigner quelque chose, ils sont donc mes maîtres.

Pour accomplir vraiment la Torah, l'homme doit se dépouiller de son orgueil, de ses préjugés, de ses prétentions

Même dans cette tente, pour accomplir vraiment la Torah, l'homme doit se dépouiller de son orgueil, de ses préjugés, de ses prétentions. II doit se remettre en question complètement et à chaque instant, se libérer de ses faux fuyants, de ses justifications ou excuses, se mettre à nu et se regarder lucidement en face, sans complaisance. C'est cela "se mettre à mort dans une tente ".Juste un bout de toile pour le protéger du soleil , pas de palais ni même de maison confortable.
 

3. FAIRE PARLER LA PAROLE
Apprendre le Talmud, c'est faire exister le latent, c'est donner une signification au chaotique

Parole en hébreu se dit: (davar). Les trois lettres de ce mot se retrouvent dans (midbar),désert. La parole est comme un désert. Elle ne devient vivante, elle ne prend toute sa signification, que pour celui qui sait l'entendre, l'écouter.

La guemara (7) commente ainsi les paroles d'Isaïe (8): "II discerne le dessein et magnifie la sagesse ": Le mot (touchia) que nous avons traduit par sagesse signifie devarim chel téou chéolame "Des paroles chaotiques (vides de sens manifeste) sur lesquelles le monde repose".

Pour celui qui ne veut pas écouter, ce sont là, en effet, des mots vains, vides de sens. Le monde ne peut devenir un monde humain que si la parole est rendue à la parole. Si nous réapprenons à écouter et à découvrir le sens latent, la signification cachée. Voilà l'enseignement que l'on peut tirer de l'étude du Talmud. Le terme (touchia) est composé de (tohou) chaos et de (yéche) être. Apprendre le Talmud, c'est faire exister le latent, c'est donner une signification au chaotique.

L'homme est seul à disposer de la parole, cet outil extraordinaire, aux possibilités infinies de construire et de véhiculer des concepts. Mais nous sommes loin de savoir maîtriser cet instrument qu'est le discours. Au contraire, dans notre société tout se conjugue pour l'aliéner, pour le chosifier, pour le transformer en mots objets ou mots gadgets.

Le but du Talmud est de rendre à la parole sa voix vivante et d'établir ainsi une véritable communication à l'intérieur de nous-mêmes et avec les autres.

(1) Avott 4, 5
(2) Avott 4,1
(3) Psaumes 119,99
(4) Deutéonome 30, 12; Baba Metsia 59b
(5) Chabatt, 83b
(6) Nombres 19, 14
(7) Sanhédrine, 26b
(8) Isaie 28, 29

(Ce texte est paru dans un ouvrage de la collection Oui... sur le judaïsme. Reproduit avec l'aimable autorisation du Département de l'Education et de la Culture par la Torah de l'Agence Juive.)
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1 décembre 2009 2 01 /12 /décembre /2009 05:46

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Que m'apporte l' étude du Talmud?Etudier le Talmud c'est apprendre. Mais pourquoi cette quête, cette curiosité intellectuelle?


Par Emeric Deusch
Pour http://www.lamed.fr/

Selon Freud, le désir de comprendre, d'approfondir, de découvrir, renvoie à la curiosité de tout enfant relative à la "scène primitive ", c'est-à-dire aux secrets d'alcôve des parents. II s'agit, en fait, de l'énigme des origines. D'où est-ce que je viens? Comment m'a-t-on conçu, fabriqué? C'est une interrogation permanente que l'on peut éviter ou déplacer vers d'autres sujets d'intérêt, mais qui n'en reste pas moins là en filigrane. Pour moi, juif, cette interrogation revêt un aspect tout particulier puisque, bon gré, mal gré, je suis autre, que j'assume pleinement mon altérité ou que j'attende que les autres me la rappellent. Si je ne veux pas me voiler délibérément la face, si je ne veux pas me renier ou subir, tel un somnambule , passivement mon destin , je ne peux échapper à la question de mes origines: Que suis-je en tant qu'homme? En tant que juif? D'où est-ce que je viens et où est-ce que je vais?

C'est cette interrogation qui fait l'objet de la fameuse michna d'Akavia ben Mahalalél (1): "Considère trois facteurs et tu ne viendras pas à transgresser la parole de Dieu: sache d'où tu viens, où tu vas et devant qui tu auras à rendre des comptes ".

Transgresser, c'est passer son chemin sans se poser des questions

Remarquons qu'il ne s'agit pas de péché, de mort ('hétt), mais de transgression, de (avéra). Or, mine (avéra) vient de (avar) "passer devant, traverser". Transgresser, c'est passer son chemin sans se poser des questions; c'est traverser la vie sans s'interroger sur ses origines, ses responsabilités, ses buts, c'est-à-dire sur le sens de la vie. Or, comment mener à bien cette quête? Où trouver des réponses à ces interrogations sinon dans les textes du Talmud? Seuls, ils peuvent nous remettre en contact avec nos origines authentiques. C'est en découvrant le langage allusif, à connotations multiples, en familiarisant nos oreilles, notre bouche, notre raisonnement avec ce discours authentiquement juif, que nous parvenons à récupérer une identité et à comprendre la manière de l'assumer.

DÉCOUVRIR SON IDENTITÉ

 

 

Ma première réponse sera donc: c'est pour découvrir mon identité de juif, c'est pour pouvoir m'assumer en tant que juif, pour comprendre mes responsabilités en tant qu'homme appartenant au peuple juif, que je cherche à me réaliser par l'étude .

