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Les vents de la guerre au Levant et au Moyen-Orient (2/3)
Les cas Hariri et AMIA
Par Horacio Calderon
Adapté par Gilles
Pour aschkel.info et lessakele.
Première partie
Par Horacio Calderon
(Horacio CALDERON est expert un du Moyen Orient et un spécialiste de la lutte anti-terroriste. Il consacre actuellement ses efforts à l’étude, le suivi et la dénonciation du terrorisme mondial et régional, du trafic de drogue et de la criminalité transnationale organisée.)
Les répercussions avant l’acte d’accusation du TSL
Hassan Nasrallah, le Secrétaire général du Hezbollah, a déjà déclaré en 2009 : « Nous devons faire un nouvel examen dans l’affaire de l’assassinat de l’ancien Premier ministre martyr Rafiq Hariri, et du Tribunal spécial pour le Liban ». Il était à ce moment là probablement au courant que la Syrie avait « nettoyé » tous ses liens avec le crime et laissait le Hezbollah seul –juridiquement parlant – devant l’acte d’accusation du TSL.
Des sources citées par Al-Hayat précisent que Hussein Khalil – un adjoint politique de Nasrallah – a souligné à Saad Hariri que le Hezbollah n’acceptera pas les accusations dans la participation à l’assassinat de son père, « c’est pourquoi il a mis en garde contre toute forme de complot ». Et YaLibnan dit que Saad Hariri a été bouleversé par la façon dont Nasrallah s’est adressé à lui durant son discours.
Le TSL n’a pas encore publié l’acte d’accusation dans l’affaire Hariri mais Nasrallah a déjà farouchement rejeté toute implication dans le meurtre accusant Israël de l’assassinat. Bien-sûr, Nasrallah s’attend à une immense vague de protestations de la part du Hezbollah et de lui-même sur la version officielle de l’acte d’accusation à venir. Si le TSL accuse enfin et comme prévu de hauts membres du Hezbollah il en résultera probablement de graves conséquences pour l’organisation terroriste à l’échelon national, régional et mondial.
En dépit de ses objections contre le TSL au cours des dernières années, le Hezbollah a approuvé la constitution du tribunal dans l’affaire Hariri qui il siégeait au Conseil des ministres libanais. Par conséquent, il n’est pas acceptable que Nasrallah et ses principaux lieutenants aient désormais l’intention d’ignorer les résultats de l’enquête du TSL, même s’ils estiment que le Hezbollah a été abandonné, si ce n’est trahi, par le gouvernement syrien.
Une nouvelle fois, la Syrie se présente comme presque immaculée. Reconnaissons ses compétences pour couper tous liens qui l’auraient reliée à l’assassinat d’Hariri.
Les sommets de Damas et de Beyrouth doivent être considérés comme des étapes dans un projet global de politique et de diplomatie extraordinaires visant à éviter de nouvelles luttes sectaires interlibanaises. Des combats ont eu lieu en mai 2008 lorsque l’organisation terroriste chiite Hezbollah a attaqué et pris des zones sunnites dans Beyrouth Ouest, qui étaient contrôlées par les partisans de Saad Hariri, appuyés par l’Arabie Saoudite.
Le roi Abdallah, le président Assad et les autres chefs d’Etat pourraient avoir recommandé à Saad Hariri – le Premier ministre libanais et fils de l’homme assassiné – d’éviter toute mise en œuvre de l’arrêt du TSL contre le Hezbollah. Sinon, selon certaines sources, le Hezbollah tirerait profit de ce nouveau prétexte pour encore agresser les quartiers sunnites de Beyrouth ou même provoquer une nouvelle guerre contre Israël.
Comme le champion poids lourd de l’hypocrisie ne semble pas avoir de limite, le président syrien Bachar Al-Assad a déclaré que : « son pays soutiendrait l’organisation shiite dans tous les cas » et a ajouté que « la Syrie considère que le Hezbollah n’a jamais franchi la ligne à ne pas dépasser ». Cette déclaration du président Assad adressée au TSL ressemble à un message d’un parrain mafieux. Nonobstant, il pourrait permettre d’imposer son propre tempo sur les opérations liées aux négociations en cours avec l’Arabie Saoudite contre l’Iran et le Hezbollah.
