Vendredi de la deuxième révolution au Caire ? Interview de Arte de Meir Masri Feki
http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/arte-journal/nav/3934202.html
Depuis plusieurs jours, un appel à manifester, le vendredi 27 mai sur la place Tahrir au Caire, est lancé sur les réseaux sociaux égyptiens. Quelles sont les revendications des protestataires ? Où en est le clan Moubarak ? Quelle est l’attitude des partis islamistes égyptiens, alors que le pays s’apprête à achever sa transition militaire pour entrer dans un processus électoral ?
Pour répondre à ces questions, ARTE s’est adressé à Masri Féki, écrivain et chercheur en géopolitique à l'Université Paris 8. De nationalité à la fois égyptienne et israélienne, il est engagé dans la défense des minorités au Moyen-Orient et dans le rapprochement israélo-arabe. Il contribue régulièrement à des journaux arabes, israéliens et turcs. Il est aussi l'auteur, entre autres ouvrages, de "L'Iran et le Moyen-Orient, constats et enjeux" (Studyrama, Paris, 2010) "Géopolitique du Moyen-Orient" (Studyrama, Paris, 2008) et "L'axe irano-syrien, géopolitique et enjeux" (Studyrama, Paris, 2007). Une interview réalisée par Claire Stephan.
Claire Stephan pour ARTE : vendredi 27 mai, une nouvelle manifestation est organisée place Tahrir, la place de la révolution au Caire et ce rassemblement est nommé « vendredi de la deuxième révolution »…
Masri Feki : « La manifestation de demain a plusieurs noms, certains l’appellent « le vendredi de la deuxième révolution » avec une slogan qui sonne très très bien en arabe égyptien qu’on pourrait traduire en français par « je n’ai pas senti le changement alors je suis descendu sur la place Tahrir ». Il faut dire qu’en arabe égyptien, le mot changement et le mot Tahrir sont très très proches. Ce sont des gens qui ont été déçus par le traitement des dossiers de corruption, notamment, en ce qui concerne le président déchu Hosni Moubarak et ses deux fils. Ils considèrent que la justice a été, jusqu’à présent, assez laxiste et pensent qu’il pourrait y avoir une sorte de complicité entre le Conseil révolutionnaire des forces armées qui assure actuellement la transition en Égypte et l’ancienne famille présidentielle ».
S’agit-il aussi d’une réaction directe à l’annonce, cette semaine, d’un jugement prochain de Hosni Moubarak ?
Masri Feki : « Il faut savoir que cette journée de mobilisation a tout de même été prévue avant cette annonce là, puisqu’avant on commençait à parler de l’éventualité que Moubarak soit gracié en échange d’une renonciation de sa part à toute sa fortune comme cela a été fait avec sa femme, Suzanne Moubarak, qui a été libérée, il y a un peu moins d’une semaine, de la prison des femmes du Caire, en échange d’une renonciation à toute sa fortune en faveur du peuple égyptien ».
Qui appelle à cette manifestation du vendredi 27 mai ?
Masri Feki : « Ce sont des groupes isolés sur Facebook, sur les réseaux sociaux, mais aucun parti politique. Il faut savoir que les partis politiques qui se sont joints à la grande révolte du 25 janvier, dans ce qu’on appelle aujourd’hui la Révolution égyptienne, se sont pratiquement tous intégrés dans le processus politique actuellement et ne sont pas favorables du tout à de nouvelles manifestations qui paralyseraient d’avantage la vie économique du pays. Donc, ce sont vraiment des mouvements de jeunes sur des réseaux sociaux qui n’ont pas beaucoup d’importance. Mais, bon, aujourd’hui, on dit cela avec prudence parce qu’on a toujours dit aussi que les événements du 25 janvier n’avaient pas beaucoup d’importance. Néanmoins, cela a quand même beaucoup moins d’importance que ce que l’on a vu jusqu’à présent. Ce sont des gens qui sont déçu ou qui espéraient plus, mais sincèrement je pense qu’il y a eu beaucoup de progrès qui ont été réalisés depuis la chute de Moubarak. Alors ce qui est intéressant c’est que tout les mouvements islamistes –que ce soient les Frères Musulmans ou les groupes salafistes sont farouchement opposés à ces manifestations là. Et ça c’est très très intéressant, pourquoi ? Tout simplement parce que depuis le début des manifestations, le 25 janvier, les toutes premières manifestations contre le régime de Moubarak, les islamistes-les Frères Musulmans ou les groupes plus intégristes donc les salafistes ont toujours eu une position non pas ambiguë mais clairement opposée à tout changement. Et aujourd’hui, ils essaient de profiter de la révolution en se positionnant, en se considérant comme l’une des forces de l’opposition, donc digne de succéder au pouvoir, au régime de Moubarak. Ils veulent faire partie de la coalition gouvernementale etc…
Donc ça confirme que les mouvements islamistes en Égypte n’ont pas changé et qu’ils sont toujours conservateurs et ils profitent des changements mais ils ne s’ingèrent jamais dans une révolution. D’ailleurs, même en 1952, dans tous les mouvements de changement que l’Égypte a connu dans le passé et jusqu’à demain, les mouvements islamistes égyptiens sont toujours à l’écart, à la différence des mouvements islamistes dans d’autres pays comme l’Iran.
Et c’est pour cela que je trouve très très injuste les comparaisons qui sont souvent faites dans la presse, en ce qui concerne les changements que connaît l’Égypte aujourd’hui et ceux que d’autres pays dans la région ont malheureusement connus, à savoir une révolution islamique ou une révolution populaire volée plus tard par les islamistes.
Je pense que nous sommes assez loin de cette configuration là. La révolution ou le mouvement de changement, qui a lieu actuellement et qui est en train de prendre fin – parce qu’il faut savoir que le régime est déjà tombé… Bon, il y a une certaine complicité entre l’armée qui assure la transition et l’ancien régime, puisque tous les chefs de l’armée qui dirigent la période de transition sont nommés par l’ancien président, donc c’est une complicité naturelle. Mais, globalement, il y a, quand même, une changement radical, il y a une Constitution qui a été modifiée, les dates des élections que ce soit les législatives ou la présidentielle ont déjà été fixées. Et puis les médias ont complètement changé d’attitude. Le Ministère de l’Information qui contrôlait strictement les médias égyptiens – publics ou indirectement privés- a été complètement supprimé».
Néanmoins, pour en revenir à la manifestation du vendredi 27 mai, beaucoup d’Égyptiens et notamment les jeunes dénoncent l’équipe de transition qui est militaire…
Masri Feki : « Oui, il y a ceux qui demandent qu’il y ait un conseil mixte composé d’une tiers de militaires et de deux tiers de civils mais la question qui se pose est la question de la légitimité puisqu’il n’y a pas encore eu d’élections. Alors, qui sont ces civils qui assureraient en partie la transition ? Alors pour les militaires, les choses sont claires – l’armée c’est l’armée et ce sont les hauts-gardés de l’armée qui dirigent le Conseil de transition. Même si on ouvre la voie des civils... Et puis pour combien de temps ? Pour un mois, un moi et demi ? cela ne vaut pas la peine, c’est fini, la transition est en train d’arriver à sa fin et il va y avoir des élections. Et ceux qui voudraient que l’Égypte ne tombe pas une nouvelle fois entre les mains des militaires, ils n’ont qu’à s’intégrer dans le processus politique et soutenir les candidatures civiles lors des prochaines élections, que ce soit les législatives ou la présidentielle ».