Auteur d’une oeuvre philosophique majeure, Emmanuel Levinas a été l’une des figures intellectuelles les plus marquantes du XXe siècle. Quinze ans après sa mort -en 1995 à l’âge de 90 ans-, voici enfin publiée une édition de ses oeuvres complètes. Le premier volume vient de paraître: Carnets de captivité et autres inédits (Éditions Bernard Grasset/I.M.E.C, 498 p.). Emmanuel Levinas Cet imposant travail d’édition a été possible grâce à l’étroite collaboration de Michaël Levinas, fils et exécuteur testamentaire du philosophe. Pianiste, concertiste et compositeur de renommée internationale -il est l’auteur de plusieurs opéras et de l’interprétation de l’Intégrale des Sonates pour piano de Beethoven, des Études de Scriabine, du Clavier bien tempéré de Bach… Michaël Levinas est professeur d’analyse au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Dans l’entrevue exclusive qu’il a accordée au Canadian Jewish News, Michaël Levinas évoque ses souvenirs de ce père exceptionnel que fut Emmanuel Levinas. Canadian Jewish News: Parlez-nous de la genèse de cet ambitieux projet d’édition. Michaël Levinas: Je suis l’exécuteur testamentaire et le titulaire exclusif du droit moral des oeuvres d’Emmanuel Levinas. Ces Carnets de captivité et autres inédits proviennent du Fonds Emmanuel Levinas, que j’ai déposé en 1996 à l’Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine (I.M.E.C.). C’est le premier volume des oeuvres complètes d’Emmanuel Levinas, qui seront publiées en sept volumes. Dans un premier temps, seront publiés deux volumes de textes inédits. Le deuxième volume contiendra les conférences prononcées par Emmanuel Levinas, et non publiées de son vivant, au Collège de Philosophie, dirigé par Jean Wahl. Conférences dans lesquelles on peut voir s’organiser sa pensée préparatoire aux grands livres qu’il publiera dans les années 60, notamment Totalité et infini. Les principaux concepts de la pensée philosophique d’Emmanuel Levinas ont été établis durant cette période-là. Ces textes inédits ont été écrits entre 1950 et 1963. J’ai confié ce travail de publication à un Comité scientifique coordonné par des spécialistes reconnus de l’oeuvre de mon père, qui étaient proches de lui: Jean-Luc Marion, Catherine Chalier, Rodolphe Calin, Miguel Abensour, Marc Faessler, Jean-Luc Nancy… Des jeunes philosophes aussi sont en train de se joindre à ce Comité scientifique. C.J.N.: Ce Fonds d’écrits inédits est un précieux legs que votre père a tenu à transmettre aux nouvelles générations de philosophes et d’intellectuels férus de ses oeuvres? Michaël Levinas: De toute évidence, il y avait chez Emmanuel Levinas une volonté de conservation du manuscrit et de toute trace d’écriture. On peut conclure que mon père attachait une grande importance à la transmission de ses oeuvres ainsi qu’à l’histoire de la mise en écriture de celles-ci. Le Fonds Emmanuel Levinas a une forme très émouvante parce qu’on retrouve à la fois des petits papiers collés les uns sur les autres -notes, cartons d’invitation, grâce auxquels on peut dater ses aphorismes…- et beaucoup de brouillons. Ce Fonds évoque la relation particulière qu’Emmanuel Levinas avait avec le brouillon et le papier, qu’il utilisait avec une mentalité d’économie marquée -je pense surtout à ses Carnets de captivité- par ses habitudes de prisonnier de guerre et aussi par ses origines familiales. Mon grand-père paternel était papetier et libraire. Ce sont des traditions d’Europe de l’Est. J’ai retrouvé ces manuscrits -datant de l’avant-guerre, de son internement dans un stalag allemand et de son séjour à l’École Normale Israélite Orientale (E.N.I.O.) de l’Alliance Israélite Universelle- dans son domicile parisien, Rue Michel-Ange, rangés et classés avec une grande méticulosité -tout était catalogué. Cette rigueur dans l’organisation de son travail prouve qu’il y avait chez Emmanuel Levinas une véritable volonté