Selon des rumeurs confirmées, les rencontres de Beyrouth pourraient avoir abouti à un pacte entre les trois parties concernées, à l’exception du Hezbollah. Si l’accord secret existe vraiment, il est susceptible de restreindre la mise en œuvre du futur arrêt du TSL contre le Hezbollah. En outre, il pourrait avoir été conclu dans le but de restreindre ou de suspendre purement et simplement sine die toutes les mesures juridiques destinées à punir les individus accusés, les institutions, etc …
Bien que quelques-uns des chefs d’Etats et des dirigeants mentionnés sont peut-être en attente de nouveaux évènements, cela pourrait créer d’autres types de scénarios autres que ceux qu’ils voulaient justement éviter à la suite de l’acte d’accusation du TSL … Oui, et la guerre en est l’un des plus probables – qui peuvent apparaître à tout instant – en commençant par une attaque israélienne sur les sites nucléaires iraniens. Si tel était le cas, il serait rationnel de penser que le roi Abdallah et ses principaux partenaires ont décidé de consacrer tous leurs efforts pour retarder l’annonce du TSL. Ou alors de soustraire ou de retarder la mise en œuvre de toute mesure exécutoire forcée contre le Hezbollah en territoire libanais.
Mais il n’existe aucune raison théorique ou pratique visant à réduire cette analyse à seulement deux scénarios en fonction des menaces ; ce qui pourrait également être interconnecté est : une lutte inter-sectaires et / ou une guerre entre le Hezbollah, Israël et peut-être d’autres acteurs étatiques ou non étatiques.
Afin d’évaluer la situation réelle, doit être également pris en compte la nature très complexe de certains des principaux conflits qui sous-tendent sur la scène du Moyen-Orient.
Le vrai jeu au Levant et dans le Moyen-Orient
Syrie, Arabie saoudite et opération géopolitique complexe.
La tournée du monarque saoudien à Damas et à Beyrouth semble faire partie d’un jeu sensible d’échecs géopolitiques dont le prix principal pourrait être le point de rupture du vieil axe stratégique entre la Syrie, l’Iran et le Hezbollah.
Le roi Abdallah apparait depuis un certain temps sur un trône agité et instable, il doit conduire une manœuvre géopolitique extrêmement complexe et sophistiquée dont le principal objectif est de briser l’entente entre l’Iran, le Hezbollah et la Syrie. Ce trident géopolitique du Moyen-Orient ne menace pas seulement le royaume saoudien mais aussi l’ensemble des Etats de Golfe Persique et d’autres Etats. Ainsi, le voyage du roi avait pour but de préparer le terrain pour mener une discrète guerre diplomatique afin d’isoler et affaiblir l’Iran – le centre de gravité de cet axe – dans la mesure du possible.
La Syrie est le talon d’Achille de cette entente en raison de son rôle historique de pont stratégique entre l’Iran et les bastions du Hezbollah.
Par ailleurs, les stratèges syriens ont sans doute la crainte que tout mouvement suspect ne soit détecté par l’Iran, ce qui pourrait déclencher des campagnes de déstabilisation et d’autres actions secrètes contre le régime. En outre, le Mukhabarat syrien doit être conscients que l’Iran et ses mandataires possèdent des cellules à l’intérieur du pays et du gouvernement, qui pourraient être activées à tout moment.
Il ne fait aucun doute que l’historique régional de la Syrie fait que ses ambitions ne se limitent pas strictement aux revendications concernant la restitution des hauteurs du Golan qui ont été saisies par Israël au cours de la « Guerre des six jours » de 1967. Ses ambitions ont un nom : le Liban.
Le déclassement ou la rupture de l’alliance syrienne avec l’Iran a un prix, même un prix énorme. Pour un autre prix, encore plus grand …
Un demi-tour syrien contre l’Iran et le Hezbollah a un coût politique et géopolitique plus élevé que certains acteurs non étatiques dans le monde comme aux Etats Unis pensent être : le patronage intégral du Liban. Une difficile et complexe opération de « troc » certainement, mais nous devons nous rappeler que tout est négociable dans les souks politiques de l’arène du Moyen-Orient.
La Syrie pourrait être disposée à discuter avec Israël des conditions concernant le Golan. Nonobstant, le Liban sert de tampon à la Syrie, comme un impératif géopolitique mais aussi une question de sécurité nationale et de survie économique. Le territoire libanais possède des obstacles naturels stratégiques comme la chaîne de montagnes orientales du Liban et d’autres vallées alpines dont la Syrie a besoin pour sécuriser le noyau vital de son propre territoire, qui ne possède pas de défenses naturelles géographiques. En ce qui concerne les questions économiques, d’autres remarquables « trésors » sont les ports libanais nécessaires à la Syrie pour s’insérer dans l’économie mondiale. D’ailleurs sa main-d’œuvre sans emploi pourrait être facilement absorbée par le Liban, atténuant ainsi le taux élevé de chômage syrien.
Bien que cette évaluation s’inscrive au-delà de la souveraineté libanaise, il est utile de reconnaitre que la Syrie sans le Liban pourrait être aussi faible que la Russie dans sa zone géopolitique tampon.
