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La leçon tunisienne à Washington
Par CAROLINE B. GLICK
Jerusalem Post 17/01/2011
http://www.jpost.com/Opinion/Columnists/Article.aspx?id=204051
Adaptation française de Sentinelle 5771 ©
Le régime du président tunisien n’a pas a été la seule chose détruite. Les deux fondements principaux de ‘l’expertise’ occidentale au Moyen Orient ont aussi défaits.
Si au zénith des protestations antigouvernementales en Tunisie la semaine dernière, Israël et les Palestiniens avaient signé un accord final de paix, les protestataires auraient-ils roulé leurs pancartes pour rentrer à la maison ?
Bien sûr que non.
Ainsi, que nous dit la nature de la politique des USA au Moyen Orient, quand, alors que les protestations contre le régime en Tunisie étaient à leur zénith, la Maison Blanche était consumée par la question de savoir comment précipiter le démarrage du processus de paix caustique entre les Palestiniens et Israël ?
Selon la revue ‘Politico’, alors que la première révolution populaire dans l’histoire arabe moderne était en pleine balance, la semaine dernière la Maison Blanche organisait deux « forces opérationnelles pour fournir de nouvelles idées » pour que les Palestiniens acceptent de s’asseoir avec des négociateurs israéliens. La première comprenait les anciens conseillers à la Sécurité Nationale de Clinton et de Bush Sandy Berger et Stephen Hadley.
La seconde est dirigée par l’ancien ambassadeur des USA en Israël sous l’administration Clinton Martin Indyk.
Et alors que ces experts se mettaient en place, le président des USA Barak Obama envoya en Israël Dennis Ross, son conseiller et ancien envoyé pour la paix au Moyen Orient sous les gouvernements Bush père, Clinton et Bush fils pour rencontrer des dirigeants israéliens et palestiniens et leur demander de proposer des « nouvelles idées ». Etonnamment, rien de neuf ne surgit de ces forces opérationnelles ou de ces rencontres.
De nouveau, selon ‘Politico’, ces forces opérationnelles et consultations ont engendré trois décisions potentielles à la Maison Blanche selon Obama. D’abord, elles peuvent accentuer la pression sur Israël en annonçant le soutien des USA à un « plan de paix » qui exigerait d’Israël de céder sa capitale et ses frontières défendables.
Ensuite, les USA peuvent pressurer Israël en cherchant à déstabiliser le gouvernement du Premier ministre Benyamin Netanyahou
Et troisièmement, les USA peuvent pressurer Israël en injectant encore plus d’argent dans les coffres du gouvernement palestinien non élu pour augmenter ainsi les attentes de voir les USA soutenir le plan du gouvernement palestinien non élu, déclarer l’indépendance sans donner son accord pour vivre en paix avec Israël.
Voilà pour les idées nouvelles.
Puis il y a le drame qui se déroule au Liban. Il est difficile de penser à une plus grande claque au visage que celle du Hezbollah et de la Syrie envoyée à Obama mercredi dernier. Le Hezbollah a fait tomber le gouvernement du Premier ministre libanais Saad Hariri avec le soutien ouvert et actif de la Syrie pendant que Obama recevait Hariri dans le Bureau Ovale.
Et comment Obama répondit-il à cette claque en pleine face ? En envoyant l’ambassadeur Robert Ford à Damas pour prendre son nouveau poste comme premier ambassadeur des USA en Syrie depuis que celle-ci et le Hezbollah ont comploté d’assassiner le père d’Hariri, l’ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri il y a six ans.
La réalité percute le gouvernement Obama. Mais plutôt que de se confronter aux défis de la réalité, ce gouvernement Obama plonge la tête dans le sable. Et il enterre sa tête dans le sable avec le ferme soutien de l’élite politique consanguine des affaires étrangères des USA.
Le renversement du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali vendredi dernier est un tournant dans le monde arabe. Il est bien trop tôt pour seulement risquer un pari sur la façon dont la Tunisie apparaîtra dans un an. Mais il n’est pas trop tôt pour comprendre que le régime de Ben Ali n’était pas la seule chose détruite vendredi dernier. Les deux fondements principaux de « l’expertise » occidentale du Moyen Orient ont aussi été défaites.
Le premier fondement de ce qui passait pour une sagesse occidentale sur la région est que la seule chose qui motive l’action de la proverbiale « rue arabe » est la haine d’Israël.
