
Une Analyse d'ARIé.
Vous vous souvenez peut-être du convoi Viva Palestina, dont l’objectif était de briser l’embargo imposé à Gaza par les Egyptiens. Ce convoi d’aide humanitaire transportant de la nourriture et des fournitures médicales est arrivé dans la bande de Gaza, un mois après qu’il ait entrepris son voyage depuis l’Angleterre. Après quelques divergences avec les autorités égyptiennes, le convoi a obtenu finalement l’autorisation d’entrer à Gaza.
Si vous ne vous souvenez pas de cet épisode, c’est assez naturel, dans la mesure où sa couverture médiatique n’a pas été, selon Erdogan, ce qu’elle aurait dû être. Le Premier ministre turc a donc eu une idée: placer à la tête du prochain convoi qui forcera le blocus imposé par l’Egypte une vedette suffisamment charismatique pour mobiliser les média du monde entier; et même deux vedettes, tant qu’à faire. Il a donc proposé au Président d’Afrique du Sud, Jacob Zuma, et surtout, l’inénarrable Hugo Chavez, de conduire personnellement le prochain convoi à Gaza. Vous pensez bien qu’Hugo a accepté avec enthousiasme la proposition d’Erdogan; lui qui tous les lundi et jeudi dis pis que pendre d’Israël.
L’entrée triomphale de Chavez à Gaza, forçant le blocus égyptien, bombant le torse et distribuant des bombons aux enfants vaudra son pesant de cacahouètes. Je me demande d’ailleurs pourquoi les palestiniens n’y ont pas pensé tous seuls. Placer à la tête d’un convoi humanitaire, qui fera le forcing pour entrer dans Gaza, une personnalité de premier plan -je leur suggère de prendre un acteur ou un(e) chanteur plutôt qu’un politique – est un truc médiatique de premier plan pour mobiliser la sympathie internationale à la cause palestinienne, et je suis convaincu que les candidats ne vont pas manquer. Il a fallu que cette idée germe dans une tête de turc. Décidément cet Erdogan est machiavélique.
Pour faire plus sérieux – ce qui ne signifie pas que ce qui précède ne l’est pas – on peut s’interroger sur le véritable jeu que joue la Turquie ?
S’agit-il simplement de susceptibilités diplomatiques ou d’une volonté affirmée de prendre la tête de l’Islam sunnite au lieu et à la place de l’Egypte ?
Pour ce qui est de l’aspect diplomatique, il faut bien reconnaître que Danny Ayalon, vice-ministre des Affaires Etrangères, s’est comporté comme un parfait imbécile. Il parait que l’idée de faire asseoir l’ambassadeur de Turquie sur un sofa en contrebas lui a été inspirée par une visite au tombeau des Patriarches. Je cite un texte d’Israël Actualités en date du 15 Janvier: « Le vice-ministre a confié à des proches que l’idée d’asseoir l’ambassadeur turc en basse position lors de leur entrevue, lui est venue lors d’une récente visite à Hevron, au Caveau des Patriarches . En effet, le guide lui avait expliqué que durant l’occupation turque ottomane d’Erets Israël, les Musulmans interdisaient aux Juifs (Dhimmis) de gravir au delà de la septième marche qui menait à la Caverne de Makh’pela, dans le but de les humilier et de leur interdire d’être à la même hauteur que les Musulmans. Dany Ayalon a ainsi voulu montrer à l’ambassadeur de Turquie l’effet d’une telle mesure qui faisait loi à l’époque ». De la géopolitique biblique mal comprise: on n’humilie en aucune façon qui que ce soit, et à fortiori quand il s’agit du représentant officiel d’un pays musulman qui comporte 10 fois plus d’habitants que l’Etat d’Israël. Dans un pays normal, ce Monsieur aurait été prié de rendre sa Volvo de fonction et son tablier, mais pas en Israël, où la sacro sainte coalition gouvernementale prime sur tout le reste.
Outre ces susceptibilités diplomatiques, les ambitions ottomanes d’influence au Moyen-Orient sont inquiétantes. Snobés par l’Union européenne, les turcs ont tourné leur regard vers l’est. Après avoir mis au pas l’armée (en l’infiltrant d’islamistes) qui, depuis Attaturk a une tradition laïque et entretenait de bonnes relations avec Israël, les dirigeants turcs ne craignent plus de révolution du palais par les militaires, et développent leur stratégie.
J’ai néanmoins du mal à croire qu’Erdogan ait définitivement tourné le dos à l’Occident, en s’alliant avec la Syrie et surtout avec l’Iran. Ces alliances me paraissent quelque part contre nature. Par contre, sa volonté de supplanter l’Egypte en devenant la référence sunnite dans monde musulman semble réelle, et d’autant plus vraisemblable que Moubarak ne va pas tarder à quitter la scène, et qu’aucun successeur d’envergure ne pointe à l’horizon en dehors de son fils falot, Gamal. La «cause palestinienne » est toujours un excellent vecteur pour s’allier les grâces des musulmans. Erdogan enfourche le cheval de Gaza pour discréditer les égyptiens qui, aux yeux du monde islamique, sont devenus les suppôts des Américains et des Sionistes. Le mur d’eau creusé par les Egyptiens le long de la ligne Philadelphie qui séparera définitivement Gaza de l’Egypte et comblera les tunnels, scellera définitivement l’image de Moubarak comme traitre à la cause arabe. Or un vide est toujours rapidement rempli dans le monde arabe et aucun Etat musulman en dehors de la Turquie n’est en mesure de la combler.
La Turquie, membre de l’Alliance Atlantique, forte d’une zone d’influence accrue, pèsera beaucoup plus lourd face à l’Union européenne. On est alors en droit de se demander si les manœuvres d’Erdogan ne sont pas destinées à peser sur l’Europe et les Etats-Unis, pour obtenir l’entrée de la Turquie dans l’Union ou je ne sais trop quoi d’autre.
Ce qui m’inquiète d’avantage c’est la possibilité d’un partenariat stratégique entre l’Iran chiite et une Turquie mollement sunnite. En effet, aucun Etat arabe farouchement sunnite, tel que l’Arabie saoudite, ne peut envisager de s ‘allier durablement avec l’Iran, alors que la Turquie, non intégriste, est à même de privilégier une alliance politique et militaire avec l’Iran à un dogmatisme religieux. En d’autres termes les Empires ottoman et perse vont-ils conclure une pax musulmane, sur le dos d’Israël et du reste du monde, aussi ? Si c’est le cas, alors pauvres de nous.