Israël considère la Syrie comme un ennemi prévisible qui a respecté pendant des décennies une paix de facto tout en contrôlant la frontière du Liban-Sud et agissant comme une force stabilisatrice en même temps. Pour cette raison, Israël ne soulèverait probablement pas d’objections majeures à un futur parrainage syrien du Liban. A l’heure actuelle, Israël estime sans doute que la Syrie pourrait neutraliser et peut-être détruire l’aile militaire du Hezbollah et donc influer sur le résultat politique d’après guerre par le contrôle de l’activité iranienne par procuration actuelle.
En outre, Israël est vraiment inquiet au sujet de tout changement en Syrie qui pourrait reproduire un scénario irakien national et régional chaotique.
Le prix demandé à être potentiellement versé à la Syrie, si toutes les parties concernées concluent cette affaire, n’est pas aussi élevé que certains acteurs étatiques régionaux ne le pensent. Cependant, de nombreux gouvernements comme les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni se demandent si l’accord machiavélique prévu vaut vraiment le prix s’il comporte comme butin de guerre le Liban. Néanmoins, tous ces acteurs sont conscients du fait que le patronage du Liban par la Syrie est une condition sine qua none pour toute transaction avec le président Al-Assad. Si cela ne se fait pas, ils devront trouver un autre moyen pour désarmer le Hezbollah par la force et mettre ce dangereux levier hors des mains iraniennes.
En ce qui concerne les forces palestiniennes – même unies, ce qui est peu probable – elles n’ont aucune chance de menacer la sécurité stratégique nationale israélienne à l’heure actuelle et sans doute pour longtemps encore.
De nouvelles négociations de paix entre Israël et l’autorité palestinienne auront lieu à Washington DC le 2 septembre 2010. Malheureusement, il est fort probable que ce nouvel évènement ne se termine par aucun résultat remarquable. Si Israël et le gouvernement palestinien tiennent des pourparlers directs, c’est qu’ils sont pressés par le président Obama. Bien sûr, il en a besoin et veut montrer autre chose que sa rhétorique vide de sens en ce qui concerne la « résurrection » d’un processus de paix mort. Les deux parties ont été incapables de refuser une telle invitation parce qu’elles ont besoin de soigner leurs relations avec l’administration Obama qui est aussi dangereuse qu’une lame à double tranchant dans les mains d’un enfant.
D’ailleurs, ni l’Egypte, ni la Jordanie ne veulent avoir un Etat palestinien souverain en Cisjordanie et/ou dans la bande de Gaza menaçant leurs régimes laïques.
La Syrie ne fait pas exception à cette règle car elle n’a jamais abandonné son rêve de reconstruire l’ancienne « Grande Syrie » qui comprenait les territoires israéliens et palestiniens actuels, entre autres régions. Par conséquent, et pour un tas de raisons, les palestiniens ne peuvent pas compter sur la Syrie pour soutenir toute initiative réelle de construction d’un Etat.
La Syrie ne fait pas vraiment confiance à l’Arabie saoudite et à Israël et donc est très attentive à toute négociation entre eux pour des actions futures qui menaceraient les intérêts de sécurité nationaux et régionaux de l’Iran.
Nonobstant, une collusion entre les services secrets syriens, Israël, l’Arabie saoudite et d’autres pays a été évidente sur une longue période. Sa manifestation principale étant l’assassinat d’Imad Moughniyed, commandant militaire du Hezbollah, qui a été tué par une bombe explosant dans un quartier très sécurisé de Damas.
Une cible de cette valeur ne peut pas avoir été abattue sans la complicité de hauts responsables syriens et une coopération étroite entre une paire de pays au minimum. « Les traîtres syriens ont aidé à assassiner mon mari » a crié sa veuve, en ajoutant : « le refus syrien de laisser les enquêteurs iraniens faire leur travail est une preuve de la complicité de Damas dans l’assassinat de mon mari ». Après ses déclarations, la veuve de Moughniyed a été mise de toute urgence dans un vol en direction de Téhéran afin d’éviter tout embarras et autres problèmes entre les syriens, les iraniens et le Hezbollah lui-même.
Il existe une autre raison importante qui aura probablement une influence dans toute décision syrienne de rompre son alliance avec l’Iran et de neutraliser sinon de détruire le Hezbollah : les dirigeants syriens alaouites soupçonnent qu’un Hezbollah plus fort – soutenu par l’Iran – pourrait décider de renverser son régime dans une tentative de le remplacer par une élite plus pro-iranienne. En outre, la secte alaouite – dont de nombreux principes sont tenus secrets et connus que par quelques hauts dirigeants – est considérée comme hétérodoxe par la secte à majorité chiite des « duodécimains » qui comprend les principaux dirigeants iraniens, des religieux irakiens et le leadership du Hezbollah.
Les syriens sont toujours en alerte par rapport à ce danger et ont travaillé longtemps pour le neutraliser. Aider à désarmer le Hezbollah pourrait donc leur apporter un bénéfice « interne » supplémentaire.
(à suivre : Le Souffle de la guerre)