Il faut se rendre à l'évidence, à elles seules, les sanctions économiques ne parviendront pas à dissuader l'Iran de poursuivre son but inavoué : se doter de l'arme nucléaire.
La centrale nucléaire iranienne de Busher.
PHOTO: MEHDI GHASEMI, ISNA/AP , JPOST
Il y a fort à parier que la Russie et la Chine, avec leur droit de veto au Conseil de sécurité, se chargeront de restreindre la portée des sanctions contre la République islamique. C'est ce qu'elles ont fait jusqu'à présent. Pourquoi agiraient-elles différemment à l'avenir alors que toutes deux visent à accroître leurs échanges commerciaux et technologiques avec l'Iran et, pour cela, tiennent à faire preuve de complaisance envers Téhéran ? Puis, argument de taille, un Iran atomique servirait à affaiblir leur adversaire stratégique, les Etats-Unis, au Moyen-Orient. Raison de plus, pour la Russie et la Chine, d'amoindrir les nouvelles sanctions que le Conseil de sécurité pourrait imposer à l'Iran.
L'instabilité qui prévaut actuellement au sommet du pouvoir à Téhéran milite, elle aussi, contre l'efficacité des sanctions à l'encontre de l'Iran. Après les élections du mois de juin dernier, le président Ahmadinejad se trouve fragilisé, non seulement par la pression de l'aile "réformiste" du régime (les vainqueurs des élections), mais aussi par les rivalités au sein de son propre camp, celui des ultraconservateurs. Si, sous la pression des sanctions, Ahmadinejad renonçait au programme de développement de l'arme atomique, il y a fort à parier que ses rivaux ultraconservateurs crieraient à la faiblesse, voire à la trahison, et pousseraient à sa destitution. Aussi, faire fi des sanctions peut s'avérer pour lui et sa clique une question de survie politique.
Alors, la voie militaire ? Oui, mais... Le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a mis en doute l'efficacité de cette option en déclarant que bombarder les installations nucléaires ne servirait qu'à retarder - et non pas à empêcher définitivement - le développement de l'arme atomique par l'Iran. Allant dans le même sens, le chef de l'état-major américain, l'amiral Mike Mullen, affirmait au mois de novembre : "La dernière chose au monde dont j'ai besoin actuellement, c'est un troisième conflit" (The Economist, 4 décembre 2009).
De telles déclarations ne peuvent que conforter les autorités iraniennes dans leur bras de fer avec la communauté internationale. En effet, si deux membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (la Russie et la Chine) se montrent réticents à soutenir des sanctions réellement dissuasives à l'égard de l'Iran, et si, de surcroît, la première puissance mondiale donne à son tour l'impression d'avoir renoncé d'entrée de jeu à une solution militaire, pourquoi, alors, l'Iran ne persisterait-il pas à narguer la communauté internationale et à poursuivre ses desseins atomiques ?
Les Etats-Unis, entre grandeur et décadence
Or, la poursuite par l'Iran de son programme nucléaire, sans renoncer aux intentions militaires de celui-ci, n'irait pas sans causer de graves dommages collatéraux sur le prestige et la crédibilité du président Obama.
Les Etats arabes partenaires des Etats-Unis, se sentant menacés par un Iran sur le point de devenir puissance atomique, jugeraient l'Amérique peu fiable du fait de n'avoir pu faire barrage aux ambitions iraniennes et chercheraient à réduire leur dépendance envers le protecteur américain par deux moyens différents : primo, en se procurant eux-mêmes l'arme atomique, ce qui scellerait la mort de la non-prolifération nucléaire ; secundo, en s'approchant des puissances rivales des Etats-Unis, notamment la Russie et la Chine. Ces deux pays tireraient ainsi les premiers dividendes géopolitiques de leur attitude conciliante envers le régime des Ayatollahs.