de transmission de ses écrits. C.J.N.: Qu’est-ce qui vous a motivé à publier ses “Carnets de captivité”? Michaël Levinas: Écrits durant son internement dans un stalag, ces Carnets de captivité reflètent avec force l’expérience de la maturation, l’abandon des possibles. C’est-à-dire qu’avant d’être le philosophe pur, on découvre dans ces Carnets de guerre Emmanuel Levinas l’esthéiste. Il entretenait déjà une relation particulière avec les arts, la littérature, la poésie… Ces Carnets de guerre témoignent de cette situation de gestation. Ils ne nous révèlent pas toutes les faces cachées d’Emmanuel Levinas mais la façon dont va se métaboliser son écriture. Mon père considérait que le cheminement d’un créateur va vers une radicalisation. Dans ses Carnets de guerre, c’est qu’il appelle “les bifurcations”. Il faut accepter de les suivre et de les abandonner ensuite au fil de la lecture. Ce qui m’a aussi motivé à publier ces Carnets de guerre, qui n’ont rien à voir avec les Carnets de guerre de Jean-Paul Sartre, c’est qu’ils sont un témoignage d’une pensée. Mon père a écrit ces Carnets dans un contexte qu’il appelait “l’honneur sans drapeau”. Il était alors prisonnier dans un stalag situé à proximité du camp de Buchenwald. C’était une période très funeste où toutes les valeurs humaines étaient abolies et où le mal était revendiqué en tant que bien -ce qu’il a nommé plus tard dans ses Cours de Rachi “l’esprit de Sodome”-. C.J.N.: Comment Emmanuel Levinas a-t-il pu écrire ses “Carnets de guerre” dans un cadre aussi lugubre que celui du stalag allemand, où il a été emprisonné pendant cinq ans? Michaël Levinas: Au stalag, Emmanuel Levinas lit en français, en russe et en hébreu. Dans le travail de recherche réalisé par le Comité scientifique chargé de la publication de ces oeuvres inédites, les Archives ont révélé l’étrange paradoxe du germanisme du nazisme. Il y avait une bibliothèque au stalag. Dans cette absence de drapeau, il y avait toujours l’honneur culturel. La vie dans un stalag était moins rude qu’à Buchenwald. Les prisonniers de guerre comme Emmanuel Levinas allaient lire le soir dans cette bibliothèque. On ne sait pas une chose. Au stalag, Emmanuel Levinas travaillait comme bûcheron la nuit dans la forêt. Il me l’a raconté personnellement. Le chef du stalag lui disait: “Soyez content de travailler la nuit car bientôt vous serez entre les mains des SS”. C’est dans ce contexte que ces Carnets ont été écrits. C’est la force symbolique de ces écrits inédits publiés aujourd’hui, soixante-dix ans plus tard. C.J.N.: La correspondance inédite d’Emmanuel Levinas avec des illustres figures du monde philosophique, dont Maurice Blanchot, Martin Heidegger… augure sa vision très iconoclaste de l’avenir du monde? Michaël Levinas: Cette correspondance est passionnante. À mon avis, elle sera un jour pour les chercheurs l’objet d’un véritable travail d’analyse parce qu’on voit très bien dans ces textes comment irradie progressivement une pensée qui ne correspond pas aux grands courants prépondérants de l’après-guerre, notamment à l’existentialisme de Sartre -bien qu’il y avait des liens très étroits entre mon père et Sartre-, au structuralisme, à la pensée analytique et au marxisme. Il me semble qu’au-delà de son grand dialogue-affrontement avec Martin Heidegger, qui portait essentiellement sur l’idéologie du nazisme et la question de l’identité de l’Autre, Emmanuel Levinas avait une vision prophétique de l’Histoire du monde. Il a pris conscience très tôt de la désorientation de l’humanité, au sens littéral du terme, et de la fin du grand espoir vingtiémiste, voire dixneuviémiste: le sens de l’Histoire progressiste. Sa manière très originale et audacieuse de penser la théologie à travers l’expérience philosophique, ce qu’il appelait Athènes et Jérusalem, a sans doute trouvé son éclosion de diffusion quand les grandes idéologies du XXe siècle se sont