Depuis près d’une génération, les administrations successives des USA ont fondé leur politique au Moyen Orient sur la sagesse collective des semblables de Ross, Hadley, Berger, Indyk, George Mitchell, Dan Kurtzer et Tony Blair. Et pendant près d’une génération, ces hommes avisés ont mis en avant que la réforme arabe, la démocratie, les droits de l’homme, les droits des femmes, les droits des minorités, la liberté religieuse, le développement économique et le respect de la loi ne peuvent être réglés qu’après la signature d’un traité de paix entre Israël et les Palestiniens. Selon leur vision « experte », les autocrates arabes et leurs sujets réprimés aussi sont tellement contrariés par la détresse des Palestiniens qu’ils ne peuvent pas se soucier de leur propre existence.
La révolution en Tunisie démontre que cette « sagesse », ce sont de fieffées et totales balivernes. Comme les gens de partout, ce qui intéresse le plus les Arabes, ce sont leur propre niveau de vie, leur liberté relative ou son absence, et leurs perspectives d’avenir.
Mohammed Bouazizi, le Tunisien de 26 ans diplômé qui s’immola par le feu le mois dernier après que des forces de sécurité du régime eurent détruit sa charrette de produits non immatriculée, n’a pas agi ainsi à cause d’Israël.
L’Egyptien qui s’immola par le feu au Caire lundi devant le Parlement égyptien, et l’Algérien qui s’immola à Tebessa dimanche n’ont pas choisi de s’immoler sur la place publique à cause de leur souci des Palestiniens. De même, les manifestants opposés au régime en Jordanie ne manifestent pas parce qu’il n’existe pas d’Etat palestinien à l’ouest du Jourdain.
La révolution tunisienne démontre que « l’unité arabe » et l’engagement pour « les droits palestiniens » ne sont rien de plus qu’une concession aux « experts » occidentaux.
La principale préoccupation des dictateurs arabes, ce n’est pas Israël, mais le prolongement de leur emprise sur le pouvoir. De leur point de vue, l’une des clés pour maintenir leur poigne de fer au pouvoir, c’est de neutraliser le soutien des USA à la liberté.
En mettant en avant qu’Israël est à la racine de toutes les pathologies arabes, les despotes arabes placent les USA sur la défensive. En défendant leur soutien aux Juifs haïs, les USA se sentent moins à l’aise pour critiquer les dictateurs dans la répression de leur propre peuple. Et sans les Américains les surveillent de trop près, les dictateurs arabes peuvent dormir plus ou moins aisément. Puisque l’Europe ne se soucie guère qu’ils piétinent les droits de l’homme, seuls les USA constituent une menace à la légitimité de ces autocrates arabes dans la répression de leur peuple avec une poigne d’acier.
Et cela nous conduit au deuxième fondement fallacieux de « l’expertise » occidentale du Moyen Orient détruit par les évènements récents en Tunisie. Ce fondement, c’est de croire qu’il est possible et désirable de bâtir une alliance structurée stable sur le dos des dictatures.
La révolution en Tunisie a démontré deux vérités fondamentales sur les relations avec des dictatures. D’abord, elles ne peuvent pas prolonger le régime. Puisque les dictateurs ne représentent rien d’autre qu’eux-mêmes, quand le dictateur quitte la scène, personne ne se sentira lié par ses décisions.
La seconde vérité fondamentale démontrée par le renversement de Ben Ali, c’est que tout pouvoir est fugace. Le jour de Ben Ali est arrivé vendredi dernier. Le jour de ses frères despotes arabes arrivera aussi. Et quand ils sont renversés, leurs alliances les seront aussi. A un degré significatif, l’échec du gouvernement Obama à comprendre l’instabilité chronique de dictatures explique son obsession de se compromettre avec le dictateur syrien Bashar Assad. Parce les USA font l’hypothèse fausse que le régime Assad est par nature stable, il ne comprends pas la motivation de la préférence d’Assad pour l’Iran et le Hezbollah plutôt que les USA.
Assad est un membre de la communauté minoritaire alaouite. Il a peur de son peuple non seulement parce qu’il le réprime par un régime de terreur, mais aussi à cause de son identité alaouite, et la majorité des Syriens ne le considèrent pas comme des un leurs.
