mercredi 29 décembre 2010, par
« Le désert se réjouira et fleurira » (Is. 35.1)
Le père est le général Doron Almog. Le fils Eran Almog.
La journaliste de Israël Hayom, Amélie Amrosi, voit devant elle « le roi David », homme de guerre et poète plein d’amour qui écrit des poèmes et sait pleurer. Il a abandonné « l’épée et le bouclier » pour caresser la tête d’une jeune paralysée, pour changer les couches d’un fils de 23 ans, pour lacer les chaussures d’un jeune sur sa chaise roulante. Le général Doron Almog a ôté son uniforme militaire afin de mener un ultime combat en faveur de ceux qui n’ont personne pour lutter pour eux : adultes retardés mentaux et handicapés profonds. « Ce chaînon le plus faible de la société est « otage » de notre compassion ».
C’est le même homme, accusé de crime de guerre par la gauche européenne, qui déplace des montagnes pour créer un monde nouveau pour les malades mentaux. Son travail pour la sécurité d’Israël est inestimable, mais celui pour les pensionnaires du village de réhabilitation ne l’est pas moins.
Dans l’appartement de la famille Almog, sur le mur des toilettes, une affiche, en grosse lettres noires : « Israël n’est pas l’Amérique ». Combien on le sent dans cette maison ! Le jour de l’interview se trouvait entre deux journées d’anniversaires de deuil : celle des soldats tombés pendant la guerre de Kippour, dont son jeune frère et une longue liste d’officiers et de compagnons d’arme, et celle de la mort de cinq membres de la famille Almog tués dans l’attentat du restaurant Maxime à Haïfa : le neveu de Doron, sa femme, leur fils et deux petits enfants, trois générations. Dans cette maison, le deuil tend ses fils d’une chambre à l’autre avec les photos silencieuses accrochées au mur. Eran Almog numéro 1, frère de Doron, abandonné blessé sur le plateau du Golan perdit son sang entre les pierres noires de basalte. Eran Almog numéro 2, le fils de Doron, né autiste handicapé profond. Son père s’est juré de ne pas l’abandonner sur le terrain et réalisa avec une grande sensibilité le rêve d’un village spécial pour des jeunes comme son fils. Ce dernier est mort d’une longue et douloureuse maladie, quelques mois après l’inauguration du village. Shoem Almog, la fille de Doron, née avec une malformation du cœur, morte à un mois.
Entre terrorisme et compassion
Almog, 60 ans, marié à Didi qui vient de quitter l’enseignement, est père de Nitzan qui finit un doctorat sur l’éducation spécialisée. Après les feux de combats intenses et 35 années de service dans l’armée, général de réserve dans les parachutistes, officier de l’unité parachutiste Chaldag, commandant de divisions dans la Bande de Gaza, commandant du secteur Sud, il garde toujours un esprit combattant, toujours en première ligne. Au cours de l’opération Entebe il fut le premier sur le terrain de l’aéroport et le dernier à en repartir.
Ce général israélien est recherché dans le monde comme criminel de guerre et comme homme d’affaires. Quand il a quitté l’armée, il a fondé une société internationale Kaïros pour le conseil et le développement de solutions de protection du citoyen contre le terrorisme et un groupe d’intérêts Athlone spécialisé également dans la technologie israélienne contre le terrorisme. Jusqu’à ce jour il a investi plus 120 millions de shekels dans cette société.
En 2006 Almog fut nommé président de la commission d’enquête militaire sur la recherche des erreurs commises lors du kidnappage de Uri Golvasser et Adler Reguev, ainsi que sur les raisons qui entraînèrent la deuxième guerre du Liban.
Autrefois, il allait seul dans les nids de terroristes de la Bande de Gaza, actuellement il mène toujours la même guerre mais par ordinateur, une guerre « stérilisée » ; mais il reconnaît que c‘est toujours aussi difficile de « trouver une aiguille dans une motte de foin. » Cette lutte contre le terrorisme n’est jamais sans bavures car on risque toujours d’atteindre des innocents.
Pendant le désengagement de la Bande de Gaza qu’il connaît comme sa poche, il n’était déjà plus dans l’armée. Aujourd’hui il est très critique sur la façon dont s’est fait le désengagement et la réinsertion des évacués.