effondrées. C’est une innervation très lente à travers différentes cultures. C.J.N.: Pourquoi la reconnaissance de l’oeuvre philosophique d’Emmanuel Levinas par le monde universitaire et intellectuel israélien a-t-elle été si tardive? Michaël Levinas: Il est vrai que la reconnaissance de l’oeuvre d’Emmanuel Levinas par le monde universitaire et intellectuel israélien est assez lente. La traduction de cette oeuvre en hébreu se fait, mais lentement. Il semblerait que ce qu’Emmanuel Levinas a appelé le lien entre Jérusalem et Athènes, qui aujourd’hui se traduit tangiblement par une crise des idéologies et des interrogations lancinantes sur la désorientation de l’humanité, trouve un écho particulier dans un monde intellectuel israélien toujours en quête de la définition de l’identité juive israélienne. Je recommande la lecture d’un texte inédit que le philosophe Bernard-Henri Lévy vient de publier dans sa revue, La Règle du Jeu. C’est une lettre qu’Emmanuel Levinas a envoyée à Maurice Blanchot le lendemain de la création de l’État d’Israël. Dans cette missive très importante, mon père aborde les questions fondamentales de la confrontation avec le temporel et de l’exception théologique qui devient strictement politique. Il me semble qu’il y a chez Emmanuel Levinas une pensée qui résonne avec cette interrogation très spécifique sur le Judaïsme temporel. Il faut savoir que mon père n’avait pas une vision prophétique d’Israël, mais une vision sioniste qui était une conception d’un Judaïsme certes sioniste mais qui pouvait survivre à toutes les déceptions. Il est indéniable que cette relation très complexe entre le théologique et le philosophique a aujourd’hui un écho très spécifique, au-delà des questions de mode, dans le milieu intellectuel israélien. C.J.N.: Votre père a passé une grande partie de sa vie à l’École Normale Israélite Orientale (E.N.I.O.) de l’Alliance Israélite Universelle, dont il a été le directeur général pendant de nombreuses années. C’est à l’E.N.I.O. qu’il a écrit des pans majeurs de son oeuvre philosophique. Michaël Levinas: Pour Emmanuel Levinas, l’expérience de l’E.N.I.O. de l’après-guerre fut tout à fait exceptionnelle. L’E.N.I.O. était un lieu très chargé à la fois de violence et de miracles. Pendant la guerre, l’E.N.I.O. fut un lieu terrifiant, où la milice française pronazie avait établi son quartier général. À la fin de la guerre, l’E.N.I.O. est devenu un lieu de convergence intellectuelle de la pensée juive, ce qu’on appelait l’École de Paris, avec la présence jusqu’en 1953 du très mystérieux Monsieur Chouchani. L’E.N.I.O. abritait aussi un jardin merveilleux, le jardin de l’Hôtel particulier de Mme Delvisius, qui, au XVIIIème siècle, avait accueilli chez elle tout le siècle des Lumières: Diderot, D’Alembert, le président des États-Unis, Thomas Jefferson… Dans cette magnifique allée des philosophes, Emmanuel Levinas conversait avec les jeunes philosophes de l’époque: Jean Wahl, Vladimir Jankélévitch, Eugène Minkowski, Gershon Sholem… C’était un moment d’exception qui a vu naître l’École de Paris et le Colloque des intellectuels juifs de langue française. C’est dans ce cadre intellectuel très stimulant qu’Emmanuel Levinas a écrit son oeuvre d’après-guerre. C.J.N.: Quels souvenirs gardez-vous de votre enfance à l’E.N.I.O.? Michaël Levinas: Je garde un souvenir de résurrection. L’E.N.I.O. était un cadre d’étude rythmé avec un rituel, notamment un rituel du travail de l’écriture. À l’E.N.I.O., les études juives prédominaient. L’appartement d’Emmanuel Levinas était devenu une sorte de maison d’étude talmudique, une Yéchiva. Mon père essayait de reconstruire le Judaïsme décimé par la Shoah. Le mal venait d’être vaincu. L’espoir était immense. Emmanuel Levinas vouait une véritable dévotion à la pédagogie des jeunes, mais à l’intérieur d’une restructuration intellectuelle et aussi religieuse. La lettre inédite