![]() | L’UPJF, DIMANCHE 12 DECEMBRE 2010 DE 12H À 20H à l'Espace Pierre Cardin - 1, avenue Gabriel - 75008 Paris Un colloque inédit sur le thème : « QUEL AVENIR POUR LES JUIFS EN FRANCE ? » |
Par Isabelle Kersimon
Pour © 2010 lessakele et © 2010 aschkel.info
Notre chroniqueuse nous prévient d'emblée : de compte-rendu exhaustif, on ne trouvera pas, ici. Isabelle Kersimon refait avec nous, le parcours de ce colloque, à travers son propre vécu de journaliste indépendante, partie pour les “territoires”, en soulevant les questions restées sans réponse :
Toute la journée se tenait un colloque organisé par l'UPJF à l'espace Pierre Cardin. S'y sont succédés de prestigieux invités, et un public venu en nombre à l'écoute d'un thème fort en manière de bilan de la décennie : L'avenir des Juifs de France.
Vaste sujet qui n'a pas fait l'écueil des passions déchirant parfois la communauté juive elle-même, mais aussi tous les Français inquiets de voir se déliter, au quotidien, pouvoir d'achat, forces industrielles, talents innovants, Education nationale, langue et culture. Ce que d'aucuns évacuent d'un revers de main comme relevant de l'identité de la France, un mot tabou voire salissant qui pourtant, en valeurs comme en droit, et tout en nuances (de l'Esprit des lois à l'intime des hommes, elle oscille entre pacte social valable pour tous et histoires particulières appartenant à chacun - une lapalissade, peut-être, mais dont il convient de garder la dualité subtile en tête et au concret, de préférence).
Il serait, non seulement, fastidieux mais hautement prétentieux de prétendre en écrire un compte rendu. Aussi dans ces lignes me contenterai-je de donner mon sentiment, la photographie toute personnelle de ces discussions plus ou moins intéressantes, mais somme toute instructives. L'occasion est belle, pour qui n'a pu intervenir sur le moment, tant les questions du public aux orateurs fusaient.
J'aurais voulu répondre à Robert Ménard, qui affirmait péremptoirement que non, les médias français ne sont pas défavorables à Israël. J'aurais voulu lui raconter comment, au bureau de presse de Jérusalem où je me rendais pour la première fois, un éminent confrère me découragea, aux alentours du 23 mai 2010, d'écrire le moindre article sur Israël, que je découvrais pour la première fois, arguant que les rédactions et les lecteurs français en avaient marre, ras-le-bol, d'entendre parler du "conflit israélo-palestinien", d'Israël et "tout ça". Je n'étais pas de taille, je proposai des petits papiers sympathiques : l'un sur une initiative de paix locale qui porte ses fruits, l'autre sur une artiste peintre rescapée d'Auschwitz, le troisième sur l'écrivain britannique Matt Rees. Une interview finalement publiée, quelques mois plus tard. J'aurais voulu raconter à Robert Ménard à quel point ces sujets n'intéressent effectivement pas les rédactions, et comment, une semaine après, ces mêmes rédactions ont toutes repris en choeur une dépêche de l'AFP condamnant l'arraisonnement du Mavi Marmara par ce même Israël dont personne ne voulait plus rien savoir. Rien savoir ? Sauf, sans doute, des condamnations basées sur ce qui n'est rien d'autre que des préjugés, et reprises en un choeur invraisemblable jusqu'à ce que quelques titres comme L'Arche Magazine ou Actualité juive n'enquêtent sérieusement et ne redressent des vérités déjà mises à mal. J'aurais voulu répondre à Robert Ménard comment la spécialiste d'un grand hebdomadaire à qui je racontais ces expériences me congédia au nom, dit-elle, de la propagande de ces Israéliens et aussi de ces Palestiniens, on en a marre. Proposez des articles qui ne condamnent pas fermement, etc., l'insupportable politique, etc., et vous voilà sous le joug d'une emprise qui ne dit pas son nom. J'aurais voulu raconter à Robert Ménard comment la rumeur de prélèvements d'organes par Tsahal a fait son chemin suite à la publication du journal suédois Aftonbladet en 2009. Et comment, même récusée par le principal intéressé, le journaliste Donald Böström, elle n'a connu aucune suite. Aucune, sauf la persistance de la rumeur. Comment, donc, la presse française ne s'est pas amendée de ses dires délirants. J'aurais voulu lui raconter comment passent sous silence, sans jamais aucun amendement justement, les remarques les plus folles : ces "colons" assassinés pendant les négociations ne sont jamais que des "colons", pas vraiment des hommes. Un ami journaliste m'a raconté que, quelques années auparavant, il fut même mentionné la mort d'un "bébé colon". La mort d'un "bébé colon", pensez-vous, ce n'est pas la mort d'un enfant d'homme, ni celle d'un homme en devenir.
