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3 mai 2010 1 03 /05 /mai /2010 19:13

Misère de l'Histoire et de l'historien. Sur une interview de Georges Ben Soussan par Primo-Europe

par Jean-Pierre Bensimon, signataire de l'appel Raison Garder, le 3 mai 2010

Dans une interview au site Internet Primo-Europe, Georges Ben Soussan défend sa signature d'un appel (1) visant à fédérer un mouvement pacifiste européen calqué sur le modèle de l'organisation américaine JStreet. Connu pour de remarquables travaux d'historien et la publication des "Territoires perdus de la République," une contribution éminente au renversement de la doxa victimaire qui gangrène toujours la France, l'auteur fécond livre là une analyse bien singulière.

Voila un homme dont la profession est d'extraire la sève des documents qu'il analyse pour construire des modèles et des narratifs les plus proches de la réalité. Or que nous dit-il du texte qu'il défend âprement, l' "Appel à la raison", sur quoi d'essentiel dans ce texte fonde-t-il son adhésion?

Les propositions de l'appel à la raison

Essentiellement sur le fait qu'il faut "bouger", accepter de "négocier", refuser "l'attentisme" pour conjurer le piège de "l'état unique et multiculturel" et ne pas céder aux délices empoisonnés de l'occupation, du "principe de domination d'un autre peuple". C'est sur ces points qu'il pourfend les détracteurs de Jcall et de son "appel". Un peu de rigueur aurait commandé de ne pas obérer l'essentiel du message, ce qui commande l'adhésion ou le rejet. Arrêtons-nous un instant sur l' "Appel" pour bien identifier cet essentiel. L' "Appel à la raison de décline" en quatre périodes:

• Une profession de foi : "Nous sommes indéfectiblement attachés [à Israël]… à nouveau en danger... [et voulons] œuvrer à la survie d'Israël en tant qu'état juif et démocratique" ;

• Un diagnostic : Nonobstant la menace extérieure "le danger réside dans l'occupation et la poursuite des ininterrompue des implantations…une erreur politique et une faute morale… qui alimente un processus de délégitimation inacceptable d'Israël…" ;

• Une analyse prospective: Faute de paix, "les Juifs seraient minoritaires dans leur propre pays .. [avec] un régime qui déshonorerait Israël";

• Des propositions: Une demande de pressions de "l'Union européenne et des États-Unis … pour un règlement raisonnable et rapide du conflit … l'alignement systématique sur la politique du gouvernement israélien… [allant] à l'encontre des intérêts d'Israël".

Or, dans une action collective, c'est l'adhésion aux propositions qui commande l'engagement et la signature. Dans son argumentaire Georges Ben Soussan réalise l'exploit de ne pas prononcer une seule parole, ni sur l'opportunité et politique et morale de remettre les clés d'un règlement à l'Europe et aux États-Unis, ni sur le mot d'ordre de s'éloigner d'un gouvernement accusé d'attenter aux intérêts d'Israël. D'emblée les dés sont pipés : je signe et je défends cette pétition mais je n'ai rien à dire des solutions qu'elle préconise. Le problème c'est que ces solutions sont monstrueuses. Elles sont d'une légèreté politique abyssale (allez confier  le destin d'Israël à une Europe pétrifiée par la pression arabe, de l'extérieur comme sur son sol, et aux États-Unis aux mains d'une administration au parti-pris sans précédent). Elles ignorent les principes et les valeurs cardinales de la démocratie politique. Elles introduisent un nouvel imperium romanumdans les relations internationales. Rien moins.

Qui ne veut pas négocier ?

S'il n’a rien à dire du cœur du projet auquel il se rallie, Georges Ben Soussan introduit un formidable argument de son cru, qu'il n'est pas allé chercher bien loin, car c'est une antienne ressassée par l'administration Obama et l'Europe. Il appelle à "négocier" : "quand choisit-ton son ennemi et son partenaire pour négocier? … il faut dialoguer, donc à être prêt à donner, à recevoir…". Cette répétition au long de l'interview n'est qu’une accusation faite à Israël de refuser de négocier. On entre ici dans un monde à cheval entre Kafka et Alice au Pays des Merveilles. Depuis son installation, le gouvernement Netanyahou demande la reprise des négociations, immédiates, et imperturbablement Américains et Européen l'accusent de les refuser. Acculé à prouver sa sincérité, Netanyahou a accepté une multitude de concessions préalables, qui n'ont fait qu'amplifier la précédente accusation. Il a même accepté de négocier de façon indirecte, les Palestiniens refusant de s'asseoir à la même table. Il a même consenti, ô humiliation, de discuter indirectement des questions du cœur du conflit, par exemple de Jérusalem ou des frontières. N'empêche, Ben Soussan doit estimer que ce n'est pas encore assez. L'épisode rappelle l'ineffable Hillary Clinton : au lendemain de la visite tumultueuse de Jo Biden au Proche Orient, l'équipe de Mahmoud Abbas baptisait un square de Ramallah du nom de Dalal Mougrabi, la terroriste tueuse la plus sanguinaire du bestiaire palestinien. Interrogée sur la cohérence de cette cérémonie avec des intentions de paix, la secrétaire d'état en imputait la décision au Hamas.