D'autre part, le Talmud est une parole vivante, une voix qui parle. Ecouter attentivement la parole, lui restituer ses significations latentes, n'est-ce pas le meilleur moyen d'apprendre à communiquer?

D'abord communiquer avec soi-même, entre les différentes instances de l'être; entre le conscient, l'inconscient, les différentes facettes de la personnalité écartelée entre les différents rôles sociaux que l'on est amené à jouer.

L'écoute attentive, à travers le Talmud, KOL HATORAH, de la voix de la Torah, évoque pour moi du réel, du vécu, même si je ne parviens pas toujours à comprendre avec ma raison. A frayer mon chemin à travers des textes difficiles où les significations profondes n'apparaissent qu'à l'issue de lectures répétées, car soigneusement dissimulées derrière le sens manifeste du texte d'apparence anodine, j'espère apprendre à me déchiffrer moi-même, à établir une certaine unité entre les différentes parties de mon être. C'est comme si j'analysais des rêves dans le sens psychanalytique du terme. Il ne s'agit pas d'une introspection contemplative avec plus ou moins de complaisance à l'égard de soi, mais d'une démarche où participe toute la personnalité dans une opération de remise en question permanente.

 

APPRENDRE À COMMUNIQUER

 

Mais au-delà de cette communication intrapersonnelle, le Talmud apprend à communiquer entre hommes. Dans une société qui, ayant vaincu le mur du son, a vu s'élever la barrière des communications, et cela malgré les énormes progrès réalisés dans le domaine des media, il s'agit là d'une ressource appréciable.

Dès l'histoire de la Tour de Babel, l'illusion existe que plus on concentrera d'hommes sur une surface restreinte, plus on maîtrisera les distances et plus on facilitera les communications entre hommes. L'illusion continue de nos jours grâce à la vitesse et aux mass media électroniques (radio, téléphone, télévision, informatique) . Or, en réalité, à chaque nouvelle victoire dans ce domaine, c'est le contraire qui semble se produire.
En effet, pour qu'il y ait communication réelle, il faut que deux individus se parlent, s'écoutent réciproquement, en s'efforçant de comprendre ce que parler et écouter veulent dire.

Les paroles sont là, posées entre eux deux, pour ainsi dire à mi-distance de l'un et de l'autre, et ensemble ils cherchent à les faire parler, à les écouter, à leur donner un sens

Rabbi 'Hanania ben Tradione dit (2): "Lorsque deux hommes sont assis et qu'il y a entre eux des paroles de la Torah, la Chéhina (une des manifestations divines) repose entre eux". Les termes employés ici sont: "il y a entre eux" et non: "ils étudient" ou "ils s'occupent de", pour bien mettre l'accent sur la communication réelle. Les paroles ne sont ni celles de X, ni celles de Y; il n'y a pas de désir ou de tentative de manipulation, d'assujettisement, d'influence. Les paroles sont là, posées entre eux deux, pour ainsi dire à mi-distance de l'un et de l'autre, et ensemble ils cherchent à les faire parler, à les écouter, à leur donner un sens. C'est ainsi qu'ils s'assument en tant qu'hommes et accomplissent l'œuvre du Créateur.

Pour tous ceux qui ont été dans un Beith Hamidrache (3), ce phénomène a quelque chose de familier. A ceux qui n'ont pas eu ce privilège je conseille cette expérience. Arrêtez-vous au seuil d'une de ces "salles de recherche", "d'interprétation ", regardez, écoutez. Vous n'y verrez pas une assemblée de savants, vous n'y entendrez pas un cours magistral, mais vous rencontrerez des couples d'hommes qui parlent, qui cherchent, qui réfléchissent ensemble. Et vous pourrez dire avec Bialik que vous avez trouvé la source à laquelle le peuple juif puise ses forces et son esprit.

Si vous avez la chance d'avoir décodé vous-même un texte, vous comprendrez que dans la communication, le Talmud, c'est à la fois le media et le message .
En cheminant à travers les pages, chacun peut constater quelle merveilleuse école de communication le Talmud constitue. Chaque mot, chaque phrase, attire l'attention sur cette dialectique fondamentale entre le contenu manifeste (nigla) et le contenu caché (nistar), l'importance des lettres, des mots, de la syntaxe, la valeur du signifiant indépendamment du signifié.

Prendre en compte cette double signification de la parole, comprendre que le mot a une valeur en lui-même en tant que signifiant et non seulement par ce qu'il est censé dénoter, le Talmud nous y invite à chaque instant avec cette propriété de la langue hébraique de permettre à un même mot de prendre successivement toute une série de significations (4).

 

COMBLER LE FOSSÉ ENTRE GÉNÉRATIONS

La Torah a également prévu le point où les communications subissent leur échec le plus considérable, là où elles semblent définitivement en panne. je pense au mur qui s'élève entre les générations. Elle nous dit: "Et tu l'enseigneras à ton enfant pour en parler" (5). II ne s'agit pas d'un enseignement castrateur, ni d'instruction religieuse ou d'une manipulation aliénante quelconque. tu en parleras.

Or parler c'est aussi écouter, entendre, découvrir ensemble

Or parler c'est aussi écouter, entendre, découvrir ensemble. Mais en parler quand, comment, à quel propos, dans quel cadre? La réponse est nette: "Lorsque tu es en repos à la maison, quand tu marches sur la route, au lever et au coucher. C'est-à-dire d'une façon informelle, non planifiée, à chaque instant, à propos de tout, de n'importe quoi. C'est ainsi que l'on communique avec les enfants et non à coup d'instruction religieuse et de cours d'éducation sexuelle. Que les parents fassent leur métier de parents, qu'ils parlent aux enfants au lieu de leur asséner des vérités toutes faites, une éthique que leur comportement contredit, ou de démissionner purement et simplement.