qu’il a envoyée à Maurice Blanchot juste après la fondation de l’État d’Israël témoigne de cette situation d’exception. C.J.N.: Quel père Emmanuel Levinas a-t-il été? Michaël Levinas: Je pense que toute expérience de vie auprès de parents marque un enfant à tout jamais. La filiation est capitale, surtout dans la tradition juive. Emmanuel Levinas fut à la fois mon père et le père de beaucoup de jeunes. Il a été un père admirable et très exigeant, qui après avoir vécu le désespoir le plus abyssal s’est entièrement voué à reconstruire patiemment, à sa manière, le Judaïsme de l’après-guerre. Emmanuel Levinas a transmis à ses élèves le rite de l’écriture et le rythme de la discipline. Il s’est occupé avec beaucoup de dévouement de l’éducation d’adolescents qui étaient des survivants de l’horreur. C’est une expérience un peu exceptionnelle dont je me souviens tous les jours. C.J.N.: Le cadre d’enseignement de l’E.N.I.O. était donc très austère? Michaël Levinas: Le rite de la prière rythmait la journée des jeunes élèves de l’E.N.I.O., à 7 heures du matin et du soir. C’est en tapant du pied sur le plancher que mon père réveillait ces garçons pour qu’ils se rendent à la synagogue faire leurs prières. Parfois, je croyais entendre les bruits de la chambrée militaire où il avait fait ses classes et dont il me parlait souvent. Cette vie éminemment juive allait de pair avec l’amour profond que mon père vouait à la France et à ses institutions républicaines. C.J.N.: C’est à l’E.N.I.O. qu’Emmanuel Lévinas a découvert le monde et le Judaïsme sépharades? Michaël Levinas: Absolument. La seule famille qui me reste, ce sont les élèves sépharades de l’E.N.I.O. Je n’en ai pas d’autre. C’est à l’E.N.I.O., où la majorité des élèves étaient originaires du Maroc, de Tunisie, d’Iran et aussi quelques-uns d’Algérie, que j’ai connu le Judaïsme sépharade. C.J.N.: Pourquoi Emmanuel Levinas a-t-il préféré faire une carrière d’enseignant à l’E.N.I.O. plutôt qu’à l’Université, où il aurait certainement assumé des fonctions professionnelles plus prestigieuses? Michaël Levinas: À l’E.N.I.O., mon père a eu une vie d’employé modeste. Il était un employé de l’Alliance Israélite Universelle, avec ce que le mot “employé” peut avoir parfois de limitant. Il a commencé à travailler à l’E.N.I.O. comme surveillant quand il était un jeune licencié universitaire. Il avait 27 ans et venait de publier son premier livre, La Théorie de l’intuition. Ce sont des épisodes de la vie d’Emmanuel Levinas qu’on connaît mal. Vous m’avez demandé tantôt pourquoi sa carrière et la reconnaissance de son oeuvre ont été si tardives? Je vous ai donné des explications de nature intellectuelle. Mais, sociologiquement, il y a plusieurs raisons pour lesquelles sa carrière et la reconnaissance de son oeuvre ont été tardives. Il y a eu d’abord une guerre effroyable, ce qui brise une vie et une carrière. D’autre part, Emmanuel Levinas est arrivé en France d’Europe de l’Est à l’âge de 17 ans. Après la publication de sa thèse de Doctorat, Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl, devenue aujourd’hui un grand classique en philosophie, il s’adresse à Léon Brunschvig pour lui demander conseil sur ses perspectives de carrière. Ce dernier lui recommande fortement de ne pas passer l’Agrégation, parce qu’il a un fort accent est-européen, et d’entamer une carrière d’enseignant à l’Alliance Israélite Universelle. Mon père a beaucoup souffert de son retrait par rapport au monde intellectuel et universitaire du Quartier Latin, auquel il n’avait pas accès alors que cet univers était fondamentalement le sien. Il faut dire les choses sans les enjoliver, je peux en témoigner. La relation d’Emmanuel Levinas avec l’Alliance Israélite Universelle fut complexe. Il y a l’aspect sublime, c’est-à-dire le reconstructeur des jeunes Juifs après la guerre, mais il y a aussi le pauvre petit bureaucrate à la Gogol, qui les