Il est bien heureux cependant que l'interviewé ait choisit la profession d'historien car il aurait fait un très modeste diplomate. Oui, certainement, on ne choisit pas son ennemi et chacun connaît la leçon de Julien Freund "c'est votre ennemi qui vous choisit". Mais selon Ben Soussan, on ne choisirait pas non plus son partenaire de négociation. Les alliés ont-ils négocié avec Rudolf Hess? N'importe qui ne peut quand même pas endosser le statut de partenaire. Il faut obéir à deux conditions: être représentatif de la partie adverse et être en mesure de faire appliquer les engagements pris. Il y a de ce point de vue un véritable problème pour Israël, qu'il est si facile dans le théâtre virtuel d'une interview d'écarter d'un revers de manche: Mahmoud Abbas, le cheval des Occidentaux, est politiquement très faible en Cisjordanie et chez les réfugiés, inexistant à Gaza. Et il fait ratifier la moindre de ses décision par la Ligue arabe. L'historien se demandera si, dans de telles circonstances, un conflit a jamais été résolu par la négociation, et si ses propres objurgations sont creuses ou fécondes.

Si Ben Soussan avait des reproches à faire en matière de refus de négocier, c'est aux Palestiniens de Ramallah (ne parlons pas du Hamas) qu'il aurait dû les adresser, tout simplement parce qu’ils refusent non seulement les propositions d'accord qui leur sont faites, mais même de s'asseoir à la table idoine. Étrangement, l'historien n'a rien à leur reprocher ni même à leur demander. Critiquer les instances israéliennes est sans doute plus savoureux.

Le risque de l'état unique

Plus au fond, au centre de son analyse, Georges Ben Soussan lance une alerte solennelle contre "l'état unique". Il demande un état "plus petit et plus homogène". Il y a plusieurs façons de poser ce problème et Ben Soussan ne l'aborde pas vraiment sous l'angle le plus sérieux, avec le souci de l'information rigoureuse que l'on attendrait d'un scientifique.

L'historien interviewé place la bascule démographique au cœur du risque : les sociétés développées nous dit-il, sont de faible natalité. Entre la Méditerranée et le Jourdain, la balance serait de "1,8 pour les Juifs contre 3,4 pour les Arabes." Il faut sans doute entendre par là le nombre d'enfants par femme. Il faut savoir que la menace démographique est depuis longtemps un thème de la propagande des Palestiniens. Il a fait naitre la théorie du "fatalisme démographique" pour jeter un doute fatal sur les perspectives de l'état d'Israël. Dès 1997, les démographes palestiniens comptaient 2,5 millions d'habitants, en projetant 3,4 pour 2004. Une vérification démontrait une majoration de 1 million soit 40% (2) . Par ailleurs les travaux deSecond Thought dirigé par Yoram Ettinger (3) montrent une montée de la démographie juive liée à la nouvelle fécondité des femmes d'origine russe et un tassement considérable de celle des arabes (phénomène général dans le monde arabe. Il s'ensuit que la majorité juive à l'Ouest du Jourdain (sauf Gaza) est sur une pente qui la mène de 67% aujourd'hui à 80% en 2035. La bascule démographique n'est pas là ou Ben Soussan la voit.

Un autre argument en faveur de l'état unique que ne mentionne pas Ben Soussan serait une auto dissolution de l'Autorité palestinienne. L'éventualité n'est pas sérieuse: l'entité palestinienne est aujourd'hui une machine financière qui permet d'alimenter la corruption indispensable aux élites et de payer une nuée de fonctionnaires. Le socle social et politique de sa pérennité est donc assuré.

Le dernier scénario de l'état unique est de nature politique et idéologique. Il était défendu par des personnages comme Edward Saïd qui y voyait le moyen de noyer l'état juif et par les post-sionistes qui entretiennent le même projet. Ces post-sionistes sont en même temps les plus actifs dans le courant pacifiste auquel se rattachent JCall et Shalom Archav. Tant que le sionisme demeure l'option des Israéliens, la menace de l'état unique est inexistante. La question est exclusivement idéologique (4) et les philippiques d'un Ben Soussan en mal de dossiers à jour n'y changeront rien.

Cette sacrée occupation

"Comme toute violence, elle gangrène le corps social, elle s'étend, elle le corrompt. Il n'y a pas d'occupation innocente L'occupation est occupation, la domination est domination…" Qui n'adhèrerait pas à ces belles affirmations de Georges Ben Soussan ? Il faut encore leur donner de la substance. Et dans le cas d'Israël cette substance se dérobe.

Il y a d'abord ce principe réaffirmé par Netanyahou le 14 juin dernier à Bar Ilan « Nous ne souhaitons ni les dominer, [les Palestiniens] ni régir leur existence, pas plus que leur imposer notre drapeau et notre culture … dans ce petit pays qui est le nôtre, deux peuples [doivent vivre] librement, côte à côte, dans la concorde et le respect mutuel. Chacun possède son drapeau, son hymne national, son propre gouvernement. Aucun ne menace l’existence et la sécurité de son voisin » N'est pas assez explicite pour l'historien?