J'aurais voulu raconter à Robert Ménard comment, en tant que journaliste française, j'ai été accueillie à Bethléem, et comment il me fut proposé de "bien travailler" dans l'espoir de gagner des sommes conséquentes dont rêve tout journaliste indépendant.
J'aurais voulu aussi lui dire que non, les Juifs ne sont pas spécialement paranoïaques. A moins que paranoïaque, je ne le sois moi-même, force est de constater que des problèmes se posent, existent, persistent, souvent, il est vrai, mal posés ou mal formulés, mais réels, tangibles, accessibles de manière aveuglante et glaçante à la non-Juive que je suis. Oui, Monsieur Ménard, même des non-Juifs s'inquiètent... Et que devant l'urgence, cette urgence, il arrive que d'aucuns décident de prendre la parole, de l'arracher, plutôt, pour dire, non pas que la France est antisémite, irréductiblement, historiquement, culturellement, éternellement antisémite. Bien sûr que non, ou pas vraiment. Il suffit de parler dans nos provinces ainsi désignées avec le coiffeur, l'infirmière et le boulanger pour le savoir. Arracher la parole pour dire que si la France, en soi, n'est pas antisémite, il n'en demeure pas moins que des idées ont cours, subrepticement insufflées dans les choix lexicaux, dans les analyses politiques, ou carrément assénées par des groupuscules politiques très actifs, qui valent à des écoliers juifs de se faire tabasser à ce titre. Et valurent à Ilan Halimi de mourir d'une mort atroce. Ou à Raphaël Draï de se faire insulter à l'Ecole normale. Ou à des familles de Justes de voir les cérémonies de remises de médailles perturbées par des "antisionistes au nom de la résistance palestinienne". Ou à Lila Amoura en son collège de se faire traiter de "folle sioniste" pour y enseigner l'histoire de la Shoah, tout comme Catherine Pederzoli à Nancy d'être également mise à pied. Mais sur ces points, je convie volontiers l'ex-président de Reporters sans frontières à compulser le rapport du Haut Comité à l'Intégration sur les difficultés en milieu scolaire...
J'aurais voulu dire à Monsieur Ménard que la solution qu'il prône de voir autant de minarets dans les villes et villages de France que d'églises n'en est pas une. Lui dire que, se faisant fort de ne pas stigmatiser une "communauté musulmane" fantasmée (il n'est que de lire les études des islamologues distingués pour savoir que les musulmans de France sont aussi variés et atomisés culturellement que n'importe quel citoyen du monde libre - par libre, j'entends issu de pays démocratiques où règne, selon d'aucuns, la tyrannie marchande), se faisant fort de défendre une "communauté musulmane" bien souvent et depuis longtemps fantasmée par la République elle-même en tant que telle, il fait affront aux musulmans laïcs pour qui les mosquées et leurs minarets, les prêches et le dogme, ne définissent nullement leur identité, leurs racines, leur passé, leur être culturel, politique et philosophique.
J'aurais voulu lui demander quelles mosquées et quels minarets il souhaite voir s'ériger en France, pour quels imams.
L'imam Chalghoumi aurait peut-être pu répondre, à qui j'aurais souhaité aussi poser quelques questions. Comme, par exemple, celles de la contradiction flagrante et déflagrante entre ses discours publics et ce livre qu'il dit avoir écrit. Ce livre, Pour l'islam de France, dans lequel il annonce ne pas parler de politique et pourtant soutient que la cause palestinienne est fondamentale. Dans lequel il affirme que le sexisme et l'antisémitisme dans les établissements scolaires de banlieue n'existent que "prétendument", c'est-à-dire, pas vraiment, seulement dans le discours, pas dans la réalité. J'aurais voulu qu'il m'éclaire de son expérience d'homme de terrain en cela contredisant des enseignants confrontés à ces questions, et ce rapport du HCI. Qu'il m'informe également de l'islam qu'il prône, "pur", "purifié", cet islam si différent, si pur, si purifié des scories théologiques qu'il écrit voir pustuler chez les Frères musulmans et Al Qaida, mais pas chez les wahhabites, par exemple. Ces scories politiques et financières qu'il écrit voir pustuler dans les financements qataris, algériens, marocains, mais pas tunisiens, sans doute.
Pustuler, le mot est fort, emporté sans doute, et injuste aussi. Mais son livre, rédigé tout de passion et de cercles et de boucles rhétoriques usant de figures de style empruntées à la poétique arabe, emporté dans ses critiques - justes, il est vrai, bien sûr - de l'islam politique et radical des mouvements les mieux connus, assène avec une telle violence ses vérités sur la pureté et la salissure que c'est le terme qui me vient, je l'avoue, à l'esprit.