 

MAIS OÙ TROUVER LE TEMPS?!

 

Assumer mes origines, apprendre à communiquer avec moi-même, avec les autres, avec mes enfants, avec les jeunes. Mais le temps? Où trouver le temps, à côté de toutes les obligations professionnelles et sociales?

Justement, le temps sera le dernier apport que j'évoquerai à propos du Talmud: oui, l'étude du Talmud m'aide à maîtriser le temps, cette denrée dont la pénurie nous affecte tous.

Des économistes (6) ont démontré récemment que, compte tenu du temps de travail nécessaire pour gagner l'argent de l'achat et de l'entretien de nos automobiles, ces dernières nous permettent à peine de faire des économies en temps de déplacement. En d'autres termes, si au lieu de travailler x heures pour acheter et entretenir une voiture nous consacrions ce temps à marcher à pied, ou à rouler à bicyclette, nous pourrions parcourir une distance sensiblement identique à celle que nous permet de faire notre véhicule dans le peu de temps de loisirs qui nous reste. II s'agit d'une aliénation caractérisée que chacun ressent avec plus ou moins d'acuité.

Ces minutes dérobées, gagnées sur mes "obligations ", m'aident à ne pas me laisser déborder par le temps

Passer tous les jours quelques minutes à se frayer un passage dans un texte du Talmud qui me renvoie à moi-même, à mes origines, aux autres hommes, je le considère comme un moyen de réduire cette aliénation. Car il ne s'agit ni d'une méditation ni d'une contemplation mais plutôt d'une médiation, d'une analyse directement centrée sur l'homme dans la réalité du monde, qui conduit à se remettre en question. Ces minutes dérobées, gagnées sur mes "obligations", m'aident à ne pas me laisser déborder par le temps, par le travail, C'est là aussi d'ailleurs, une des richesses du Chabatt qui n'est pas inaction ou loisir, mais retour sur soi, libération dans la remise en question des chaînes matérialistes.

 

BEN BAG-BAG ET BEN HÉ-HÉ

 

Je conclurai par les dernières phrases des Pirké Avott (7) qui résument bien ces réflexions: Ben Bag-Bag dit: "Remue, oui, remue là-dedans, car tout est là-dedans". De son côté, Ben Hé-Hé conclut par une phrase très courte: "Selon la peine, la récompense".

la Torah n'est le privilège de personne, mais appartient à tous ceux qui l'assument

Un premier enseignement: on est frappé dès l'abord par l'incongruité de ces noms, Ben BagBag et Ben Hé-Hé. On dirait une plaisanterie, un canular. Mais selon la plupart des commentateurs, ces noms sont effectivement portés par deux convertis au judaisme. C'est que la valeur numérique de Bag: (bétt +guimel) = 2 + 3 = 5, est équivalente à "hé"=5. On donnait de tels sobriquets aux descendants des étrangers convertis, pour signaler qu'ils étaient, au même titre que les autres juifs, issus d'Abraham et de Sarah qui ont reçu le "hé" comme signe de leur alliance avec Dieu pour fonder le peuple juif. Par ailleurs, le "hé" est aussi la lettre essentielle du mot (Torah). Nos Sages tiennent à souligner que la Torah n'est le privilège de personne, mais appartient à tous ceux qui l'assument. Le peuple juif n'est pas une race, une nation ou une religion, mais c'est le peuple de la Torah, c'est le peuple des Hé-Hé et des Bag-Bag.

Un second enseignement: la Torah ne livre pas sa signification d'emblée, il faut la remuer, la retourner dans tous les sens; le manifeste doit être compris en fonction du talent.

Enfin, il faut se donner de la peine, non seulement parce que le texte du Talmud est difficile, mais aussi parce qu'il faut se remettre en question, "se dépouiller" "se mettre à mort". D'ailleurs, littéralement l'expression (lefoum tsaora) utilisée par Ben Hé-Hé ne signifie pas "selon la peine ", mais "selon la bouche de la peine". La récompense, le rétablissement de la communication à l'intérieur de nous-mêmes et avec les autres, ne peut se faire qu'au prix de la peine de la bouche qui parle vrai, sans faux-fuyants, à des oreilles qui écoutent, non pour conforter, ou justifier, mais pour apprendre et comprendre.


(1) Avott 3,1.
(2) Avott 3,2
(3) Littéralement :maison de l'interprétation , de la quête .C'est ainsi qu'on désigne l'endroit ou l'on étudie le Talmud.
(4) Aucun texte sacré ne comporte de voyelles ni de ponctuation. En outre, l'alphabet hébraïque est alphanumérique , chaque lettre ayant la valeur d'un nombre 
(5) Deutéronome 6,7
(6) Ivan Ilitch notamment. Voir aussi l' article de Yves Debouverie et Jean-Pierre Dupuy dans Le Monde du 23 juillet 1974
(7) 5,22

(Ce texte est paru dans un ouvrage de la collection Oui... sur le judaïsme. Reproduit avec l'aimable autorisation du Département de l'Education et de la Culture par la Torah de l'Agence Juive.)
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30 novembre 2009 1 30 /11 /novembre /2009 05:45

Je fais suite à l'article de l'éminent Rav Steinsaltz pour ouvrir ce dossier sur le TALMUD






La Torah et le TalmudLe juif n'entre dans aucune catégorie classique pré-établie. Il est un phénomène qui échappe à la classification, car il est un devenir en fusion avec un autre devenir: la Torah.