Almog est sans aucun doute un homme d’armée, son parler est direct, incisif mais par contre son âme brûle d’amour. Depuis 5 ans il « construit » un village de réhabilitation unique dans son genre, Aleh Negev, pour les handicapés mentaux et il ne manque ni d’enthousiasme ni de vision. Des spécialistes du monde entier, des U.S.A, d’Europe, convergent vers ce village à l’allure de petit kibboutz érigé dans le Néguev, près de Ofakim, pour reproduire ce modèle chez eux. 121 jeunes handicapés physiques et mentaux profonds sont répartis dans les quartiers en cellules familiales. La plupart ne peuvent ni parler ni se mouvoir par eux-mêmes, ils ont tous des couches mais ils manifestent l’amour à leur façon : un certain sourire, une contraction des muscles, des sons inarticulés. Le village pourra accueillir 250 pensionnaires ce qui ne représente que 10% de cette population israélienne de 21 ans et plus ayant des handicaps profonds. La vision est de construire 10 villages comme celui-ci mais « la route est encore longue ».
Aujourd’hui les alternatives pour celui qui ne peut entrer à Aleh Negev sont : les hôpitaux gériatriques, les hospices palliatifs et les « monastères ».
« Quand mon fils a eu 21 ans, nous avons reçu une lettre nous faisant savoir qu’il ne pouvait plus être accueilli dans l’école spécialisée où il était, » raconte Almog. « Nous avons tourné dans tout le pays chercher des solutions, et chaque fois nous revenions en pleurant : des lieux négligés, sentant mauvais… J’ai décidé de quitter l’armée pour Eran et de lui assurer une vie meilleure. Je pensais qu’il vivrait plus longtemps que moi. Ce village est un test pour notre société et pour moi en tant que père. Quand Eran vivait, je travaillais pour ce village et j’allais deux fois par semaine le visiter. Et c’est ce que je continue à faire. Je voudrais que les assistants aiment les enfants de ce village comme j’ai aimé Eran et leur offrent un cadre de vie beau et honorable. Les habits sont neufs, et non d’occasion, pas de chaussettes trouées, tout est propre. Quand l’environnement est beau et soigné, on perçoit un bond en avant sensible dans le fonctionnement et les résultats. Les assistants savent qu’ils soignent « des anges » et qu’ils doivent être d’autant plus sensibles à ces jeunes que ces derniers ne peuvent même pas dire que leurs chaussures sont trop petites.
Almog ne voyage pas seulement dans le Néguev mais aussi dans le monde entier collecter des fonds pour construire le village « des anges » dont le coût s’élève à 200 millions de shekels et l’entretien annuel à 30 millions. L’Etat d’Israël contribue pour 40% des dépenses, le reste est assuré par des dons. Il va aux quatre coins du monde raconter encore et encore l’histoire de Eran, le rêve du village et arrive à convaincre par son enthousiasme que cette merveille est ce dont Israël a besoin. Il « prêche » dans les synagogues, les églises, explique que l’émotivité humaine a besoin de soins dès le jardin d’enfants. Il convaint même Larry King de consacrer une soirée à Holywood au profit de Aleh Néguev.
Embuscade à Londres
En septembre 2005, lors d’un de ses voyages, Doron fut informé qu’il ne pouvait descendre de l’avion : un mandat d’arrêt l’attendait. Il était accusé d’avoir participé à des destructions de maisons palestiniennes à Rafiah quand il commandait le secteur Sud.
« Dans la guerre « Paix en Galilée » j’ai marché 70 kilomètres, j’ai combattu 7 jours, combat après combat, embuscade après embuscade et, en Angleterre, ce fut de nouveau une embuscade, » dit Almog. Il resta dans l’avion et revint en Israël. Depuis lors, tous ses voyages à l’étranger reçoivent l’aval du Procureur général et du ministère des Affaires Etrangères. Il s’avéra plus tard que c’était un avocat anglo-israélien qui avait lancé cette poursuite et ce mandat d’arrêt. « J’ai pitié de lui », dit Almog, « c’est un déraciné. Contre qui combat-il ? Quelles sont ses motivations ? » Sait-il que Doron fait travailler des musulmans dans ce village de Aleh Néguev ? Sait-il que ce général a le souci de faire entrer dans le village des enfants bédouins retardés, abandonnés ?