Mais protestera-t-il, n'y a-t-il pas une présence israélienne, militaire et de peuplement, au-delà de la "ligne verte". Dans la bouche d’un intellectuel juif occidental, l’argument a quelque chose de pathétique.

Au plan du droit, la présence juive est légale car elle est prévue par la déclaration Balfour et ratifiée par le mandat de la SDN. La Charte de l'ONU, dans son article 80, reconnaît toutes les dispositions juridiques antérieures et donc celles qui donnent des droits aux juifs dans l'ancien mandat. Seuls une négociation et un accord sont à même d’en délimiter le périmètre.

Au plan politique, à maintes reprise Israël a voulu définir le statut juridique des territoires en deçà et au-delà des lignes de cessez-le feu de 1949. En 1949 la Jordanie a refusé, d'où l'absence de frontières définies. En 2000, 2001, 2008, Arafat puis Abbas ont refusé une transaction qui aurait abouti à un statut défini pour les territoires disputés. A présent les Palestiniens multiplient les conditions préalables ou restrictives de la négociation. Que doit donc faire Israël pour donner une réponse juridique et diplomatique quand son vis-à-vis de défausse depuis des décennies, car ce qu'il refuse, c'est devoir reconnaitre en même temps un pouvoir juif.

Au plan de la sécurité, si jamais l'état juif est autorisé à parler de sa sécurité, le statut des Territoires ne peut en aucune manière être traité comme la liquidation d'une situation coloniale.

Il y a un continuum géographique entre le Jourdain et la mer. Israël a-t-il le droit de contrôler son espace aérien et les abords de l'aéroport Ben Gourion? Où faut-il les laisser aux lanceurs de missiles portables ? A-t-il le droit de gérer son espace des télécommunications. A-t-il le droit de dire son mot sur ses ressources en eau et sur leur gestion? Sur tous ces sujets Israël et les anciennes Judée et Samarie sont un espace unique et il n'est pas concevable de le traiter autrement.

Encore une fois, Ben Soussan a eu bien raison de devenir historien et de ne pas s'aventurer dans la stratégie. Ses réflexions sur la profondeur stratégique seraient divertissantes si le sujet n'était pas plutôt tragique. Que nous dit-il? Avec les missiles, une frontière à "18 ou 50 km ne change quasiment rien à l'affaire". Ce que l'historien semble ignorer, c'est que la profondeur stratégique se définit au niveau d'un pays, mais aussi d'entités plus réduites. Et la défense se pense en fonction des types d'armement et des modalités opératoires. Le périmètre de sécurité de l'aéroport Ben Gourion est d'une autre nature que la profondeur stratégique d'Israël. Peut-on tolérer des snippers à 500 mètres de la Knesset, peut-on laisser Guilo à portée d'armes de poing palestiniennes, sous une autre souveraineté? La sécurité de Tel Avis ou de Haïfa passe par le contrôle de la Vallée du Jourdain, ce canal de pénétration des forces arabes hostiles. Faut-il refuser ce contrôle au nom de « l’occupation ? » Voila des questions concrètes que les généralités accusatoires de Georges Ben Soussan éludent, mais qui se traduisent dans la réalité par des enjeux de vie et de mort.

En route pour la diffamation

C'est pour cela que ses considérations finales sur les jusqu'auboutistes français "prêts à se battre jusqu'au dernier Israéliens" franchissent les limites de l'élucubration pour les marécages de la diffamation. Vous devez vous taire, vous dont les enfants ne sont pas astreints au service militaire de trois ans, vous qui ne connaissez pas "l'angoisse des parents d'enfants versés dans des unités combattantes…"

Les signataires de la motion "Raison garder" ont souvent de la famille en Israël, souvent des enfants, et ces enfants sont versés dans toutes les unités ordinaires ou d'élite. L'intrication démographique entre les Juifs français et Israël est décidément un mystère pour notre seul historien. Mais la diffamation s'étend aux simples militants ou aux observateurs qui ont étudié la dynamique de la guerre et de la paix, et qui savent que la seule garantie de paix pour l'Israël contemporain c'est une force militaire maximale. Il est un vieil adage dont les historiens non idéologues sont familiers, "si vis pacem para bellum". Faut-il en priver l'état juif et remettre son destin aux clones de la Finul ?


Notes
1 - Appel à la raison http://www.jcall.eu 
2 - Travaux de Bennett Zimmermann et Roberta Seid en 2006, présentés à la conférence d'Herziliya
3 - The Case For Demographic Optimismhttp://www.thejewishweek.com/viewArticle/c55_a16935/Editorial__Opinion/Opinion.html 
4 - Il affirme dans son interview "la réalité démographique, comme la géographie, imposent les choix politiques". C'est bien dit mais creux.
5 - http://www.dialexis.org 
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