Par Emeric Deutch


"Notre peuple existe par l'unique vertu de la Torah". Cette phrase a été écrite, il y a plus de 1,000 ans, par le Gaon Saadia (vers 930) et il ne s'agit pas là d'une formule creuse, mais d'une définition précise.

Si le peuple juif se définit dans le temps par son origine, son histoire, son destin; dans l'espace par le lien fondamental et indissoluble qui l'attache à Sion, à Israël, ces deux dimensions n'acquièrent leur contenu significatif que grâce à une troisième qui les transcende: la Torah.

Le juif est un phénomène qui échappe à la classification, car il est un devenir en fusion avec un autre devenir: la Torah

II est aussi absurde de définir le juif comme membre d'une nation que de parler d'une confession israélite ou d'un judaïsme culturel ou laïque. Le juif n'entre dans aucune catégorie classique pré-établie. Il est un phénomène qui échappe à la classification, car il est un devenir en fusion avec un autre devenir: la Torah. Sans juif point de Torah ;sans Torah point de juif.

Pour dégager la signification de la Torah, nous allons d'abord étudier l'étymologie de ce mot, puis en examiner le contenu et notamment la place qu'y occupe le Talmud.

En effet, ce n'est qu'une fois parvenu à situer la place du Talmud dans ce qu'est la Torah pour le juif, et à dégager ce que signifie "étudier le Talmud ", que je pourrai, je l'espère, vous faire comprendre ce que cette étude m'apporte.


SIGNIFICATION DU MOT TORAH


Ce mot hébreu procède de (yarah) qui signifie: jeter, lancer, tirer, projeter, et ce n'est que le sens dévié qu'en donnent: enseigner, montrer, indiquer.

Si nous reprenons maintenant les quatre lettres qui composent le mot Torah nous trouvons la triade (tor) et la lettre (hé).

Le mot (tor) comporte des significations multiples:

 

un temps: âge, époque;
un espace: forme, aspect; un lieu de rencontre espace-temps: rangée, ordre, le tour, l'échéance de quelqu'un ou d'un événement; une action d'exploration (latour): parcourir, explorer.

Cette rencontre spatio-temporelle nous renvoie au premier sens: projeter, tirer, lancer. La Torah est un projet, un devenir: un lieu de rencontre espace-temps. Voilà donc un premier isomorphisme avec le devenir spatio-temporel que constitue Israël.

Le mot (tor) dénote, en outre, deux objets qui renvoient à leur tour à toute une suite de symboles. D'une part, tourterelle, qui suggère: paix, fidélité, dépouillement, légèreté, pureté, mouvement, innocence, liberté, absence d'attaches matérielles, etc. D'autre part, collier, qui symbolise: attachement, ornement, parure, richesse, ostentation, etc.

A preuve qu'il ne s'agit pas d'une simple spéculation sémantique j'évoquerai ce verset du Cantique des Cantiques:
(vekol hator nichma beartsénou)-"La voix de la tourterelle s'entend dans notre pays" -et le commentaire du Zohar à ce propos: "Cette voix, c'est la Torah orale ".

A ce (tor) vient s'ajouter la lettre (hé) pour former le mot (Torah). Que signifie ce hé? II renvoie à la transcendance divine. C'est le hé de la création: élé toldote hachamaim véaaréts béhibaram " Telles sont les origines du ciel et de la terre, lorsqu'ils furent créés"(1). Or, le terme behibaram est écrit dans la Torah avec un hé d'une dimension inférieure aux autres lettres qui composent le mot. Rabbi Yehouda bar Ilai commente cette originalité dans le Talmud(2): "Ne lis pas: "behibaram ", mais lis: "behébaram ": ce monde-ci a été créé avec le hé. Quant au Zohar(3), il relève que (hibaram) est l'anagramme de (Abraham). Or, nous savons que celui-ci s'appela d'abord Avram et c'est à la suite de son alliance, son engagement de fonder une nation respectueuse de la Torah, que l'Eternel ajouta à son nom la lettre hé; ainsi d'Avram, il devint Abraham(4).

En somme, rien que sur le plan sémantique, la Torah est bien autre chose qu'un récit ou un recueil de rites ou de règles d'éthique, un code pénal ou une œuvre littéraire. Nous avons vu que la Torah est une voix. Or, la voix, contrairement à l'écriture, est vivante. Elle se situe à la fois dans le temps et dans l'espace; ce n'est pas une suite de mots sous une forme achevée, un discours fixé une fois pour toutes sur le parchemin; c'est une parole vivante qui jaillit en permanence: Vékol Aame roime éte akolote "Tout le peuple vit les voix"(5)

Ceci nous amène directement au contenu de la Torah.

LE CONTENU


Réche Lakiche enseigne(6): "II est dit dans la Torah (7) "Je te donnerai les Tables de pierre, la loi et le commandement que j'ai écrits, pour les leur enseigner". Les Tables de pierre, ce sont les dix commandements; la loi, c'est la Bible; le commandement, c'est la michna; pour les leur enseigner, c'est la guemara ". Ce texte nous apprend que c'est tout cet ensemble qui a été donné à Moise au Mont Sinai.

Oui, dans son sens plein et traditionnel, la Torah comprend tout à la fois la parole de Dieu -telle qu'elle est consignée dans la Bible et plus particulièrement dans le Pentateuque (la Loi écrite) - et le Talmud, comprenant la michna et la guemara (la Loi orale). C'est cet ensemble qui forme un tout indissoluble: la Torah.