Ce « criminel de guerre » a toujours tenu compte, dans la mesure du possible, des valeurs morales et humaines lorsqu’il devait prendre seul des décisions sur le terrain en une fraction de seconde. Par exemple, à la guerre de Kippour, il décide de ne pas tuer les soldats égyptiens qui étaient en face de lui mais de les faire prisonniers, ou bien, dans le sud Liban de ne pas faire sauter une maison « remplie de terroristes » parce qu’il avait entendu un bébé pleurer. Il s’avéra que dans la maison habitait une famille de 8 enfants, et pas de traces de terroristes. En prenant cette décision il risquait sa vie et celle de ses soldats.
Un général qui sait pleurer
Pendant ses 35 années de service dans l’armée, Almog avait une mission spéciale à la maison : prendre son fils Eran et l’emmener dans les hôpitaux. « J’arrivais du terrain en uniforme avec la poussière et tout, je courrais avec lui aux examens, je m’asseyais à côté de lui et le soutenais sans bouger pendant une demi heure de séance de soins intensifs. Je caressais avec douceur ce petit corps convulsionné et je repartais au combat. » Pendant toutes ces années dans l’armée, personne n’a su quel était le but de ces allées et venues. Eran était caché.
La première fois où Almog parla en public de son fils ce fut lors de la cérémonie de réception du titre de Général commandant. En fin de discours, il remercia ses parents, son épouse, sa fille Nitzan et son fils Eran. « Jamais il ne m’appellera papa… » il n’a pas pu continuer à parler. Quand Eran est né, il reçut le nom de son oncle, le jeune frère de Doron mort sur le Golan et son père se promit de ne pas l’abandonner sur le terrain.
« Eran était mon grand maître de vie. La première leçon qu’il m’a apprise était sur l’amour qui est un don sans limite et un devoir sans salaire. Quand un enfant handicapé comme lui naît, la blessure est extrême. La plupart des familles le cachent et ces enfants sont frustrés de toute part, stigmatisés, souffrant de solitude sociale. » Almog se laissa interpeller comme par la bouche de son fils : « Tu peux avoir honte de moi, papa, me rejeter de ta vie, n’en parler à personne, et dire à tous quel grand général tu es. Mais je te mesure à la façon dont tu es prêt à tout me donner même si tu ne peux pas être fier de moi. Je ne serai pas professeur, je ne monterai pas à la Tora pour ma bar-mitzva, je ne suivrai pas les cours d’aviation, je ne me marierai pas et n’aurai pas d’enfants. Je ne t’appellerai jamais papa. Pour la société « réussie », je ne suis rien, zéro. Si tu ne tiens pas compte de moi, cela ne me fera rien, mais pour toi cela comptera beaucoup. »
Almog n’a plus honte de son fils. Quand il a quitté l’armée il a réalisé son rêve privé qui est devenu un projet national : acheter 10 hectares dans le désert et construire cet oasis de paix. Maintenant il se bat pour que d’autres familles sortent de la prison de la honte, et ne cachent plus leur enfant handicapé : « Quand tu es fier de ton enfant, en fait tu es fier de toi-même. Il est doué parce que ce sont tes gènes. Si tu renies un enfant comme celui là, c’est pour te protéger toi-même et nier tes propres infirmités. Notre véritable combat dans ce village est face à ces nombreuses familles qui ne viennent pas visiter leur enfant. C’est une grande victoire lorsque l’équipe des soignants a pu mettre en relation les familles avec leurs enfants après 10 ans de séparation. » Autour des lits il y a des photos, des dessins, là on reconnaît s’il y a une famille ou non.
Les habitants du village sont choisis par un comité du ministère de l’Environnement et celui de la Santé. Ils arrivent à 21ans ou plus et restent toute leur vie. Les familles n’ont rien à payer. « Au début, le ministère de l’Environnement trouvait que je fixais un standing trop élevé pour ce village. Mais, finalement, il s’est joint à mon projet et notre collaboration avec le gouvernement, la Sécurité sociale, l’Alliance et le KKL est bonne. A la télévision, on présente souvent les Israéliens comme des gens sans cœur, qui pillent, qui tuent, qui sont violents (accidents de route). Moi je vois ici le bel Israël qui se mobilise pour les plus faibles, des Israéliens fortunés qui viennent et donnent des millions ».
Après la mort de Eran il fut décidé d’ajouter au nom du village Aleh Negev, le nom de Nahalat Eran (l’héritage d’Eran). Almog s’en explique : « Vais-je abandonner les amis de mon fils maintenant qu’il n’est plus là ? Ma réponse est : non. Ce village est son testament. »
Un second article présentera l’association Aleh, ses 4 centres et en particulier le village Aleh Negev- Nahalat Eran.