Qui plus est, comment Obama pourrait-il faire montre de résignation face à l'entêtement iranien, après avoir dit et redit durant sa campagne électorale que le développement par l'Iran de l'arme atomique était "inacceptable" ?
La sanction du peuple américain, inquiet d'avoir à vivre dans un monde sous l'emprise de la prolifération nucléaire, ne tarderait pas à se manifester dans les urnes...
Obama court ainsi le risque de se "cartériser", c'est-à-dire de devenir le président d'un seul mandat à cause d'une politique extérieure infructueuse. Son discours à Oslo, lors de la remise du prix Nobel de la Paix, permet de penser qu'il est conscient des enjeux soulevés par le dossier iranien. Plusieurs passages du discours laissent entrevoir qu'il n'exclut pas d'emprunter, même unilatéralement, la voie de la riposte armée pour régler le contentieux avec l'Iran.
Voici un de ces passages : "Des moments viendront où des nations - agissant individuellement ou en concertation - trouveront l'usage de la force non seulement nécessaire mais aussi moralement justifié."
L'option militaire pourrait bien revenir sur le devant de la scène, notamment après le dernier délai accordé à l'Iran pour se conformer aux demandes de la communauté internationale, c'est-à-dire fin 2009.
A ce sujet, un rapport préparé pour le think tank Bipartisan Policy Center appelle justement à utiliser l'option militaire afin de renforcer le pouvoir de dissuasion des sanctions économiques.
Des options armées, mais lesquelles ?
En réalité, il existe plus d'une option militaire.
La première est celle qui vient tout de suite à l'esprit : attaquer les installations nucléaires iraniennes. C'est cette voie qui éveille les doutes du secrétaire américain à la Défense, Robert Gates : l'Iran a pu cacher et disséminer sa plate-forme nucléaire, de sorte qu'une attaque de ses sites ne pourrait jouir de l'effet de surprise et ne ferait que retarder les ambitions iraniennes.
Une deuxième option a la faveur du rapport préparé pour le Bipartisan Policy Center mentionné ci-dessus. Il s'agirait d'un blocus naval de l'Iran suivi, si besoin était, de frappes aériennes. Rien ne permet cependant d'assurer que l'Iran se plierait à un blocus naval, d'autant que l'on parle déjà de l'existence d'un plan russe destiné à fournir de l'essence à l'Iran, via l'Azerbaïdjan et le Turkménistan, en cas de renforcement des sanctions.
On pourrait envisager une troisième option : s'inspirant de l'attaque lancée par le président Reagan contre Kadhafi en 1986, elle consisterait à axer les frappes militaires - éventuellement de manière récurrente - non pas tant sur les sites nucléaires iraniens (cachés pour la plupart), mais sur les centres du pouvoir politico-militaire, en particulier les installations de la moelle épinière du régime, les "Gardiens de la révolution". Cela provoquerait un choc psychologique au sommet de la hiérarchie iranienne semblable à celui qui conduisit Kadhafi à tempérer ses agissements sur la scène internationale après les frappes de Reagan.
Autrement dit, si les sanctions économiques à elles seules peuvent pousser Ahmadinejad à se retrancher dans son refus de céder, des actions militaires contre les centres du pouvoir iranien, en revanche, induiraient la hiérarchie iranienne (avec ou sans Ahmadinejad) à cesser de tergiverser.Autant les sanctions économiques appliquées sans l'usage de la force pourraient amener Ahmadinejad à se braquer afin de ne pas se voir accusé de mollesse par ses rivaux ultraconservateurs, autant ces mêmes rivaux pourraient profiter d'une attaque militaire américaine contre les centres du pouvoir iranien pour blâmer le groupe d'Ahmadinejad d'avoir mal calculé ses atouts et d'avoir exposé indûment le régime iranien à une confrontation directe avec la première puissance mondiale.
L'auteur vient de publier Ternes Eclats - Dans les coulisses de la Genève internationale,éditions L'Harmattan.
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