Entre la Torah écrite et la Torah orale, point de différence car, nous l'avons vu, c'est une même voix, une même parole, vivante et non figée. II n'est pas possible d'étudier la Bible sans étudier le Talmud - la michna et la guemara. C'est grâce à cet approfondissement continuel du texte, que le projet, la volonté, que constitue la Torah, sont assumés. "Tu te conformeras à la doctrine qu'ils (les membres du Sanhédrine) t'enseigneront, selon la règle qu'ils t'indiqueront" (8). Rien n'est figé ; la loi se fait et s'accomplit par ceux qui l'assument en l'étudiant.

Et il ne s'agit pas là d'une simple figure de style. Nous apprenons ainsi dans le Talmud(9) que Rabbi, parmi d'autres innovations, a autorisé la consommation des légumes, dès la huitième année (10). A ses collègues, choqués et indignés partes réformes, il répliqua: "Venez discuter tous! II est écrit dans la Bible(11) : Il (Ezéchias) broya le serpent d'airain érigé par Moïse (12). Ne s'était-il donc trouvé aucun juste depuis Moise jusqu'à Ezéchias pour accomplir cet acte? De quel droit ce dernier prit-il cette initiative que personne avant lui n'avait voulu ou osé prendre? - C'est que ce diadème, le Saint, béni soit-il, le lui a réservé pour qu'il s'en pare. Quant à nous, c'est cette réforme-ci qui constitue notre diadème; il nous a été réservé pour que nous nous en servions ". 

Peut-on montrer avec plus d'éloquence la liberté qui est laissée à l'homme par rapport à la Loi? Peut-on dire plus clairement qu'elle est un projet, une volonté, à accomplir par l'homme? Rappelons-nous que le héros de cette histoire est Rabbi Yehouda Hanassi, le rédacteur de la michna. C'est lui qui compare l'innovation à un diadème réservé par l'Eternel à celui qui en prendra l'initiative et la responsabilité.

Ceci nous amène à l'isomorphisme et à la relation fusionnelle entre Israël et la Torah. Les deux se définissent par la rencontre de l'espace et du temps dans la transcendance. Les deux constituent un devenir et un projet qui s'accomplissent en interaction: la Torah par le juif, le juif par la Torah. Ils se déchiffrent l'un par l'autre.

La Loi est (hala' ha), une marche vers l'accomplissement et non une exégèse de textes jaunis. Ce mot est formé de (hala'h) - "il marche" et la lettre (hé) indiquant la transcendance. C'est, pour chacun de nous, le (lë h lé ha), le "Va pour toi " d'Abraham.



(Avec l'aimable autorisation du Département de l'Education par la Torah de l'Agence Juive).

Source : http://www.lamed.fr/

 


(1) Genèse 2, 4. 
(2) Mena'hott 29 b.
(3) Léh léha 86. 
(4) Signalons encore que la lettre hé est composée d'un dalete, symbolisant les deux dimensions de la terre, et d'un yod, symbolisant la transcendance,.
En hébreu non ponctué les lettres b et v sont identiques.
(5) Exode 20, 15.
(6) Béra'hotte 5 a 
(7) Exode 24, 12.
(8) deutéronome 17 ,11
(9) Demaï (Yerouchalmi) 2; voir aussi Michna Cheviitt 6, 4.
(10) L'année qui succède à une année chabatique. Avant cette réforme, la consommation des légumes était interdite la 8e année pendant le laps de temps nécessaire pour produire de nouveaux légumes.
(11) 2 Rois, 18, 4.
(12) Moise avait dressé ce serpent au moment où, dans le désert, les juifs furent attaqués par les serpents (Nombres 21) qui firent des ravages dans le peuple. La vue de ce serpent d'airain, dressé vers le ciel, guérissait de la morsure. Plus tard, certains en firent une idole et c'est pourquoi Ezéchias le brisa .


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30 novembre 2009 1 30 /11 /novembre /2009 05:38
Steinsaltz, le Talmud pour tous

Quand le rabbin Adin Steinsaltz a décidé en 1965 de rendre le Talmud de Babylone accessible à tout un chacun, il a été fortement critiqué par les éléments conservateurs du judaïsme.

Le rabbin Adin Steinsaltz. 
PHOTO: L'INSTITUT D'ETUDES JUIVES , JPOST

L'audace de Steinsaltz - de changer le format des pages d'un texte vieux de 1 500 ans, d'y placer ses propres explications dans un hébreu moderne au côté des commentaires de l'éminent rabbin Shlomo Ben Itzhaki, alias Rachi - était loin de faire l'unanimité.

Son Talmud a même été interdit par certains éléments de la communauté haredi (ultra-orthodoxe).

Quarante-cinq ans plus tard, au moment où le lauréat du prix Israël, âgé de 73 ans, s'apprête à mettre un terme à ce travail colossal, des rabbins, des universitaires et des enseignants du Talmud reconnaissent l'incroyable contribution de Steinsaltz aux études juives.

Son Talmud se trouve dans la plupart des yeshivot sionistes mais elles n'ont toujours pas droit d'entrée dans la plupart des yeshivot ultra-orthodoxes.

Le 9 décembre prochain, Steinsaltz publiera sa version du traité Niddah, qui traite des lois de la pureté familiale. C'est l'avant-dernier traité talmudique de la série. Le dernier sortira le 7 novembre 2010. Il concerne l'abattage rituel des animaux. Des célébrations auront lieu dans le monde entier pour fêter l'événement.

En plus du projet du Talmud, Steinsaltz a publié une dizaine de livres sur divers sujets, allant d'un polar à un ouvrage sur l'identité juive en passant par la pensée mystique du mouvement Habbad. Il a également organisé un réseau éducatif en Israël, dans l'ex-Union soviétique et en Amérique du Nord.