dimanches matins collait des enveloppes et envoyait des courriers administratifs alors que, de toute évidence, il y avait chez Emmanuel Levinas, à l’âge de 30 ans, une étoffe de philosophe, de penseur et déjà une reconnaissance de son caractère intellectuel exceptionnel. Mon père était très attaché à l’E.N.I.O. Je le dis avec beaucoup de reconnaissance pour l’Alliance Israélite Universelle, qui est à l’origine de la survie de ma mère pendant la guerre. Mais, il a été traité comme un simple employé. Il a vécu en même temps la tristesse de la bureaucratie et la non-reconnaissance du chef. Aujourd’hui, cette non-reconnaissance du chef est transcendée par son destin exceptionnel, qu’il doit à l’Alliance Israélite Universelle, et particulièrement à ce lieu fabuleux de confluence intellectuelle qu’a été après la guerre l’espace miraculeux de l’E.N.I.O. C.J.N.: Quels sont pour vous les aspects les plus importants de l’oeuvre philosophique d’Emmanuel Levinas? Michaël Levinas: Vous me posez une question très ardue. Il y a deux dimensions de l’oeuvre Emmanuel Levinas qui ne doivent pas disparaître derrière son message éthique, qui aujourd’hui est ce qui est le plus diffusé au sens médiatique du terme: la place politique fondamentale qu’il occupe entre Athènes et Jérusalem et la place exceptionnelle qu’il confère dans son oeuvre au visage, qui est capitale après l’expérience des horreurs nazies et staliniennes. Mais au-delà de ces deux éléments cardinaux de son oeuvre, je crois qu’on ne peut pas résumer sa pensée et ses écrits en quelques mots, si ce n’est pour les transformer en une sorte de message de gourou ou en une directionnalité qu’il aurait lui-même récusé. Il ne faut surtout pas oublier la puissance conceptuelle de l’oeuvre d’Emmanuel Levinas, ce que l’on appelle “la philosophie pure”, qui disparaît souvent aux yeux du grand public derrière le message éthique. D’autre part, la force de l’expérience qu’il a vécue au coeur du XXe siècle, qu’il appelait “l’honneur sans drapeau”, ne doit pas être non plus éludée. Très nombreux sont ceux qui croient que cette expérience très singulière véhicule un message de sage. Je ne pense pas qu’on puisse ramener la pensée philosophique d’Emmanuel Levinas à un message de sage ou à des injonctions d’ordre mystique. Son oeuvre recèle toute la complexité de sa pensée. C’est ce vertige-là qu’il ne faut pas perdre de vue quand on aborde une oeuvre d’une telle dimension. C.J.N.: Votre père soutenait-il votre vocation musicale ou aurait-il préféré que vous vous consacriez aussi à l’étude et à l’enseignement de la philosophie? Michaël Levinas: La vocation musicale elle vous choisit et on la choisit. Mon père, je le constate aujourd’hui à travers ses correspondances, a toujours soutenu ma vocation musicale. J’ai eu une mère, d’origine russe comme mon père, qui était une très grande musicienne, formée au Conservatoire de Vienne. Dans l’après-guerre, mes parents, qui ont décelé très tôt mes prédispositions pour la musique, se sont sentis dans l’obligation de soutenir ma future vocation. Ce soutien parental a été pour moi une expérience très marquante. C’était très courant dans les familles russes, mais dans une famille comme la mienne, qui a subi dans sa chair les affres douloureuses de la Grande Guerre, le choix d’une carrière musicale, c’était plus rare. Mon père a soutenu ma vocation musicale jusqu’à son dernier souffle. Il y a eu aussi un geste parental encore plus symbolique: le prénom que mon père m’a donné, qui est est une interrogation: “Qui est comme Dieu?” Mon père m’a nommé Michaël pour rendre hommage aux six millions de Juifs assassinés dans les camps nazis. In an interview, musician/artist Michaël Levinas, talks about the work of his father, philosopher Emmanuel Levinas, whose complete works are going to be published. The first of seven volumes was recently released. |
[Dimanche 20/12/2009 20:03]