J'aurais voulu demander à l'imam Chalghoumi pourquoi, dans son livre, ces quatre-cents pages et quelques dont il aime à rappeler qu'il les a écrites - avec M. Farid Hannache, journaliste algérien -, il évoque le mufti de Jerusalem, Al Husseini, en indiquant qu'il ne savait pas ce qu'Hitler, son grand ami, faisait des Juifs. Il ne savait pas ? Il fut tellement zélé qu'il exigea la déportation vers l'extermination d'enfants d'Europe de l'Est ! Il ne savait pas ? Il fut tellement enthousiasmé dès 1942 par le camp de concentration d’Orianenburg-Sachsenhausen. Lire, pour plus de précisions, la critique publiée par Joachim Veliocas sur son site www.islamisation.fr/chalghoumi-decrypte.html. Selon ce livre, le mufti de Jérusalem aurait sauvé des Juifs s'il avait su...
Veliocas, parlons-en. C'est sur internet, là où vous lisez en cet instant même, internet, "ce trésor et cette poubelle" où l'on trouve "tout et le pire", selon les mots de François Dorcivel, autre intervenant au colloque. Joachim Veliocas a publié récemment, aux éditions Tatamis, Ces maires qui courtisent l'islamisme, [http://www.islamisation.fr/ces-maires-qui-courtisent-l-islamisme-le-17-octobre-en-libr.html], analysant de manière factuelle et implacable, hélas réservée à quelques initiés, les politiques à courte vue et les petits arrangements avec la laïcité opérés au nom des droits de l'homme, des droits du minaret, des droits du halal, des droits de la femme à se sectariser, à se voiler au nom d'Allah et pour lui seul.
Au nom d'Allah ou au nom de la République ? Au nom de moi (en tant que membre d'une communauté?, d'une ethnie?, d'une historiographie géographiquement ou culturellement située?, d'une appartenance unique?) ou au nom de la République ? C'est, in fine, ce sur quoi portait le débat, initié par l'UPJF et suivi par le public. Michel Gurfinkiel, Shmuel Trigano, Gilles William Goldnadel, Guy Konopnicki, Yvan Levaï, Raphaël Draï en guise de conclusion à ces tables rondes ont exprimé, chacun à leur manière et chacun selon l'ordre philosophique et moral qui leur est propre, au-delà des divergences politiques dont les subtilités devraient pouvoir faire jour ("de gauche", "de droite"), ce questionnement sans ambage et sans fard dont la réponse, pour ce qui est, terme du colloque, des Juifs de France, a probablement été donnée par Claude Goasguen, à qui le prix de l'amitié France-Israël a été remis : "Défendre Israël, c'est nous défendre nous-mêmes".
Défendre les Juifs Français, c'est nous défendre nous-mêmes de menaces sombres que le père Patrick Desbois a clairement exprimées : "L'antisémitisme depuis Drumont n'a pas changé, il est multiforme, et tous ces antisémites forment une grande fédération, se sentent dégagés de la Shoah. Ils critiquent Israël parce qu'en Israël il y a des Juifs. L'Eglise catholique a fait des progrès, certes. Je vous rassure, elle peut en faire encore beaucoup. Admettre la religion juive est un choix. Admettre le peuple juif est un autre challenge."
Je pourrais tenter, renonçant à l'exhaustivité, d'évoquer le propos de Shmuel Trigano, bagarrant pour faire reconnaître les Juifs non en tant que simples croyants mais en tant que peuple. Et à qui le temps, hélas, a manqué pour parler. Ou l'infortuné Gilles William Goldnadel, expliquant en quoi, pointé du doigt au nom parfois de la République, il ne défend d'aucune manière un discours tel que celui de Marine Le Pen, dont il a conscience que ses positions sont, à la vérité, pro-arabes. Yvan Levaï, évoquant les sirènes doucereuses de l'antisionisme de salon, ou Ivan Rioufol dénonçant l'inversion des valeurs. Raphaël Draï, tout en réaffirmant la nécessité de remettre sur les rails l'Etat de droit, ne nie pas cet état de fait, établissant ce rude constat : il revient à chacun de mesurer la situation historique et de faire ses choix (se battre en France, réaliser ou pas l'Alyah, et de quelle manière). Ce que vit la France n'est pas une crise puisque cela dure depuis les années soixante-dix. Et parmi ces symptomes, la maladie de l'antisémitisme est une maladie de la pensée.
Et quand une société ne peut plus penser, c'est qu'il est temps qu'elle s'en donne les moyens.