Influencé par l'éducation sioniste socialiste de son père Avraham, Steinsaltz a lu Lénine et Freud avant d'atteindre l'âge de la bar-mitzva, d'après un article du Tome publié en 1988, l'année où il a été récompensé du prix d'Israël. Avraham a également enseigné le Talmud à son fils et l'a envoyé dans une école religieuse.

Un grand nombre des livres d'Adin Steinsaltz sont traduits en français chez Albin Michel.

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29 novembre 2009 7 29 /11 /novembre /2009 17:59

Léopold Zunz

(1794-1889)

un parcours de fidélité et de lutte érudite

en faveur du judaïsme

Par Sacha Bergheim
 

 

10. August/Moritz Daniel Oppenheim Portrait Leopold Zunz.jpeg
moritz_daniel_oppenheim_portrait_leopold_zunz

Issu d'un milieu modeste, petit-fils par sa mère d'un hazzan, Yomtob Lipman (germanisé en Leopold) Zunz incarne à lui seul les efforts des érudits juifs allemands du 19ème siècle pour obtenir une reconnaissance universitaire du judaïsme comme objet d'étude.

 

Formé initialement au Bet midrash qu'ouvre son père à Hamourg, Zunz se rend à 9 ans, à la mort de son père en 1803, à la Samson Freischule de Wolfenbüttel où il suit un enseignement traditionnel en compagnie notamment du futur historien Isaac Markus Jost.

 

Il se rend ensuite à Berlin où il entreprend des études de philologie classique, discipline auprès des professeurs Boeckh et Wolf. C'est dans ce contexte qu'il participe aux premiers travaux de la Wissenschaft des Judentums en publiant son premier essai : A propos de la littérature rabbinique.

Pour subvenir à ses besoins, il dirige une école juive, avant de soutenir sa thèse à l'université de Halle sur le Sefer haMa'alot de Shemtov ihn Falaqera.

 

Un an plus tard, en 1822, il publie un essai intitulé Salomon Ben Isaac, Rashi, dans lequel il relève le rôle de Gershom Ben Yehuda dans la formation du maître Rashi et le rôle de la première croisade et de l'exclusion culturelle par les Chrétiens dans certains passages. Une méthode critique historique qu'il développera tout au long de sa vie.

Leopold Zunz on his 90th birthday, 10 August 1884.

Critique de l'insubordination des membres des communautés juives, de l'exécution servile des lois cérémonielles, mais aussi de l'empressement de nombreux de ses frères à se fondre dans l'environnement chrétien, Zunz cherche une voie entre d'une part l'othopraxie incarnée par le judaïsme polonais dont il estime qu'il participe à l'exclusion des Juifs de la vie en société, et d'autre part l'assimilation prônée par Samuel Holdheim dont il désapprouve vigoureusement le projet d'abandon du Talmud.

 

Sa vie reflète non seulement les difficultés d'un savant juif à pouvoir enseigner dans l'Allemagne du 19ème siècle, mais aussi le dilemme suscité par l'ouverture des portes du ghetto.

 

À quelles conditions préserver le savoir juif en l'absence du cadre traditionnel de transmission devenu selon lui obsolète et dépassé ?

 

* * *

 

« Une jeunesse nouvelle doit être mieux préparée pour la Maison de D. et y poursuivre son éducation religieuse afin qu'un souffle nouveau vivifie et ranime ses structures vermoulues. »

 

La Science du Judaïsme se voulait un projet de restauration de la vie juive contre l'indifférence juive – suscitée selon lui notamment par la sclérose rituelle – et contre l'hostilité ambiante qui conduisait de nombreux Juifs à la conversion.

 

Il entame alors ave Eduard Gans, Immanuel Wohlwill et d'autres Juifs berlinois un projet érudit de fondation d'une Science du Judaïsme avec la finalité de révéler au monde des savants l'ancienneté et l'importance de la participation juive au progrès de la connaissance.

 

Son encyclopédie étudie sept sciences principales à partir desquelles s'établissent des projets de recherche diversifés, sous l'égide de l'histoire :

« Notre science doit s'émanciper de la tutelle des théologiens [d'une lecture religieuse de l'histoire, NDT] et s'élever au niveau de l'examen purement historique. »

 

On compte les sciences naturelles, la technologie, l'esthétique, les sciences politiques (avec notamment une étude comparée des terminologies juridiques entre le droit hébraïque, le droit romain et le droit grec), et les sciences historiques et linguistiques fondatices du coeur de l'identité juive.

Cela inclut des sciences d'appoint comme la lexicographie de l'araméen et de l'hébreu ou encore la paléographie.

 

La science religieuse repose sur l'étude de la liturgie, des rites tout autant que sur l'examen des dogmes et de la théologie.

 

Zunz relevait ainsi que

« Seuls le Shma, la Tefilla et quelques bénédictions, des louanges, des hymnes et des pétitions privées remontent à la période des Soferim, de la Mishna et du Talmud. Tout le reste, à savoir les piyytuim, les slihot, les qinot proviennent de l'époque des Geonim, des Paytanim et de la première génération des rabbins. »

 

* * *

 

En 1836, Zunz écrit Les Noms des Juifs, un opuscule destiné au roi de Prusse Friedrich-Wilhelm III, à une époque où il était interdit aux Juifs de porter des noms allemands sans être convertis.

 

L'objectif de Zunz était d'amener à une reconnaissance de l'égalité des droits et à l'abandon des discriminations par le biais d'une légitimation scientifique des matières juives.

