Je n'irai pas Gaza
Par Fabio Rafaël FIALLO
Pour © 2011 www.aschkel.info
Economiste et écrivain, fonctionnaire ONU à la retraite. Son dernier ouvrage, Ternes Eclats – Dans les coulisses de la Genève internationale (L’Harmattan), présente une critique de la diplomatie multilatérale, y compris du parti pris anti-israélien qui a cours dans certaines instances internationales.
D’emblée je le proclame : je n’irai pas à Gaza. Oh, je le sais, je perds ainsi une occasion inouïe de me mettre du côté des bonnes consciences, de celles qui, à longueur d’année, nous donnent des leçons de morale, font le tri des problèmes du monde pour nous dicter ce contre quoi nous devons nous insurger, et par voie de conséquence, ce que nous devons oblitérer, c’est-à-dire les souffrances enfouies des peuples qui ne valent pas une flottille, pas même un billet d’avion, des peuples qui crèvent (au Tibet, au Zimbabwe, à Cuba, ailleurs aussi) au vu et au su des indignés professionnels sans que ces derniers daignent leur accorder davantage qu’une déclaration çà et là, ou une petite manif de fortune, pour se donner une contenance.
On peut bien sûr arguer, et les professionnels de l’indignation ne se privent pas de le faire, que les malheurs des autres n’enlèvent rien à ceux des Palestiniens, qu’il faut soutenir les Gazaouis – d’où leur flottille « humanitaire ». Sauf que, si le but était d’améliorer les conditions de vie à Gaza, les participants à cette croisière médiatique auraient pu envoyer leurs médicaments et produits alimentaires par voie terrestre en toute légalité. Et ils le savent.
Par ailleurs, une dépêche de Reuters nous apprend que près de 6,000 tonnes d’articles de première nécessité (comestibles, produits pharmaceutiques, essence) entrent actuellement chaque jour à Gaza via Israël[1] – en plus de ceux qui commencent à y arriver par la frontière égyptienne. La même dépêche se réfère au directeur du bureau de l’OMS à Gaza, Mahmoud Daher, qui attribue la pénurie de médicaments sur ce territoire à deux raisons principales : le fait que les autorités palestiniennes ne paient pas leurs fournisseurs dans les délais stipulés ; et le manque de coopération entre les autorités sanitaires de Gaza et celles de la Cisjordanie. Ce n’est donc pas la faute d’Israël.
Rien d’étonnant que le Secrétaire général des Nations unies ait déclaré plus d’une fois que le transport de l’aide aux Palestiniens peut et doit se faire par la route et non pas au moyen de flottilles[2].
Mais les indignés professionnels ne l’entendent pas de cette oreille, car leur but, le vrai, le seul, consiste à diaboliser un blocus maritime de Gaza qu’Israël s’est vu obligé d’instaurer afin d’empêcher le Hamas d’acheminer des armes destinées à lancer des attaques terroristes contre la population d’Israël. Quel pays, démocratique ou autre, soucieux d’assurer l’intégrité physique de ses citoyens, agirait différemment ?
En voulant réitérer cette année l’aventure de la flottille contre Israël, les organisateurs de celle-ci font preuve d’une maladresse politique époustouflante : ils se mettent du mauvais côté de l’histoire. Et ce, non seulement parce que les peuples arabes qui manifestent contre leurs oppresseurs peuvent en vouloir aux organisateurs de la flottille de détourner l’opinion et les médias internationaux de leur lutte à un moment où celle-ci est à son pic, mais, plus important encore, parce que les propres Gazaouis ont à l’heure actuelle d’autres soucis, et d’autres priorités, qu’accueillir une flottille contre Israël : ils donnent des signes clairs de vouloir emboîter le pas de leurs voisins arabes en tentant de se débarrasser de la férule du Hamas.
En effet, au mois de mars dernier, les Gazaouis ont manifesté par milliers pour demander la tenue des élections que le Hamas, sachant par les sondages que l’issue lui en serait défavorable, essaie de renvoyer aux calendes par tous les moyens. Des élections sont certes prévues d’ici à un an, mais rien ne dit que le Hamas jouera le jeu cette fois-ci à moins d’être mis sous une pression considérable. Quoi qu’il en soit, l’embryon de Printemps arabe dans la bande de Gaza, le Hamas l’a étouffé dans la répression et dans le sang. Ce qui a amené Ayman Shaheen, professeur à l’université Azhar de Gaza, à déclarer que « le Hamas est pire que Moubarak »[3]. Aussi, organiser une flottille cette année peut-il s’avérer être une pitoyable manœuvre de diversion favorable au Hamas.
Si les indignés professionnels souhaitaient réellement faire avancer l’histoire dans le sens du respect des droits de l’homme, pourquoi n’organisent-ils pas une flottille pour la Syrie, où l’on tue sans ménagement des dizaines de manifestants sans défense par semaine ? Mais non, contre la Syrie on se contente dans le meilleur des cas de monter un piquet de protestation en face de l’ambassade de ce pays dans quelque capitale européenne, cependant que l’on envoie toute une flottille contre Israël. Autrement dit, les indignés n’osent pas aller titiller sur place le pouvoir syrien.
Et pour cause : l’accueil en Syrie serait bien plus musclé, et c’est un euphémisme, qu’un simple refus d’entrée comme le font les autorités israéliennes (à moins, bien entendu, que ces dernières soient confrontées à une provocation armée, comme ce fut le cas l’été passé lors de l’arraisonnement du bateau Mavi Marmara).
Que l’indignation est facile, et même couarde, chez les organisateurs de la flottille contre Israël !
· Economiste et écrivain, fonctionnaire ONU à la retraite. Son dernier ouvrage, Ternes Eclats – Dans les coulisses de la Genève internationale (L’Harmattan), présente une critique de la diplomatie multilatérale, y compris du parti pris anti-israélien qui a cours dans certaines instances internationales.
[1] Nidal al-Mughrabi, « Gaza shelves stocked ; but hope in short supply », Reuters, 30 juin 2011.
[2] « Government officials against the flotilla », NGO Monitor, 29 mai 2011.
[3] « Not immune », The Economist, 26 mars 2011.