Le vent de contestation qui touche les pays arabes depuis un mois est-il à l'origine de la série de changements annoncés récemment par l'Autorité palestinienne: élections avant l'automne, remaniement du gouvernement et démission du négociateur Saëb Erakat?
Secouée par la débâcle des régimes égyptien et tunisien, auxquels elle était liée, la direction palestinienne, a annoncé, le 12 février, des élections générales d'ici à septembre. Début février, elle avaitinterdit des manifestations de soutien aux peuples égyptien ettunisien. Par ailleurs, le président de l'Autorité palestinienne a chargé, le 14 février, le Premier ministre Salam Fayyad de former un nouveau gouvernement. Un dirigeant du Fatah, le parti de Mahmoud Abbas, a exclu tout lien entre le remaniement et les soulèvements en Tunisie et en Egypte. Ce remaniement est, en revanche, peut-être lié à l'échéance de la proclamation d'un Etat palestinien, envisagée également en septembre.
Elections en suspens
Le 31 janvier, en pleine vague de contestation populaire en Egypte et en Tunisie, Salam Fayyad a appelé les mouvements palestiniens à "commencer à réfléchir sérieusement à des élections générales", après le scrutin local qui "aura lieu au cours de cette année". Il estimait "opportun de les utiliser pour mettre fin à la division et rétablir l'unité nationale", en référence à la séparation de fait entre la Cisjordanie, dont l'Autorité palestinienne gouverne les zones autonomes, et la bande de Gaza contrôlée par le mouvement islamiste Hamas depuis juin 2007.
Les élections municipales, fixées au 9 juillet seront le premier scrutin depuis les législatives de 2006, remportées par le Hamas. La question des élections est en suspens depuis l'expiration, en janvier 2009, du mandat de Mahmoud Abbas, qui a été prolongé afin d'éviter un vide institutionnel.
Le scrutin municipal devrait se tenir dans la seule Cisjordanie. Le Hamas a en effet refusé d'en permettre l'organisation à Gaza, et Israël a interdit toute activité politique palestinienne à Jérusalem-Est, occupée et annexée en 1967.
Le Hamas dénonce dans ce scrutin "une tentative de l'Autorité et du gouvernement Fayyad pour détourner l'attention des scandales" révélés par la chaîne Al-Jazira. Celle-ci avait dévoilé, au mois de janvier, des documents diplomatiques décrivant des concessions faites par l'Autorité palestinienne dans le cadre des négociations avec Israël, sur des enjeux sensibles comme les frontières d'un futur Etat, le statut de Jérusalem ou le retour des réfugiés.
L'Autorité palestinienne avait appelé à des élections générales en janvier 2010, mais les avait reportées, arguant de ce refus du Hamas de les organiser à Gaza. Mais une partie des médias et des commentateurs palestiniens avaient attribué ce report à la crainte du Fatah d'une défaite de ses candidats face à des indépendants, même en l'absence de son principal rival islamiste.
Négociations dans l'impasse
Dans le même temps, le principal négociateur palestinien dans les pourparlers de paix avec Israël, Saëb Erakat, a présenté sa démission, le 12 février. Il l'a expliquée par la "responsabilité qu'il assumait pour le vol de documents [révélés par Al Jazira] dans son bureau", documents qui selon lui ont été "falsifiés" intentionnellement.
Mais cette démission est peut-être aussi liée à l'échec, en 2010, d'une relance des négociations de paix avec Israël sous l'égide des Etats-Unis. Elle peut aussi être un moyen de mettre au pied du mur la communauté internationale, impuissante face à ce blocage. Ainsi, le 5 février, le Quartette pour le Proche-Orient (Etats-Unis, ONU, Russie et UE) s'est contenté d'appeler à une reprise "impérative" des négociations de paix, regrettant qu'Israël n'ait pas prolongé son moratoire sur la colonisation, sans la condamner explicitement. Et en décembre dernier, les Etats-Unis ont abandonné l'idée d'obtenir un gel de la colonisation israélienne.
Vers la proclamation unilatérale d'un Etat palestinien?
Face à cette impasse, les responsables de l'Autorité envisagent d'ailleurs de franchir le pas de la proclamation unilatérale d'un Etat palestinien. Depuis le mois de décembre, huit pays d'Amérique latine --où la Palestine a déjà des représentations depuis des années-- ont d'ailleurs reconnu l'Etat palestinien, dont six sur les lignes de 1967 (Brésil, Argentine, Equateur, Bolivie, Guyana et Paraguay).
Les stratèges palestiniens tablent sur une proclamation pour septembre 2011, triple échéance à leurs yeux. Il s'agit du terme de la période d'un an fixée pour les négociations de paix directes, ainsi que du plan de deux ans du Premier ministre Salam Fayyad pour jeter les bases d'un Etat, et de la date de la prochaine Assemblée générale des Nations unies.
Mahmoud Abbas a prévenu le 11 novembre dernier qu'il considérait comme un "engagement" du président américain Barack Obama son évocation devant l'Assemblée générale de l'accueil au sein de instance de la Palestine comme "nouveau membre de l'ONU" en cas d'accord de paix.
Indépendamment de la viabilité d'un Etat proclamé sans accord israélien, les Palestiniens jugent qu'une "reconnaissance collective" par la communauté internationale aurait le mérite de poser le principe d'une négociation pour toute modification territoriale et de permettre à la Palestine d'évoluer sur la scène internationale comme un Etat à part entière.
Si ces efforts n'aboutissaient pas, les dirigeants palestiniens envisagent de réclamer un placement sous administration internationale, soit par la réactivation du Conseil de tutelle de l'ONU, chargé d'accompagner des territoires colonisés vers l'autonomie ou l'indépendance, soit plus vraisemblablement sur le modèle du Kosovo.