 

« L'égalité des Juifs dans la vie et les moeurs sera le résultat de l'égalité de la science du judaïsme avec les autres sciences. »

 

Confronté au refus des autorités allemandes d'établir des chaires d'études juives, précisément parce que juives, Zunz verra également ses projets d'obtention d'une chaire de philologie classique refusée en raison de sa judéité.

C'est d'ailleurs en raison de ces discriminations qu'au cours du 19èmesiècle s'est développé en Allemagne un enseignement privé juif associant matières religieuses et matières profanes.

 

Zunz sera ainsi directeur du Lehrseminar de Berlin, après avoir tenté de devenir rabbin.

Après l'obtention d'une hattarat hora'a accordée par Aaron Chorin, Zunz était arrivé à Pragues en septembre 1935, mais l'ambiance orthodoxe et les contraintes du poste l'ont conduit à démissioner moins d'un an plus tard, en juillet 1836, avant de revenir à Berlin.

 

Or, s'il revendique dans un premier temps le « droit de choisir en abolissant l'ancien et en intégrant le nouveau », Zunz prend conscience dans les années 1840 que c'est précisément grâce à la pratique orthodoxe que le sentiment identitaire juif a résisté aux épreuves du temps et de l'histoire.

 

Contre les réformés, il rejette alors l'abandon de la circonsion, symbole de l'Alliance, il rejette le retour au seul Tana'h exigé par les libéraux, et insistera, non plus sur la réforme rituelle, mais sur l'exigence éthique propre au judaïsme, telle qu'elle était prônée par les orthodoxes.

 

« Avant de chercher à réformer la religion, réformons nous nous-mêmes », écrit-il à Abraham Geiger.

 

* * *

 

Le parcours de Leopold Zunz illustre ainsi le dilemme des Juifs allemands pour qui le prix de la fidélité à la tradition juive, qui formait leur coeur et leur identité, était l'exclusion sociale et politique.

 

Sa traduction de la Bible en allemand – publiée en caractères gothiques – , près de 50 ans après celle de Moshe Mendelssohn – publiée en caractères hébraïques – reflète cette volonté de dialogue avec le monde chrétien ainsi que l'acquisition de la langue allemande comme condition de possibilité d'une intégration par l'éducation.

 

De façon similaire mais plus dramatique qu'en France, les Juifs du 19ème, siècle vont chercher à prouver qu'ils pouvaient par le mérite, la loyauté et l'exemplarité devenir des citoyens à part entière, jusqu'à ce qu'une barrière culturelle ne vienne à nouveau les frapper. Ce sera l'affaire Dreyfus.

 

Comme le rappelle Gershom Scholem, les penseurs juifs du 19èmesiècle ont été rapidement confronté à un dialogue de sourds. On ne compte plus les écrivains, philosophes, érudits, scientifiques juifs qui vont donner à l'Allemagne du tournant du siècle ses lettres de noblesse : Cassirer, Kafka, Zweig, Hermann Cohen,...

 

Si individuellement, certains intellectuels ou savants juifs purent, finalement, accéder à l'enseignement et ainsi participer à la société dans laquelle il se sentait citoyen à part entière, 1933 marquera un cruel rappel à la réalité.

 

Le judaïsme comme objet d'étude, de savoir et de respect n'avait pu obtenir la reconnaissance à laquelle Zunz avait consacré sa vie.

 

Mais, en réponse à son dévouement, pourrait-on dire, l'essor des études juives et la connaissance scientifique de la tradition juive lui aura finalement survécu, notamment par les travaux de savants comme Scholem, Altmann,...

 File:Berlin - Jüdischer Friedhof Schönhauser.4075.jpg


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23 novembre 2009 1 23 /11 /novembre /2009 16:30

Pour répondre à Maxime et faisant suite à l'article :
La Bible en tant que document historique.




http://www.aschkel.info/article-histoir-37492258.html



Voici un trés bon article de LIONEL COHN








Torah et HistoireTout, dans l'histoire de l'humanité, se passe comme si les faits se déroulaient sur une scène de théâtre, où les personnages seraient toujours remplacés par d'autres, alors que la toile de fond, la Torah, resterait en permanence, témoin éternel de la révélation divine.


" Du haut des cieux, l'Eternel promène ses regards, Il voit tous les fils de l'homme.
De la résidence qu'Il s'est réservée,
Il dirige son attention sur tous les habitants de la terre." 

Psaumes, XXXIII, 13,14.

A toutes les époques, les penseurs, religieux ou incroyants, ont essayé de dégager de l'histoire de l'humanité une conception globale, qui permette d'expliquer l'ensemble des faits humains, dans un cadre préfabriqué, en quelque sorte. 
De la théorie de la Providence de Bossuet à la loi des trois états d'Auguste Comte, de l'explication de l'histoire par la littérature, selon Victor Hugo à la conception matérialiste du marxisme, autant d'hypothèses qui veulent tenter de donner une signification à ce que l'on a appelé " le phénomène humain ".

 

LA TORAH, AXE HISTORIQUE DE L'HUMANITE

 

Les meilleures preuves de la valeur éternelle de la Torah sont des preuves d'ordre historique.

Or, bien souvent, l'on entend dire que la Torah n'a pas de philosophie de l'histoire; qu'elle ne résout pas les problèmes des rapports des peuples entre eux, qu'elle n'a pas de conception qui explique le sens des événements de l'Histoire. C'est évidemment méconnaître fondamentalement le message de la Torah, qui a une double valeur historique. En effet, tout d'abord, en tant que trésor divin confié par le Créateur au peuple juif, sur le Mont Sinaï, la Torah est devenue, dans une certaine mesure, l'axe autour duquel doit se dérouler l'histoire de l'humanité ; et d'autre part, comme nous pouvons le lire dans le Kouzari (I, 11-25), les meilleures preuves de la valeur éternelle de la Torah sont des preuves d'ordre historique.