Comme dictateurs et assassins eux-mêmes, les ayatollahs en Iran et les maîtres terroristes du Hezbollah soutiennent le régime d’Assad d’une manière que jamais les USA ne pourraient adopter, même s’ils le souhaitaient. De fait, de la façon dont Assad voit les choses, selon la nature de son régime, il n’y a aucune chance pour qu’une alliance avec les USA puisse faire autre chose qu’affaiblir l’emprise de son régime sur le pouvoir.
Les tentatives des USA pour bâtir des relations avec Assad indiquent à ce dictateur deux choses apparemment contradictoires dans le même temps. D’abord, elles lui signalent que son alliance avec l’Iran et le Hezbollah renforce sa stature régionale. Sans ces alliances, les USA ne seraient pas motivés pour chercher un compromis avec lui.
Ensuite, du fait de l’instabilité chronique de son Etat de terreur tyrannique, et de sa peur absolue de la démocratie qui en découle, Assad voit les tentatives américaines pour l’attirer dans l’alliance occidentale comme des essais pour renverser son régime. Plus les émules d’Obama et de Clinton cherchent à l’attirer, plus il est sera convaincu qu’ils sont ligués avec Israël pour le faire tomber.
Apparemment, la révolution tunisienne justifie la politique de l’ancien président George W. Bush de pousser à la démocratisation du monde arabe. Comme Bush l’a reconnu à la suite des attaques du 11 septembre 2001, les USA sont mal accompagnés s’ils se reposent sur des dictateurs qui maintiennent leur pouvoir sur le dos de leur peuple.
Bush a eu des difficultés cependant en traçant une ligne directe entre le problème et sa solution retenue : des élections. Comme la victoire du Hamas dans l’Autorité Palestinienne et les victoires des ‘Frères Musulmans’ dans les élections parlementaires en Egypte d’un côté, et la déstabilisation de gouvernements démocratiquement élus au Liban, en Afghanistan et en Irak de l’autre, des élections ne sont pas la solution à l’autoritarisme.
La révolution tunisienne fournit plusieurs leçons aux décideurs politiques des USA. D’abord, en nous rappelant la fragilité inhérente des alliances avec les dictatures. La Tunisie démontre l’impératif stratégique d’un Israël puissant. En tant que seule démocratie stable de la région, Israël est le seul allié fiable des USA au Moyen Orient. Un Israël puissant et sûr est la seule garantie permanente des intérêts stratégiques des USA au Moyen Orient.
Ensuite, les USA doivent procéder avec une grande prudence en considérant leurs liens avec le monde arabe. Tous les paris doivent être couverts. Cela signifie que les USA doivent maintenir des liens étroits avec autant de régimes que possible de sorte qu’aucun ne soit considéré comme irremplaçable.
L’Arabie saoudite doit être équilibrée avec l’Irak, et il faut soutenir un nouveau régime en Iran. Un soutien pour l’Egypte doit être équilibré avec des relations étroites avec le Sud Soudan, et d’autres Etats d’Afrique du Nord.
De même pour générer des alternatives démocratiques, les USA doivent s’assurer qu’ils ne font aucune promesse qu’ils n’ont pas l’intention de tenir. La tragédie actuelle au Liban est un rude coup au prestige des USA parce que Washington n’a pas tenu sa parole de se tenir aux côtés du Mouvement du 14 Mars contre le Hezbollah.
Dans le même temps, les USA doivent financer et soutenir publiquement des mouvements démocratiques libéraux quand ils émergent. Ils doivent aussi financer des mouvements démocratiques moins libéraux quand ils naissent. De même, avec la force des media islamistes, les USA doivent faire un usage judicieux de leurs supports de media en Arabe pour faire connaître leur propre message de démocratie libérale au monde arabe.
La révolution en Tunisie est un évènement extraordinaire. Et comme d’autres évènements extraordinaires, ses répercussions sont ressenties loin au-delà de ses frontières. Malheureusement, le comportement du gouvernement Obama indique qu’il se refuse à reconnaître l’importance de ce qui arrive.
Si le gouvernement Obama persiste à ignorer les vérités fondamentales révélées par le reversement populaire du dictateur tunisien, cela ne fera pas que marginaliser la puissance des USA au Moyen Orient. Cela mettra en danger les intérêts des USA au Moyen Orient.