Ainsi est-il peut-être intéressant de noter, en analysant brièvement l'histoire des différentes civilisations qui se sont succédé sur terre, les conséquences de la réaction négative des peuples à la révélation du Sinaï. Le midrash est bien connu, qui raconte que toutes les peuplades ont, avant l'acceptation d'Israël, avancé un autre prétexte pour refuser la Torah. Mais la conséquence en fut que, seule de toutes les nations de l'Antiquité, devait survivre la nation qui avait accepté d'obéir aux règles qui permettent à " l'homme qui les observe d'obtenir par elles la vie" (Lévitique, XVIII, 5.)

Si nous voulions approfondir l'étude des brillantes civilisations égyptienne ou babylonienne, il nous faudrait étudier de vieux manuscrits, dont l'authenticité est toujours incertaine.

Si nous voulions, en effet, approfondir l'étude des brillantes civilisations égyptienne ou babylonienne, il nous faudrait étudier de vieux manuscrits, dont l'authenticité est toujours incertaine; Il faudrait analyser des documents, comme le fameux code d'Hammourabi, dont l'actualité remonte bien haut ; et pourtant, il date presque de la même époque que le premier de nos patriarches, Abraham, qui, lui, reste, pour chaque Juif conscient, un exemple de dévouement à la parole divine.

Et, si nous descendons plus près de nous, nous voyons ces civilisations disparaître pour faire place à l'influence de la philosophie grecque d'abord, du génie latin plus tard. Ici encore, est-il possible de comparer l'influence qu'ont, sur les peuples du XXème siècle, Platon ou Socrate, Aristote ou Sénèque, à la valeur que gardent pour nous les sentences des rabbins du Talmud, leurs contemporains pourtant ?

De la même façon, devaient surgir par la suite les religions chrétienne et islamique qui s'inspirèrent des leçons de la pérennité d'Israël, en adoptant, dans les lois de la Torah, celles qui malgré tout, convenaient le mieux à leurs tempéraments respectifs ; mais ce n'était là qu'un choix humain et donc périssable. C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre, semble-t-il, la désaffection grandissante, à l'époque moderne, des peuples à l'égard des religions, quelles qu'elles soient, et l'attrait pour les idéologies nouvelles, fruit d'un rationalisme excessif.

 

ISRAEL, TEMOIN DE L'ANTIQUITE DANS LES TEMPS MODERNES

 

Cependant, face à toutes ces vicissitudes, et malgré toutes les persécutions ou les abandons, Israël, seul témoin de l'Antiquité dans les Temps modernes, devait rester ferme et fidèle dans sa foi en Celui qui avait choisi la descendance d'Abraham, comme peuple privilégié. Et ce rôle de témoin attribué à Israël, nous le retrouvons dans de nombreux récits de la Torah. En effet, fréquemment, l'on entend dire que la Torah n'est, en fait, que le produit de l'influence des civilisations anciennes, et que des récits comme l'âge d'or primitif ou le déluge se retrouvent dans des légendes populaires des peuples de l'Antiquité. Or le Juif traditionaliste, qui considère la Torah comme un absolu d'origine divine, voit précisément dans ces légendes le résultat de l'influence du récit biblique sur l'imagination populaire des peuples contemporains; ce sont eux qui ont présenté sous forme de légende des événements vrais, mais trop lointains pour sembler historiques; et seule la Torah reste présente pour nous en garantir l'authenticité.

C'est donc l'attachement à la Torah qui est la garantie de la permanence de la Providence divine.

On pourrait multiplier les exemples, de la même sorte, pour démontrer combien l'histoire du peuple d'Israël devait être constamment, au cours des âges, le reflet de la réponse des nations à la Révélation du Sinaï; et tout, dans l'histoire de l'humanité, se passe comme si les faits se déroulaient sur une scène de théâtre, où les personnages seraient toujours remplacés par d'autres, alors que la toile de fond, la Torah, resterait en permanence, témoin éternel de la révélation divine.

C'est donc l'attachement à la Torah qui est la garantie de la permanence de la Providence divine, et c'est dans cette optique qu'il faut comprendre le commentaire de Rachi sur la bénédiction d'Isaac à Esav : " Quand les enfants d'Israël se détourneront de la Torah, alors tu pourras relever la tête" (Genèse, XXVIII. 40, dans Rachi.) Et cette Providence se décompose. selon la tradition juive, en une providence générale ("hachga'hah kelalit") applicable à tous les peuples de la terre, et une providence Particulière" (" hachga'hah peratit"), applicable à chacun des Individus du peuple d'Israël.

Axe autour duquel les faits humains se déroulent, ou toile de fond de l'humanité, tel nous semble être le rôle historique de la Torah, et par là même du peuple d'Israël. La Torah révèle ainsi une conception qui semble bien être confirmée par les données même de l'Histoire. C'est là le sens de ce commentaire du Kéli yakar sur le 1er Commandement : " Pourquoi, demande-t-il, est-il écrit "Je suis l'Eternel, ton D.ieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte " et non pas a ... qui ai créé les cieux et la terre " C'est que le Créateur voulait souligner qu'Il ne s'est pas borné à créer le monde, mais que par la suite, Il continue éternellement à diriger l'histoire de l'humanité ".

Lionel COHN
pour http://www.lamed.fr/ 

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